MeDirect veut réveiller le marché

Alain Moreau, nouveau CEO de MeDirect. © 2023 ARTHURS-H, all rights reserved.
Patrick Claerhout Patrick Claerhout is redacteur bij Trends.

Alain Moreau, nouveau CEO de MeDirect et ancien CEO de Deutsche Bank Belgique, veut transformer MeDirect en une banque en ligne complète positionnée en challenger des leaders sur le marché. “Aujourd’hui, les clients dont le patrimoine ne dépasse pas 1 million d’euros ne sont pas bien servis”, affirme-t-il.

MeDirect est présente sur le marché belge depuis 2014. Si l’accent était initialement placé sur la distribution de fonds d’investissement, la banque s’attaque depuis quelques mois au marché de l’épargne avec une politique tarifaire agressive. Avec MeDirect Fidelity, elle propose le compte d’épargne assorti du taux d’intérêt le plus élevé sans conditions supplémentaires: 2,30% (0,60% de taux de base et 1,70% de prime de fidélité). De plus, MeDirect lancera d’ici la fin de cette année une carte de paiement (Mastercard Debet) pour ses clients.

“Nous voulons être une banque complète”, explique Alain Moreau, qui est à bord depuis mars et a récemment reçu le feu vert des superviseurs pour occuper la fonction de CEO. “Nous avons actuellement environ 2 milliards d’euros d’épargne et de crédit logement au bilan et 1 milliard d’euros de produits d’investissement hors bilan. Les dépôts d’épargne, crédits hypothécaires et produits d’investissement doivent devenir les trois moteurs de la banque. La focalisation sur les seuls fonds appartient au passé.”

“Aujourd’hui, il vaut mieux être actionnaire que client d’une grande banque.”

La vente de crédits-logement concerne surtout les Pays-Bas mais en Belgique, MeDirect a réussi à se constituer un portefeuille de 230 millions d’euros en un an et demi à peine. Ce, en collaboration avec le réseau de courtiers Allianz.

“En fait, la situation actuelle de MeDirect ne diffère pas tellement de celle de Deutsche Bank Belgique quand j’y suis arrivé il y a plus de 20 ans, poursuit Alain Moreau. A l’époque, nous comptions également 5 milliards d’euros de produits commerciaux. Et nous avons quintuplé ce montant à 25 milliards en nous positionnant comme challenger des grandes banques.”

Le marché s’est endormi

Alain Moreau veut à présent réitérer cette performance avec MeDirect: “Lorsque j’ai quitté ma fonction de CEO de Deutsche Bank Belgique, je n’avais aucune intention de revenir dans le secteur financier. Mais quand MeDirect m’a contacté fin 2022, j’ai entrevu des possibilités. Notamment en raison de taux bas de ces dernières années, le marché s’est endormi. Il n’y a plus de véritable challenger. Deutsche Bank Belgique a réussi à s’ériger en leader dans le conseil sur les produits d’investissement et se concentre surtout sur les clients fortunés. Rabobank a quitté le marché belge de l’épargne.”

Selon Alain Moreau, les taux bas entre 2015 et 2021 ont contraint les banques à augmenter les frais pour les clients et à presque supprimer toute rémunération en intérêts sur l’épargne. “C’était logique si elles voulaient rester rentables, reconnaît-il. Mais à présent que les taux sont en hausse, elles ne bougent pas. Les épargnants restent sur leur faim, alors que les bénéfices des banques explosent. Aujourd’hui, il vaut mieux être actionnaire que client d’une grande banque.”

“Le segment des clients dont le patrimoine est compris entre 10.000 et 1 million d’euros est à nouveau mal servi”, constate Alain Moreau. C’est sur ces clients que veut se concentrer MeDirect. Alain Moreau a baptisé son projet DB 2.0: 2.0 parce que MeDirect est une banque numérique sans agence, alors que DB renvoie au modèle de coûts bas perfectionné par Deutsche Bank Belgique entre 2009 et 2019, les 10 années durant lesquelles Alain Moreau était CEO. “C’est grâce à des coûts bas qu’une banque peut proposer les produits présentant le meilleur rapport qualité-prix à ses clients”, insiste-t-il.

La connexion maltaise

Dans ce contexte, le fait que la société mère de MeDirect soit établie à Malte constitue un avantage supplémentaire aux yeux d’Alain Moreau: “Nous sommes une banque belge avec une licence belge, mais nous comptons 300 salariés à Malte. MeDirect y dispose d’une équipe de 115 jeunes informaticiens talentueux. Ces dernières années, nous avons pu moderniser notre plateforme informatique à un coût inférieur à ce que cela nous aurait coûté en Belgique. Les charges de personnel sont plus faibles à Malte.”

Mais cette “connexion maltaise” ne risque-t-elle pas d’influencer la perception et de dissuader certains de se tourner vers MeDirect? “Les activités belges et néerlandaises représentent 80% du bilan du groupe, répond Alain Moreau. Nous sommes placés sous la supervision de la Banque nationale de Belgique, mais aussi de la Banque centrale européenne (BCE) parce que nous sommes une des trois plus grandes institutions financières de Malte. Cela signifie que nous devons satisfaire à l’ensemble des critères et obligations des grandes banques, y compris les stress tests. C’est une garantie pour la solidité de la banque.”

“Les épargnants n’hésitent plus à opter pour des alternatives.”

Et selon Alain Moreau, les clients se tournent bel et bien vers MeDirect. La banque comptait 80.000 clients dans notre pays au début cette année, mais enregistre une accélération des arrivées depuis le début de l’été. “Le débat sur le taux d’épargne fait rage depuis plusieurs mois dans les médias et sur la scène publique. Cela a sorti l’épargnant de son hibernation.”

Alain Moreau ne veut pas donner de chiffres concrets mais affirme que la banque a déjà atteint son objectif annuel en termes de nouveaux clients: “Nous remarquons que les épargnants sont frustrés par la faiblesse des taux sur l’épargne. C’est ce manque de concurrence que nous voulons briser avec MeDirect. Le client réagit, l’argent recommence à circuler. Les épargnants n’hésitent plus à opter pour des alternatives. Jusqu’il y a 18 mois, ils ne le faisaient pas parce que les taux d’épargne étaient bas partout. On ne change pas de banque pour cinq euros de plus ou de moins. Aujourd’hui, les taux font bel et bien une différence.”

Mais ne vous attendez pas à un transfert massif de dépôts d’épargne, prévient Alain Moreau. “Lors de ma période à la Deutsche Bank, nous sommes parvenus à attirer 12 milliards d’euros dans nos produits d’épargne, notamment grâce à quelques campagnes spectaculaires. Rabobank a tiré 8 milliards du marché. Sur les 300 milliards d’euros placés sur les comptes d’épargne, ce n’est pas tellement. Mais les challengers peuvent également inciter les clients à entrer en discussion avec leur banquier et à obtenir de meilleures conditions. C’est ce que nous essayons de faire avec MeDirect: réveiller le marché.”

Vive le bon d’Etat

D’où le fait qu’Alain Moreau se positionne positivement vis-à-vis du bon d’Etat, bien que la banque ne commercialise pas elle-même le produit: “Le bon d’Etat a dynamisé le marché. Nous aurions aimé proposer le produit à nos clients, mais ce n’est pas possible parce que nous n’avons pas eu suffisamment de temps pour régler toutes les modalités avec l’Agence de la dette.”

Moreau n’est pas d’accord avec les banques qui ont critiqué le bon d’Etat, notamment en dénonçant une concurrence déloyale: “Avec l’avantage fiscal sur le livret d’épargne, les banques ont profité de la masse d’épargne pendant des années. C’était une source de financement extrêmement bon marché. Pour les banques, le compte d’épargne est sans doute le produit le plus rentable. Certaines ne font toujours pas primer l’intérêt du client. A l’époque du bon Leterme en 2011, nous étions, à la Deutsche Bank, la seule banque à promouvoir ouvertement le produit. De nombreuses banques n’aiment pas non plus les trackers. Comme elles n’y gagnent rien, elles ne les promotionnent pas. Elles proposent certes des comptes à terme, mais pas de manière proactive, et ne sont pas transparentes sur les tarifs.”

“Nous avons prouvé que notre modèle pouvait être rentable.”

Ce, au contraire de MeDirect, selon Alain Moreau. Les taux des comptes d’épargne et des comptes à terme figurent sur le site web et sont identiques pour tout le monde. En matière de fonds d’investissement, la banque dit avoir l’assortiment le plus complet et le plus diversifié sur le marché belge, sans facturer aucun frais d’entrée ou de garde.

Le modèle de rentabilité de MeDirect dans les fonds de placement repose sur les rétrocessions que lui versent les gestionnaires d’actifs qui gèrent les fonds. Ces indemnités de distribution sont cependant sous pression. L’Europe veut limiter les rétrocessions aux cas où la banque a conseillé l’achat du fonds concerné. Si le client fait son choix lui-même et la banque se contente d’exécuter l’ordre (“execution only”), plus aucune rémunération ne pourrait revenir au distributeur. Selon Alain Moreau, il existe cependant des alternatives: “Aux Pays-Bas, nous sommes depuis peu actifs sur le marché des clients fortunés avec nos produits d’investissement. Là-bas, les rétrocessions sont totalement interdites. Et pourtant, nous gagnons de l’argent. Il existe des solutions alternatives, comme les service fees sur l’exécution d’ordres ou la facturation de frais de transaction”.

Scale-up et bénéfices

Notamment en raison de la crise sanitaire et des lourds frais d’investissement, MeDirect a longtemps perdu de l’argent. L’an dernier, la banque a encore essuyé une perte de 5,6 millions d’euros malgré un doublement des produits d’intérêts. Mais tout devrait changer en 2023.

“Nous avons réalisé un bénéfice de 1,8 million d’euros au cours des six premiers mois de l’année, affirme Alain Moreau. Malgré le fait que nous ayons continué à investir, tant dans le personnel que dans l’informatique. Nous profitons de la hausse des volumes d’épargne et de crédit, de l’arrivée de nouveaux clients et naturellement de la hausse des taux.”

Selon Alain Moreau, il faut voir MeDirect comme une entreprise qui est sortie de sa phase start-up: “Nous avons beaucoup investi ces dernières années et nous avons prouvé que notre modèle pouvait être rentable. Aujourd’hui, nous avons atteint le stade de scale-up et nous allons donc nous concentrer sur l’accélération de notre croissance.”

Via le MDB Group maltais, MeDirect est indirectement entre les mains de la société d’investissement britannique AnaCap Financial Partners. Ce fonds de private equity est actuellement en discussion avec un consortium d’investisseurs qui veulent soutenir l’expansion de MeDirect. Alain Moreau ne veut pas confirmer que ces discussions pourraient déboucher sur une injection de capitaux frais. Il n’est pas personnellement impliqué dans les négociations, mais évoque de “nouveaux investisseurs avec une vision à long terme qui sont prêts à soutenir la stratégie de croissance”.

Selon lui, la croissance doit en premier temps se situer en Belgique. “Nous avons énormément à gagner en Belgique, tant en matière de crédits, d’épargne et de produits d’investissement. Il y a un marché pour une banque centrée sur les clients qui ne veulent pas payer trop cher pour un bon assortiment de produits financiers. Pour les smart investors, ceux qui font la comparaison entre le rendement et les frais, MeDirect est une option très attrayante.”

Profil

· Né en 1968 à Tournai

· Diplôme d’ingénieur civil (physique) à l’UCL (Louvain- la-Neuve)

· Head of financial engineering chez Crédit Lyonnais Belgium (1995-99)

· Chief investment officer(1999-2005) et chief operating officer(2005-2009) chez Deutsche Bank Belgique

· CEO de Deutsche Bank Belgique de 2009 à 2019, global head of investment products chez Deutsche Bank Group (Francfort)

· Pendant un congé sabbatique à partir de 2020, devient entrepreneur à impact chez Farming for Climate

· Arrive chez MeDirect en mars 2023, officiellement CEO depuis cet été

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