La réduction d’impôt pour les fonds de développement disparaît mais “même sans avantage fiscal, vous pouvez faire la différence”

Microfinance. 77% de la microfinance d’Alterfin bénéficie aux femmes. © PG
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Quiconque achètera des actions d’un des quatre fonds de développement reconnus après juin 2026 ne pourra plus rien récupérer de cet investissement via la déclaration d’impôt. Pourquoi le gouvernement De Wever met-il fin à la réduction d’impôt de 5% dont ces investissements bénéficiaient depuis 2010 ? Et quelles en sont les conséquences ?

Le gouvernement De Wever cherche de l’argent dans tous les recoins pour augmenter les investissements dans la défense. L’accord de gouvernement contient une liste de 13 réductions d’impôt, exceptions et exonérations qui disparaîtront. Le premier point de cette liste est “la réduction d’impôt dans le cadre des investissements dans les fonds de développement pour la microfinance”. Ceux qui pensaient que le gouvernement avait oublié cette ligne de l’accord en seront pour leurs frais.

Dans le “projet de loi portant des dispositions diverses” que le gouvernement a déposé le 3 juillet, on peut lire que la réduction d’impôt de 5% pour l’acquisition d’actions de fonds de développement reconnus ne sera plus accordée pour les versements effectués après le 30 juin 2026. Le gouvernement conserve jusqu’à l’exercice d’imposition 2030 le droit de récupérer une partie des avantages fiscaux obtenus, si vous revendez les actions dans les cinq ans suivant leur achat. Le projet de loi devrait encore être voté par le Parlement avant la pause estivale.

Lors de l’exercice d’imposition 2024, 1.558 contribuables ont bénéficié de la réduction d’impôt pour les fonds de développement, pour un montant total de 243.803,75 euros, selon les chiffres du Service Public Fédéral Finances. Pour l’État, la suppression représenterait une économie de 225.858,17 euros, soit le coût budgétaire calculé par le SPF Finances.

1.558 contribuables ont bénéficié de la réduction d’impôt pour les fonds de développement en 2024.

À titre de comparaison : le produit de l’impôt sur les plus-values est estimé par le gouvernement à 250 millions d’euros en 2026 et, à vitesse de croisière, il devrait rapporter 500 millions d’euros en 2029. Il est peu probable que la suppression de l’avantage fiscal pour les investissements dans les fonds de développement fasse autant de bruit que l’impôt sur les plus-values. Pourtant, ce n’est pas un sujet éloigné de notre quotidien.

“Pour 62,5 euros, vous achetez une action d’Alterfin, avec laquelle nous pouvons soutenir deux entrepreneurs ou agriculteurs dans des pays à faibles revenus.” – Caterina Giordano (Alterfin)

Aide au développement

“Si la pauvreté augmente dans les pays africains, il y aura davantage de conflits, davantage de personnes en fuite, et au final, nous en subirons les conséquences en Europe, et donc aussi en Belgique, affirme Caterina Giordano, responsable de l’impact social de la coopérative sociale Alterfin. Peut-être devrons-nous alors encore augmenter les investissements dans la défense. Investir dans la défense doit aller de pair avec la coopération au développement, et l’aide au développement, ce n’est pas seulement investir à l’étranger, mais aussi dans notre propre pays.”

“Depuis quelques années, une tendance mondiale a vu le jour, qui consiste à octroyer de moins en moins d’aide au développement, poursuit Caterina Giordano. Depuis que le président américain Donald Trump a coupé les vivres à USAID, il est devenu normal et acceptable pour les pays de tourner le dos à ceux qui souffrent des effets du changement climatique ou des conflits.” Selon une étude récente du journal médical The Lancet, la disparition d’USAID entraînera, d’ici 2030, 14 millions de morts supplémentaires dans le monde, dont 4,5 millions d’enfants de moins de cinq ans.

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La Belgique n’est pas les États-Unis. Mais Oxfam Belgique a néanmoins averti immédiatement après la prestation de serment du nouveau gouvernement fédéral qu’une “économie de 1,2 milliard d’euros dans la coopération au développement” était prévue. L’organisation 11.11.11 a remarqué que, pour la première fois, le gouvernement De Wever abandonnait l’objectif international de consacrer 0,7% du revenu national brut à l’aide au développement. En 1970, les pays riches des Nations unies, dont la Belgique, ont promis de consacrer cette part de leur revenu aux pays pauvres afin d’atteindre les objectifs de développement durable. L’objectif de 0,7% est également inscrit dans la loi du 13 mars 2013 sur la coopération belge au développement, mais n’a jamais été atteint.

En outre, l’accord de gouvernement stipule que la coopération au développement sera désormais assortie de conditions, telles que “le rapatriement des étrangers déboutés, la coopération dans les domaines de la justice, de la sécurité, de la politique des visas et de la fraude sociale”.

Cacao. Les investissements dans les quatre fonds de développement reconnus baissent depuis six années consécutives. © PG

Pas de dons

Caterina Giordano craint que la suppression de la réduction d’impôt pour les fonds de développement n’entraîne une diminution du nombre de personnes achetant des actions coopératives d’Alterfin. Le fonds de développement a été fondé en 1994 par 11.11.11, en collaboration avec huit ONG de coopération au développement, dont Rikolto, et deux banques, dont Triodos. Alterfin collecte surtout de l’argent auprès de particuliers et, dans une moindre mesure, auprès d’organisations souhaitant que leurs investissements aient un impact social.

Il ne s’agit donc pas de dons aux fonds de développement, mais d’investissements à rendement limité. Les coopérateurs d’Alterfin ont reçu un petit dividende dans 24 des 25 dernières années. Seule l’année 2016 n’a pas permis un versement. Les coopérateurs peuvent aussi récupérer leur mise s’ils ont besoin de l’argent ou ne souhaitent plus être coopérateurs. Comme dans toute société coopérative, ils doivent en faire la demande dans la première moitié de l’exercice comptable.

“Nous communiquons peut-être trop sur le rendement financier et trop peu sur le rendement sociétal, estime Caterina Giordano. Pour 62,5 euros, vous achetez une action coopérative d’Alterfin, avec laquelle nous pouvons soutenir deux entrepreneurs ou agriculteurs dans des pays à faibles revenus. Vous pouvez vraiment faire la différence avec votre épargne. Par votre investissement, vous contribuez à la sécurité alimentaire mondiale. Que représente la perte de cette réduction d’impôt de 5% la première année de votre investissement comparée au grand impact que vous avez avec votre argent ? Mais je crains malgré tout que nos investisseurs belges se mettent en quête d’investissements avec plus d’avantages fiscaux.”

Une grande partie des aliments consommés dans l’Union européenne provient de l’extérieur de celle-ci. Surtout les fruits, les noix, le café, le thé, le cacao et les épices sont massivement importés. Pour certaines catégories de produits, nous dépendons d’un seul ou de quelques pays. Ainsi, plus de 70% du cacao en Belgique vient de Côte d’Ivoire, du Ghana ou du Nigeria, trois pays d’Afrique de l’Ouest. Entre autres à cause des problèmes climatiques, nos figurines en chocolat pour la Saint-Nicolas ou les œufs de Pâques deviennent beaucoup plus chers. Avec le soutien d’ONG belges comme Rikolto, on plante de plus en plus d’arbres d’ombrage, comme des bananiers ou des manguiers, entre les cacaoyers, pour les protéger de la chaleur extrême.

Les investissements dans les quatre fonds de développement reconnus – Alterfin, Incofin, BRS Microfinance et Oikocredit – diminuent depuis six années consécutives, tant en nombre de contribuables qu’en montants. La perte de l’exonération automatique du précompte mobilier joue sans doute un rôle important à ce sujet. Avant 2018, aucun impôt n’était prélevé sur les dividendes d’Alterfin et des autres fonds. Aujourd’hui, l’impôt est d’abord retenu. Ensuite, les coopérateurs d’Alterfin peuvent réclamer le remboursement via leur déclaration, jusqu’à un maximum de 249,90 euros. Cela signifie davantage de tracas administratifs et une exonération fiscale différée. Ce ne serait pas la première fois que les investisseurs belges adaptent leur comportement en fonction du cadre fiscal.

“Que représente la perte d’une réduction d’impôt de 5%, comparée au grand impact que vous avez avec votre argent ?” – Caterina Giordano

Maillon de la chaîne

“Nous venons en aide aux entreprises dans les pays en développement au moment où elles ne reçoivent pas encore la confiance d’autres bailleurs de fonds, explique Caterina Giordano. Ainsi, nous libérons leur potentiel. Après nous, d’autres investisseurs suivent souvent. Nous rendons les entrepreneurs plus résilients face aux chocs. Dans des pays sans assurance maladie ni garantie de revenu, on peut basculer dans la pauvreté si son enfant tombe malade ou si la récolte échoue. Nous essayons, via la microfinance, de lisser les revenus et de rendre les gens plus résistants face aux revers. Si, en cas de revers, les gens peuvent puiser dans leur épargne, ou à défaut contracter un nouveau microcrédit, plutôt que de faire appel à des crédits usuraires, nous considérons cela comme un succès.”

Microcrédits. Alterfin rend les entrepreneurs des pays en développement plus résilients face aux chocs. © PG

Alterfin travaille avec des institutions de microfinance – autrement dit, des banques pour ceux qui ne peuvent pas s’adresser aux banques classiques – mais aussi avec des coopératives agricoles qui exportent des produits avec un label Fairtrade, Bio ou Rainforest Alliance. “Nous aidons près de 5 millions de personnes dans plus de 30 pays. Nous ne voulons pas utiliser le mot ‘impact’ à la légère. C’est pourquoi nous mesurons notre impact en recueillant des données qualitatives sur la situation économique des clients. Ce sont eux qui doivent nous dire si nous avons eu un impact sur leur vie ou non.”

Financiera FDL, au Nicaragua, est une telle institution de microfinance. Depuis 2002, Alterfin lui a accordé 13 prêts et a aussi investi une fois dans le capital de FFDL, pour un montant de 9,4 millions d’euros. Cet argent a permis à FFDL d’aider 45.000 personnes à obtenir un crédit, dont 70% d’agriculteurs et 51% de femmes, selon une étude d’impact d’Alterfin. Le microcrédit moyen s’élevait à 1.970 euros. Un sondage auprès des emprunteurs montre que 97% indiquent que leur situation économique s’est améliorée, et 53% parlent d’une amélioration significative. Ils progressent en matière de logement, d’épargne de précaution et d’accès à l’éducation pour leurs enfants.


En Côte d’Ivoire, Alterfin a accordé, depuis 2009, 13 prêts de plusieurs centaines de milliers d’euros à plus d’un million d’euros en fonds de roulement à la coopérative Ecookim. Cet argent permet aux agriculteurs concernés d’acheter des semences et des engrais pour cultiver du cacao. Ainsi, Ecookim n’a plus besoin de demander un préfinancement aux acheteurs de ses produits et bénéficie de davantage de confiance auprès d’autres investisseurs. Après Alterfin, dix autres investisseurs sont intervenus, pour plus de 20 millions d’euros. Alterfin est un pionnier ou premier bailleur externe de fonds, un maillon important de la chaîne. L’organisation mise fortement sur une agriculture durable et tournée vers l’avenir. “L’agriculture contribue au dérèglement climatique, mais les agriculteurs en sont aussi les premières victimes”, rappelle Caterina Giordano.

Selon le site web d’Alterfin, 77% des microcrédits bénéficient aux femmes. “C’est aussi ce que nous visons. Nous avons constaté que les femmes ont davantage tendance à investir dans la famille et les enfants. Elles sont aussi plus solvables et remboursent mieux leurs prêts. C’est une situation gagnant-gagnant. Nous créons plus d’impact et nous courons moins de risques financiers. Nous cherchons aussi à collaborer avec des organisations dirigées par des femmes. Vous croyez que nous leur faisons une faveur, mais c’est à nous que nous faisons une faveur. Leurs produits sont souvent meilleurs, car elles écoutent mieux leurs clients que les organisations dirigées par des hommes. Ce n’est pas de la charité.”

Les dons aux bonnes causes fiscalement moins intéressants aussi

La réduction d’impôt pour ceux qui font un don d’au moins 40 euros à une œuvre reconnue passe cette année de 45 à 30%. Celui qui fait un don de 100 euros en 2025 récupérera donc encore 30 euros via l’impôt des personnes physiques en 2026. On ne sait pas quelle part de ces dons est utilisée dans le pays et quelle part à l’étranger. C’est le septième point de la liste des 13 avantages fiscaux à supprimer dans l’accord de gouvernement.

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