France : “Une coalition centriste est le scénario privilégié par les marchés”
Les Français ont élu de nouveaux députés ce dimanche, et la réaction des marchés a été calme. Qu’est-ce que cela nous dit sur le paysage politique en France ? À quoi peut-on s’attendre dans les semaines à venir ? Mathieu Savary, spécialiste des marchés européens chez BCA Research, nous apporte des éléments de réponse.
Trends-Tendances : Quelle est la réaction qu’on a pu observer sur les marchés depuis l’annonce des résultats des élections législatives, et comment l’interpréter ?
Mathieu Savary : Il n’y a pas eu beaucoup de réactions sur les marchés, ni dimanche soir, ni ce lundi. Ce n’est pas surprenant, car quand on regarde les résultats, on voit que le Rassemblement national a beaucoup moins bien performé que prévu, la coalition de gauche, qui inclut l’extrême gauche, en sort dominante et c’est le camp de Macron qui a le plus performé : pour une estimation d’environ 70 sièges, Ensemble! termine finalement avec 168 sièges. C’est une situation où personne ne comprend ce qui a pu se passer, l’incertitude est complète.
Aussi, il y avait déjà une prime de risque importante incorporée dans les actifs français et européens avec la dissolution de l’Assemblée nationale, début juin. Mais la bonne nouvelle à l’heure actuelle est que les extrémistes n’ont pas de majorité. Mais, en même temps il n’est pas clair ce qui va se passer dans le futur. Les marchés sont donc dans une position de wait and see, en attendant la composition du gouvernement.
Pour les semaines à venir, il faudrait donc plutôt s’attendre à un marché calme ?
Oui, notre opinion est que dans les semaines à venir, les marchés vont bénéficier du fait que les risques à court terme pour l’économie française et européenne ont diminué. Le “Frexit” n’aura pas lieu. Ce n’était pas un risque réel, mais un risque qui était notamment perçu par des investisseurs en Asie et en Amérique du Nord.
Mais là, où il peut y avoir de l’inquiétude, c’est que Mélenchon veut augmenter les dépenses publiques de 370 milliards d’euros et augmenter les taxes sur les riches et les entreprises de 90%. En réalité, il est incapable de mettre cela en place, même s’il était premier ministre – dans une extrapolation qui n’arrivera pas – car le Nouveau Front populaire n’a pas assez de voix pour cela. Il aurait besoin du soutien des centristes, qui ne permettraient pas ce programme.
Ce qui est finalement très réel, c’est la probabilité de voir aboutir une grande coalition comme en Allemagne. Le Nouveau Front populaire n’est pas solide, il y a déjà des fissures qui émergent, nous pensons qu’il est probable qu’il se divise dans les semaines à venir. Il y aurait alors une coalition centrée sur Ensemble et elle incorporerait les socialistes, les écologistes, le centre droit et certains Républicains. C’est, à l’heure actuelle, le scénario le plus probable et celui que les marchés accueilleraient avec grande joie.
Emmanuel Macron a d’ailleurs refusé la démission du gouvernement, ce lundi. Il aurait pu l’accepter, cela aurait été la logique historique. Cela ne garantit pas qu’il y aura une grande coalition, mais c’est le signe que Macron va en tout cas pousser pour.
Peut-on alors s’attendre à de la volatilité sur les marchés, au fur et à mesure que les négociations avancent ? Si par exemple il y a des rumeurs que la France Insoumise se retrouve au gouvernement ?
Les marchés émettent des probabilités sur des scénarios. A l’approche des élections, il y a eu de gros changements sous-jacents dans les probabilités, mais il n’y a pas eu d’impact sur le marché. La possibilité, négative, de LFI au pouvoir a augmenté, mais celle, positive, d’une coalition centriste aussi. Cela créé un effet net-net, qui a un impact neutre sur le marché. C’est un fait aujourd’hui que la probabilité que LFI arrive au pouvoir est la plus élevée, car dans le groupe NFP les insoumis ont le plus de sièges.
Mais, notre hypothèse reste que ce front va se diviser. Ce sont d’ailleurs les socialistes qui ont créé la plus grosse surprise et ont fait bien mieux que LFI (le PS a doublé son nombre de sièges, tandis que LFI en a gagné un, NDLR). Faure est en position de force face à Mélenchon. Ce qui fait que ce groupe artificiel ne survivra pas car aussi bien Faure et le PS et Mélenchon et LFI peuvent dire “on est en charge”.
Quels sont les autres risques ou événements, liés aux élections législatives françaises, qui pourraient avoir lieu et avoir un impact sur le marché ?
Ce qui va dominer, c’est la formation du gouvernement, c’est là-dessus que tout va se jouer. Mais il peut y avoir d’autres éléments, par exemple quel est l’impact du nouveau gouvernement sur d’autres pays, comme l’Allemagne ? Ou, quelle sera la réaction de la Commission européenne, maintenant que la France est dans un processus de déficit excédentaire ? Sera-t-elle impatiente ou tolérante durant les négociations ? C’est un facteur qui pourrait contribuer à la volatilité. Et quelle sera la réaction de l’Italie ? Pour l’instant, elle joue le jeu de la Commission, mais qu’en serait-il s’il y avait un gouvernement moins centriste et pro-européen en France ?
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