Seuls 11 % des Belges se considèrent comme des experts en matière d’investissements, alors qu’un quart d’entre eux obtient de très bons résultats à des tests de connaissances financières. Qu’est-ce qui paralyse donc les Belges lorsqu’il s’agit d’investir leur épargne?
Une nouvelle étude d’ING menée auprès de 2.000 Belges met en lumière un paradoxe : malgré une information globalement bonne en matière d’investissements, un profond manque de confiance en soi – nourri par des idées reçues – freine le passage à l’acte.
Ainsi, seuls 11 % des répondants jugent leurs connaissances en investissement « bonnes », alors qu’ils sont 32 % à obtenir un score élevé à un test objectif dans ce domaine.
Le syndrome de l’imposteur de l’investisseur
Ce n’est donc pas un déficit de connaissances qui explique la prudence des Belges, mais bien un manque de confiance en eux. L’étude évoque même un « syndrome de l’imposteur de l’investisseur ».
Bien connu en psychologie, ce syndrome se manifeste par un doute maladif qui pousse les personnes à minimiser leurs réussites. Elles attribuent leurs succès à des facteurs extérieurs (la chance, les relations, les circonstances) plutôt qu’à leurs compétences.
Résultat : elles doutent en permanence de leurs capacités et vivent dans la peur d’être « démasquées ». Ce mécanisme psychologique agit comme un frein à l’investissement.
Aversion à la perte et tabou de l’argent
Deux autres blocages bien ancrés dans la culture belge s’ajoutent à ce manque de confiance : l’aversion à la perte et le tabou de l’argent.
Le premier repose sur un biais psychologique connu : notre cerveau ressent deux fois plus intensément la douleur d’une perte que le plaisir d’un gain équivalent. « L’aversion à la perte est profondément ancrée dans notre cerveau primitif », explique Anne Abbenes, psychologue financière. « Toute perte potentielle liée à un changement est perçue comme une menace pour notre survie. »
Même constat chez Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCLouvain : « Laisser son épargne dormir, c’est perdre du pouvoir d’achat. L’aversion à la perte rend l’inaction plus confortable psychologiquement… mais plus risquée économiquement. »
Autre frein : le silence autour de l’argent. Le Belge parle peu de ses finances, de son salaire, de ses placements ou de ses compétences en la matière. Ce manque de dialogue alimente le syndrome de l’imposteur et renforce l’impression d’incompétence.
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« Les Belges veulent un interlocuteur, pas un gourou anonyme en ligne », note Vincent Juvyns, expert en investissement chez ING. Le banquier reste, toutes générations confondues, une figure de confiance.
Si de plus en plus de jeunes s’informent via des « finfluenceurs », cette tendance demeure encore marginale.
Du doute au déni : quand l’épargne devient une illusion de sécurité
Autre enseignement de l’étude : les Belges ne semblent pas préoccupés par leur avenir financier. Près d’un tiers (28 %) ne s’en soucie que très peu, voire pas du tout. Et seuls 24 % pensent que leur pension légale leur permettra de maintenir leur niveau de vie.
« On assiste à une forme de déni financier », s’inquiète Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING. « Entre la pression croissante sur les pensions publiques et une inflation persistante, ne rien faire n’est plus une option. »
L’étude rappelle aussi une réalité plus dure : de nombreux Belges n’ont tout simplement pas les moyens d’épargner. 12 % des sondés n’y parviennent pas ; ce chiffre grimpe à 14 % chez les femmes et à 16 % chez les plus de 55 ans.
Les mythes ont la vie dure
Si ce n’est ni un manque de connaissances, ni une réelle insécurité financière dans tous les cas, qu’est-ce qui retient encore les Belges ? En plus des freins psychologiques évoqués, les idées reçues pèsent lourd.
Parmi les plus répandues : « La Bourse, c’est une loterie ! » Une croyance tenace : 53 % des Belges non-investisseurs estiment qu’investir en Bourse revient à jouer au loto. « C’est un mythe qu’il faut déconstruire », insiste Vincent Juvyns. « Un investissement diversifié et pensé sur le long terme n’a rien d’un jeu de hasard. C’est une stratégie réfléchie qui vise à lisser les fluctuations. »
Autre barrière : la sous-estimation des connaissances (évoquée par 64 % des non-investisseurs) et la perception de complexité du marché (pour 42 % d’entre eux).
« Si nous parvenons à renforcer la confiance et à mieux accompagner les épargnants, le potentiel de croissance de leur patrimoine est énorme », conclut Vincent Juvyns.
Les mythes les plus tenaces sur l’investissement, en chiffres
– 84% des Belges pensent qu’ils peuvent perdre beaucoup d’argent en investissant– 69% trouvent l’investissement trop complexe et estiment ne pas avoir les connaissances nécessaires
– 68% pensent qu’il faut surveiller constamment les marchés et réagir rapidement
– 53% considèrent la Bourse comme un casino
– 43% pensent que l’investissement est réservé aux riches
– 43% estiment que seuls les experts peuvent investir avec succès
– 39% pensent qu’il faut beaucoup d’argent pour commencer à investir
– 36% pensent que l’investissement est réservé aux jeunes prêts à prendre des risques
– 35% associent l’investissement à des sacrifices constants et à une vie austère
– 26% pensent qu’il est trop tard pour commencer à investir aujourd’hui