Le retail belge croule sous les colis chinois. Une taxe belge sur les colis n’y changera rien. Entre-temps, les prix bas continuent de faire fureur. Quels sont les facteurs de succès ? Pour le retail européen, le problème chinois ne fait que s’amplifier.
“Les shoppeuses typiques de Shein sont des filles entre 14 et 18 ans”, explique Roel Gevaers, professeur d’e-commerce à l’Université d’Anvers. “Avant, elles ne pouvaient acheter qu’une ou deux pièces en magasin avec leurs 50 euros d’argent de poche. Aujourd’hui, elles peuvent acheter cinq pièces ou plus chez Shein pour le même montant. Pensez aussi aux familles avec de jeunes enfants, qui devaient auparavant dépenser beaucoup d’argent pour des vêtements dont les enfants grandissaient rapidement. Aujourd’hui, les jeunes mères achètent presque tous leurs vêtements d’enfants sur Shein.”
Données consommateurs et gamification
Les webshops chinois savent aussi beaucoup mieux ce que vous voulez. “Dans un webshop classique, vous voyez beaucoup de choses qui ne vous plaisent pas”, dit Gevaers. “Shein et Temu misent cependant massivement sur les données consommateurs, pour vous proposer des produits qui répondent à vos critères. Grâce à cette offre ciblée, vous passez à l’achat beaucoup plus rapidement. Un consommateur adolescent passe en moyenne plus d’une demi-heure sur l’application de Shein ou Temu. Sur TikTok Shop – déjà actif en France et au Royaume-Uni, et bientôt en Belgique – le consommateur passe en moyenne deux heures par jour. Deux heures : vous pouvez déjà collecter pas mal de données consommateurs.”
Gevaers souligne aussi le rôle puissant de la gamification. “Si vous scrollez sur Temu, vous voyez souvent apparaître un jeu de 30 secondes ou d’une minute. Vous pouvez par exemple faire tourner une roue de la fortune, qui vous rapporte 5 euros de réduction si vous faites un achat dans les 5 minutes.”
Prix bas, utilisation intensive des données consommateurs, offre ciblée, gamification, et campagnes marketing qui passent presque intégralement par les réseaux sociaux : tout cela fait que les webshops chinois sont largement en tête, surtout auprès des jeunes générations, selon Gevaers. “Les webshops européens ont regardé ailleurs pendant des années et n’ont pas innové. Zalando a reculé parce qu’il ne pouvait pas rivaliser sur les prix, mais aussi parce qu’il est moins axé sur les données, tout comme la plateforme bol. Même s’il faut dire que les webshops européens doivent tenir compte des règles de confidentialité de l’UE. Les webshops chinois aussi, mais ils les appliquent de manière plus flexible.”
L’étape suivante: plus de qualité
Maintenant que Shein et Temu détiennent une grande partie du marché européen, ils passent à la phase suivante. “Plus d’accent sur la qualité et moins sur la quantité”, dit Pascal Coppens, expert de la Chine et auteur. “Le dommage réputationnel – initialement un mal nécessaire dans la quête de volume – doit être effacé. De plus, Shein et Temu n’enverront plus de colis directement de l’usine chinoise au client européen, mais depuis des entrepôts européens. Cela doit non seulement alléger la facture douanière. Maintenant que l’exemption des droits d’importation pour les petits colis disparaît, il est moins cher d’envoyer directement une palette complète vers l’Europe. Cela permet surtout un contrôle qualité plus efficace par les douanes. Ce sont surtout les règles de qualité européennes qui poussent les webshops chinois vers la phase suivante.”
Plus de qualité signifie aussi des prix plus élevés, et donc moins de concurrence pour le retail européen ? “Au contraire, pour le retail européen, le problème ne fait que s’amplifier”, dit Coppens. “Les Chinois vont atteindre nos normes de qualité, mais pourront encore produire beaucoup moins cher. Nous sommes en train de renforcer nos propres concurrents. Les Européens pourront acheter sur Temu une qualité européenne à des prix chinois. Le secteur retail européen va suivre le même chemin que le secteur automobile européen.”