En Chine, l’économie en repli… mais les entreprises en progrès
La croissance économique de la Chine patine, alors que le différend commercial soulevé par le président Trump souffle régulièrement le chaud et le froid. Faut-il vraiment s’en inquiéter ?
Les études récemment consacrées à la Chine par divers gestionnaires d’actifs mettent en lumière à la fois l’essoufflement de la conjoncture et plusieurs éléments nettement plus positifs. Notamment que le pays dépend beaucoup moins des exportations que naguère, la consommation intérieure étant en plein essor. Ou encore que les actions chinoises sont devenues assez bon marché.
Au-delà des apparences
La croissance du PIB annoncée pour 2018 a déçu, voire inquiété certains : à 6,6 %, elle enregistre sa plus faible performance en 28 ans. Soit depuis 1990, lorsqu’elle pointa à 3,9 % à peine, avant de rebondir jusqu’à un sommet de 14 % en 2007. Ces 6,6 % sont toutefois conformes aux prévisions des économistes, notamment ceux du FMI. Et très proches des chiffres enregistrés en 2016 (6,7 %) et 2017 (6,8 %). En fait, la déception vient plutôt de l’affaiblissement de la croissance au fil de l’année : elle est revenue de 6,8 % au premier trimestre à 6,4 % au quatrième. Dans ce sillage, les prévisions pour 2019 ont été rabotées, la Banque mondiale ayant par exemple ramené la sienne de 6,5 à 6,2 %.
De son côté, la croissance de la production industrielle a subi un fléchissement un peu plus marqué encore en fin d’année, tandis que quelques autres indicateurs pointent un essoufflement. Ainsi la très médiatisée baisse des ventes automobiles constatée en 2018, la première en deux décennies. Le gestionnaire Flossbach von Storch relativise toutefois. D’une part, les ventes ont porté sur 22,7 millions de véhicules neufs l’an dernier (un chiffre qui ne devrait pas progresser en 2019), ce qui est beaucoup dans l’absolu : c’est un tiers de plus qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Par ailleurs, cette stagnation serait largement due à d’autres facteurs que la situation économique : de moindres incitants fiscaux, le frein mis aux immatriculations dans les zones urbaines, ou encore la disparition de nombreuses plateformes de crédit.
Autre indicateur teinté de rouge : le reflux des prix immobiliers relevé dans 22 des 70 premières villes du pays en décembre, un phénomène qui était encore limité à deux d’entre elles à peine au mois d’août. Faut-il toutefois s’en inquiéter ou s’en rassurer ? Voilà en effet plusieurs années que le marché immobilier chinois fait l’objet de commentaires plutôt alarmistes face à l’augmentation continuelle des prix et la formation de bulles.
Plus de rigueur financière
S’il est une bulle chinoise qui fait peur en Occident, c’est celle de l’endettement, car il a explosé au cours de la décennie écoulée. Pas au niveau des chiffres eux-mêmes ; les 250 % du PIB souvent avancés s’entendent en effet pour les dettes combinées de l’Etat, des entreprises et des ménages. Or, en additionnant ces trois agents économiques, on arrive à un ordre de grandeur semblable, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, tandis que la moyenne mondiale s’établit à 230 %.
Les sujets d’inquiétude, ce sont le shadow banking et l’ampleur des crédits à problème. Le premier est cependant moins menaçant aujourd’hui que voici quelques années à peine. Conscient du danger présenté par ce système bancaire parallèle parfois très opaque, le gouvernement lui a mis des bâtons dans les roues. Résultat : il ne représente plus qu’un cinquième des nouveaux crédits, contre la moitié en 2013. On a moins d’apaisements du côté des crédits douteux. Ils ne constituent officiellement que 1,9 % du total, mais la plupart des économistes considèrent que la proportion réelle en est un multiple.
L’action du gouvernement chinois pour restreindre l’emprise de la banque de l’ombre a un côté rassurant et c’est d’ailleurs à elle que l’agence de notation Standard & Poors (S&P) attribue pour l’essentiel la moindre croissance observée en 2018. Plutôt qu’aux menaces qui pèsent sur le commerce international, dont les conséquences se feront sentir plus progressivement. C’est la même volonté de rigueur qui a incité le gouvernement à annoncer, le mois dernier, des mesures de relance finalement assez limitées, qui devraient néanmoins enrayer le recul de la croissance au 2e ou 3e trimestre, juge S&P. ” Le ralentissement de la croissance devrait rester modeste “, estime pour sa part le gestionnaire Schroders.
Entrée en force dans les indices
Au vu de tout ceci, faut-il acheter des actions chinoises ? Filiale du groupe britannique Prudential, le gestionnaire M&G estime que ” les inquiétudes concernant la croissance du PIB détournent l’attention des fondements de l’investissement en actions. A long terme, c’est le rendement des entreprises qui détermine leurs cours et non la croissance économique “. Vérité souvent oubliée, en effet ! Et d’ajouter que le rendement du capital investi est en amélioration, comme l’indique le graphique intitulé ” Profitabilité des entreprises chinoises “. Il illustre l’évolution du CFROI ( cash-flow return on investment, ou taux de rentabilité interne des investissements), un ratio présenté comme le plus représentatif de la rentabilité d’une entreprise. Le CFROI a dépassé 5 % l’an dernier, un niveau à comparer aux 6 % qui prévalent historiquement aux Etats-Unis. Le graphique indique aussi que, après leur recul de 2018, les actions chinoises sont devenues aussi bon marché qu’après le krach de 2008. M&G signale avoir en conséquence augmenté ses positions en Chine.
C’est chez Allianz Global Investors, filiale de gestion d’actifs de l’assureur allemand, que le discours est le plus positif, avec deux accents en particulier : l’élan technologique et le marché intérieur. Certes, dans l’industrie, la part de la valeur ajoutée que l’on doit aux technologies de pointe ne se monte encore qu’à 40 %. C’est moins que dans la plupart des pays occidentaux, qui se situent grosso modo autour de 50 %, l’Allemagne et la Corée du Sud affichant même 70 %. Mais outre que c’est déjà plus qu’en Grèce et au Portugal, cette part est attendue en forte hausse dans les prochaines années, grâce au boom des dépenses de recherche et développement (R&D). Elles atteignent aujourd’hui 2 % du PIB, comme aux Pays-Bas ou en Norvège, contre 3 % environ aux Etats-Unis, au Japon ou en Allemagne, mais elles progressent de 10 % par an, contre quelques pour cent seulement ailleurs.
Autre facette de l’économie chinoise, soulignée par Allianz comme par d’autres : l’explosion du marché intérieur, comme d’ailleurs des exportations vers les autres pays émergents, rend la Chine moins dépendante des ventes vers les Etats-Unis, le Japon et l’Europe. La part de l’export dans le PIB a quasiment baissé de moitié par rapport aux 36 % qu’elle représentait encore en 2006. On relève en passant que les marques locales accaparent actuellement 90 % environ des ventes de smartphones en Chine, contre 10 % à peine en 2010. En passant ? Sans doute s’agit-il au contraire là d’un élément déterminant : au-delà des déboires de Huawei, les entreprises chinoises sont en plein essor. Pas étonnant que le fournisseur d’indices boursiers MSCI ait, en juin dernier, ajouté 233 actions chinoises dans plusieurs de ses indices. Le mouvement va se poursuivre, ce qui entraînera des achats automatiques de la part de nombreux fonds de placement.
En écho aux chiffres officiellement annoncés en ce début d’année par Pékin, plusieurs institutions et économistes ont – une nouvelle fois – fait part de leurs doutes. Ainsi, le Conference Board, organisme d’études économiques américain qui calcule des indicateurs pour une dizaine de pays, considère que la croissance chinoise est, depuis 2015, inférieure de 2,5 à 3 % au chiffre officiel. Le think tank américain Brookings va plus loin. Il vient de publier une étude selon laquelle la croissance annuelle aurait été gonflée de 2 %, en tout cas durant la période 2008-2016, tandis que le PIB du pays serait inférieur de 12 % au chiffre officiel. Mensonge de la part de Pékin ? Non : pas de Pékin mais des gouverneurs de province, qui faussent les données pour faire bonne figure ou masquer qu’ils ont raté les objectifs, comme les autorités l’ont elles-mêmes reconnu. A noter que, à la fin de l’an dernier, Xiang Songzuo, professeur de finance à l’Université du Peuple de Pékin, évoquait même une croissance réelle de 1,67 % à peine en 2018 ! Sa vidéo fut très suivie sur Internet… avant d’être censurée.
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