L’annonce de la démission de Luca de Meo a fragilisé Renault dans un contexte d’intenses tensions commerciales. Pourtant, malgré ces vents contraires, le groupe dispose de solides atouts, et d’autres opportunités commencent également à se dessiner dans le secteur automobile.
Directeur général de Renault depuis juillet 2020, Luca de Meo a su traverser la crise sanitaire et redynamiser les performances du groupe. L’an dernier, Renault a enregistré un résultat opérationnel de 4,3 milliards d’euros, en hausse de 60% par rapport à 2019. Le redressement est encore plus spectaculaire en matière de flux de trésorerie disponible, passé de 153 millions à 2,9 milliards d’euros.
Accélération d’Alpine
Comme Fiat avec Abarth ou Seat avec Cupra, Luca de Meo a marqué son passage chez Renault en développant une marque à forte identité : Alpine. Timidement relancée en 2016 par Carlos Ghosn avec la seule A110, Alpine connaît un véritable coup d’accélérateur sous la direction de Luca de Meo.
Dès 2021, l’écurie de Formule 1 Renault est rebaptisée Alpine, afin d’ancrer durablement la marque dans l’esprit des passionnés d’automobile. Cette exposition a permis au constructeur normand de susciter l’intérêt des prospects, en amont du lancement de son premier modèle électrique en 2024, l’A290. Ce dernier a permis à Alpine de plus que doubler ses ventes en Europe, au cours des cinq premiers mois de l’année. Et le lancement du SUV A390, prévu en fin d’année, pourrait à nouveau stimuler la croissance.
Ce savoir-faire de Luca de Meo en matière de stratégie de marque explique sans doute sa nomination à la tête du groupe de luxe Kering. Un virage étonnant pour cet Italien qui a passé toute sa carrière dans l’automobile.
Stratégie lisible
Quoi qu’il en soit, les marchés ont perçu le départ de Luca de Meo, effectif au 15 juillet, comme une lourde perte pour Renault : le titre a chuté de 9% le jour de l’annonce. Les investisseurs redoutent certainement une répétition du scénario de 2018, lorsque le long mandat de Carlos Ghosn s’était terminé de manière rocambolesque avec son arrestation au Japon. Entre le pic de 2018 et le creux de mars 2020, l’action avait plongé de 84%.
Le contexte est toutefois bien différent. Le départ forcé de Carlos Ghosn s’inscrivait dans un climat de tensions croissantes avec Nissan, qui contestait les rapports de force au sein de l’alliance. Cette dernière est aujourd’hui bel et bien dissoute : les deux groupes ont repris leur autonomie opérationnelle en 2023 et ont entamé le démantèlement progressif de leurs liens capitalistiques. Renault a d’ores et déjà cédé trois blocs d’actions Nissan et poursuit la vente graduelle de sa participation, aujourd’hui évaluée à 35,7%. Nissan, de son côté, ne détient plus que 15% du capital de Renault, une part qui devrait prochainement être réduite à 10%.
La situation stratégique de Renault est ainsi bien plus lisible et structurée autour de trois marques : Dacia sur les premiers prix, Renault sur le cœur de gamme et Alpine sur le segment premium. À cela s’ajoute Ampere, entité dédiée à la stratégie électrique et numérique du groupe, dont l’ambition est d’accélérer le développement et la production de modèles électriques (abordables).
Ampere concrétise
Ce pôle n’a pas toujours suscité l’enthousiasme des marchés : Renault a ainsi dû renoncer à une cotation distincte d’Ampere au début de 2024. Depuis, les lancements des Alpine 290 et Renault 5 – troisième modèle électrique le plus vendu en Europe en 2025 – ont permis de concrétiser les ambitions affichées.
Pour accélérer son développement, Ampere est allé chercher l’inspiration en Chine, là où l’électrification est la plus avancée. Sur le premier marché automobile mondial, les véhicules à “nouvelle énergie” (essentiellement électriques et hybrides rechargeables) représentent déjà la majorité des ventes. Grâce à son centre de R&D local, l’Advanced China Development Center, Ampere renforce son savoir-faire technologique, ainsi que sa maîtrise des chaînes d’approvisionnement.
Il prévoit notamment d’intégrer, dès 2026, des batteries LFP (lithium-fer-phosphate), très populaires en Chine en raison de leur coût inférieur. Produites en Europe de l’Est au sein d’une filière dédiée, ces batteries seront conçues pour permettre l’intégration directe des cellules dans le boîtier du véhicule, sans modules intermédiaires. Ce choix permet de gagner en compacité et d’optimiser l’autonomie, un enjeu crucial pour la technologie LFP dont la principale limite reste une densité énergétique inférieure à celle des batteries classiques.
La Twingo 4 électrique, attendue pour début 2026, devrait être le premier modèle du groupe à en bénéficier, avec pour objectif affiché un prix de lancement sous la barre des 20.000 euros.
Les analystes positifs
Même si les analystes jugent le départ de Luca de Meo comme une mauvaise nouvelle, ils n’en ont pas moins maintenu leurs recommandations. Ainsi, José Asumendi, de J.P. Morgan, souligne que Renault dispose “d’un solide vivier” de dirigeants de marques, à l’image de Denis Le Vot, directeur de Dacia et l’un des favoris pour succéder à l’Italien.
Pour remplacer Luca de Meo, Renault dispose “d’un solide vivier” de dirigeants de marques.
Rella Susking de Morningstar, a pour sa part confirmé sa valorisation cible de 80 euros par action Renault, plus du double du cours actuel, tout en se disant favorable à une promotion interne “pour garantir la continuité d’une stratégie fructueuse”.
Un argument supplémentaire en faveur du constructeur : son positionnement centré sur l’Europe, qui représente 80% de son chiffre d’affaires, les marchés turc, brésilien et sud-coréen complétant ce périmètre. Renault échappe ainsi, pour l’essentiel, aux droits de douane américains et aux tensions sino-européennes dans le secteur automobile.
Dans ce contexte, deux tiers des analystes recommandent l’achat, avec un objectif de cours moyen à 57,44 euros. Signe que le titre est très bon marché, à moins de quatre fois le bénéfice de 2024, même l’objectif le plus prudent de 47 euros laisse entrevoir un potentiel de revalorisation sensible.
Volkswagen, exposé mais bon marché
En termes de potentiel haussier, seul Volkswagen se rapproche de Renault parmi les constructeurs automobiles, avec une marge de progression estimée à 3% par rapport à l’objectif de cours moyen de 119 euros (pour l’action privilégiée, ticker VOW3). Le constructeur allemand est toutefois davantage exposé aux droits de douane américains – ses ventes aux États-Unis représentant 7% du total – ainsi qu’au marché chinois, où il écoule près d’un tiers de ses véhicules via des coentreprises, mais n’y réalise qu’environ 10% de ses bénéfices.
L’actualité apporte aussi de bonnes nouvelles au groupe, qui profite également des difficultés rencontrées par Tesla. Volkswagen a enregistré une hausse de 64% de ses commandes de véhicules électriques au premier trimestre.
Le titre reste par ailleurs très attractif en Bourse, valorisé à moins de cinq fois les bénéfices. Le consensus est globalement positif, avec 13 recommandations à l’achat ou à l’accumulation sur 21 avis.
Reste qu’un autre segment de l’automobile attire aujourd’hui encore plus l’attention des analystes et des marchés : celui des composants électroniques.
Signaux de reprise
Contrairement aux semi-conducteurs destinés à l’intelligence artificielle, les producteurs de puces pour l’automobile sortent d’une période difficile, marquée par une surcapacité née de la conjonction de plusieurs facteurs : premièrement, des investissements massifs réalisés durant la pénurie de 2020 à 2022, excédant la demande réelle ; deuxièmement, un ralentissement du marché automobile mondial, dont la croissance n’a atteint que 2,5% en 2024, selon l’ACEA ; troisièmement, une réduction des stocks par les constructeurs, dans un contexte d’approvisionnement plus fluide.

Des perspectives de reprise commencent toutefois à émerger. Début juin, Hassane El-Khoury, CEO d’Onsemi, a évoqué “des signes de redressement”, estimant que “le deuxième trimestre devrait marquer un point bas, y compris pour l’automobile”. Même son de cloche du côté de Jean-Marc Chéry, PDG de STMicroelectronics, qui a évoqué “une dynamique de cycle haussier” amorcée dès le début du deuxième trimestre, portée par une nette reprise des commandes.
Après une contraction de 1,2% en 2024, le segment des semi-conducteurs automobiles semble ainsi prêt à renouer avec sa trajectoire de croissance séculaire, portée par la croissance des composants électroniques dans l’automobile.
Opportunités électroniques
Pour miser sur la reprise des semi-conducteurs automobiles, Infineon s’impose comme un choix de premier plan. Leader mondial avec 13,5% de part de marché, le groupe occupe la première ou la deuxième place sur l’ensemble des grands marchés (Europe, Amérique du Nord, Chine, Corée du Sud, Japon), selon le rapport 2024 de TechInsights. Le segment automobile représente 56% de son chiffre d’affaires, ce qui renforce l’optimisme des analystes : 21 des 23 recommandations recensées sont positives.
Son principal concurrent à l’échelle mondiale, NXP Semiconductors, affiche une dépendance similaire au secteur automobile, mais sa valorisation fondamentale est légèrement plus tendue. STMicroelectronics, numéro trois mondial, tire pour sa part environ 45% de ses revenus du segment, ce qui en fait un choix moins évident.
Nonante pour cent des revenus de Melexis proviennent des semi-conducteurs automobiles.
Onsemi, acteur américain de taille plus modeste, tire 55% de ses revenus de l’automobile et se distingue par son positionnement sur des niches à forte croissance, notamment les véhicules électriques et les systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS).
Les investisseurs belges peuvent également se tourner vers Melexis, dont l’exposition est encore plus marquée : 90% de ses revenus proviennent des semi-conducteurs automobiles. Valorisé à 16 fois les résultats (en baisse) de 2024, le titre apparaît aussi plus abordable que ceux de ses concurrents directs.