La folie du matcha fait exploser les prix de ce thé vert en poudre

Matcha latte, image d'illustration. (Photo by FREDERIC J. BROWN/AFP via Getty Images)
Charly Pohu

Le matcha, notamment consommé en latte, est devenu un véritable phénomène ces dernières années. Sa popularité est telle que la production japonaise peine à suivre. Les prix du thé s’envolent et les options pour contenir cette hausse restent limitées.

Le matcha a gagné une popularité extrême dans nos contrées ces deux à trois dernières années, surtout sous forme de matcha latte, ce thé mélangé à du lait. D’un vert vif et éclatant, il est aujourd’hui disponible dans presque tous les coffee shops, mais aussi sur les fils Instagram et TikTok de nombreuses influenceuses et de nombreux influenceurs… parfois enrichi de coulis de fruits rouges ou d’autres baies en plus du lait. Car oui, c’est surtout sur les réseaux sociaux que cette nouvelle hype est née.

Le matcha, en lui-même, est pourtant vieux comme le monde. Les Japonais consomment ce thé vert — une infusion de poudre de feuilles de thé — depuis des siècles. Sans lait : la préparation traditionnelle consiste à le diluer dans de l’eau chaude, puis à le fouetter à l’aide d’un ustensile en bambou.

Explosion du prix

Le matcha reste aujourd’hui une exclusivité du Japon… mais la production n’arrive plus à suivre. La demande dépasse largement l’offre, des pénuries apparaissent et les prix de la matière première, le tencha (les feuilles de thé séchées), s’envolent. Lors des ventes aux enchères à Kyoto, un record a été atteint plus tôt cette année : 8.235 yens le kilo (près de 50 euros), soit une hausse de 170 % en un an. Cette matière première doit ensuite être moulue, un processus délicat. Le produit final augmente aussi : le géant du thé Ito En vient par exemple d’annoncer une hausse des prix de 50 à 100 % pour ce mois de septembre.

Et l’écart entre l’offre et la demande n’est pas près de se résorber, du moins pas du côté de l’offre. Pour ne rien arranger, “les récoltes ont été bien moins bonnes que l’année passée, principalement à cause des conditions climatiques. On a eu un été extrêmement chaud au Japon, ainsi que d’autres phénomènes comme des gelées tardives, des pluies violentes, des sécheresses. Tout cela perturbe les récoltes et les rendements”, explique François Van den Brulle, fondateur d’Iro, une marque belge spécialisée dans le matcha depuis 2016.

La première récolte, la plus qualitative

Pour produire du matcha, la première récolte est la plus qualitative. Elle a lieu en avril-mai. Le matcha n’est disponible qu’en septembre. Le tencha – la matière première du matcha, c’est-à-dire les feuilles qui ont été passées à la vapeur, séchées et desquelles on a retiré les tiges et les nervures – doit en effet reposer et “s’affiner” pendant l’été pour développer toutes ses saveurs. Ce sont ces feuilles qui offrent la meilleure saveur et la couleur la plus éclatante… et qui sont aussi les plus prisées, donc les plus chères. “Cela dépend des régions évidemment, car elles n’ont pas toutes exactement les mêmes conditions climatiques. Et parfois, c’est très localisé. Mais en général, on a constaté une baisse de rendement de 15 à 40 %. Parfois c’est même pire : j’ai récemment discuté avec un producteur de thé qui obtenait habituellement 700 kilos lors de la première récolte… cette année, il n’en a récolté que 300”, détaille François Van den Brulle.

“Cela devient très difficile de s’approvisionner au Japon. Moi, je suis dans le milieu depuis presque dix ans, donc j’ai de bons contacts avec mes fournisseurs là-bas. Mais malgré cela, c’est compliqué : la demande dépasse l’offre, les délais de production sont beaucoup plus longs que d’habitude. On fait la file avec de nombreuses autres commandes. Il est difficile aussi de savoir s’il y aura assez de stock pour tenir jusqu’à la prochaine récolte. Il y a beaucoup de chances que non. Déjà l’année passée, c’était très compliqué. Cette année, ça risque de l’être encore davantage”, ajoute l’entrepreneur.

Difficile de produire plus

Il n’est pas simple de pallier cette pénurie, souligne le spécialiste. Le matcha ne représente qu’environ 5 % de la production japonaise de thé. Il demande plus de savoir-faire et de main-d’œuvre que d’autres types de thé, comme le sencha. Les plants doivent notamment être recouverts d’une bâche trois à quatre semaines avant la récolte, afin de limiter la lumière et de développer le goût spécifique du matcha. Cette opération se fait à la main. Tous les producteurs n’ont pas cette expertise et ne peuvent pas l’acquérir du jour au lendemain. François Van den Brulle constate toutefois que certains cultivateurs, qui produisent à la fois du matcha et d’autres types de thé (issus de la même plante mais cultivés différemment), commencent à donner une place plus importante au matcha dans leur production.

Puis, autre problème de taille : la moitié, voire les trois quarts des agriculteurs sont âgés de 60 ans ou plus. Ils peuvent avoir des difficultés à se tourner vers le matcha, car c’est un travail plus physique que d’autres thés. Et leur succession n’est pas toujours assurée, ce qui pourrait encore accentuer le problème, à l’avenir… sauf si la popularité et la hausse des prix du matcha peuvent convaincre des jeunes de reprendre le flambeau, espère l’expert.

Une solution… du côté des consommateurs ?

Pour compenser cette hausse des prix, une piste existe aussi du côté de la demande. Il y a en effet différents types de matcha, ou plutôt différents niveaux de qualité. Le plus réputé est celui de la première récolte, appelé matcha de cérémonie, utilisé à l’origine lors de la cérémonie du thé au Japon, comme décrit plus haut. Viennent ensuite les matchas issus de la deuxième, de la troisième, voire de la quatrième récolte. Plus amers, plus herbacés ou aux notes parfois marines, ils sont qualifiés de “culinaires” car souvent employés en cuisine ou en pâtisserie. Leur couleur tend davantage vers le brun ou le jaune.

“Le problème, c’est que maintenant, avec les réseaux sociaux, les gens disent qu’il faut du matcha de cérémonie pour préparer un matcha latte”, observe l’entrepreneur. Une tendance qui accentue encore la pénurie : ce matcha au goût plus délicat nécessite d’être dosé généreusement pour conserver sa saveur face au lait. “Dans les vidéos, on voit des gens mettre trois, quatre, voire cinq grammes de matcha pour un seul latte. C’est énorme, et cela devient très vite coûteux.”

La solution serait donc de recourir à un mélange : associer du matcha de première récolte avec du matcha de qualité inférieure pour préparer les lattes. Ce type d’assemblage revient moins cher et utilise des récoltes qui, elles, ne sont pas en pénurie. Plus amer, ce matcha demande aussi un dosage moindre : environ un gramme et demi suffit pour un latte.

Mais attention, car il y a mélange et mélange. La distinction entre “cérémonie” et “culinaire” est une création occidentale. Ce n’est pas une appellation régulée. Ce qui permet à des acteurs qui veulent profiter de la hype et de la pénurie de vendre un mélange comme du matcha de cérémonie, sans le mentionner. François Van den Brulle indique qu’il a déjà eu des échos de coffee shops qui ont constaté une baisse de la qualité du matcha reçu de leurs fournisseurs et qui suspectent des mélanges. La marque Iro de son côté indique clairement s’il s’agit de mélanges, et desquels. 

Ralentissement ?

La question qui découle de la pénurie et de la hausse des prix est de savoir si ce phénomène pourrait freiner la folie du matcha. “C’est difficile de prédire la réaction des consommateurs face à une telle flambée. Les hausses sont tout de même assez fortes. Selon les régions du Japon — certaines plus prisées ou moins productives — les prix de la matière première ont été multipliés par deux, voire par trois. Mais cela ne veut pas dire que le prix final payé par le consommateur suivra la même trajectoire, car d’autres coûts entrent en ligne de compte, comme le transport ou l’emballage”, explique le spécialiste.

“Quant à la réaction des consommateurs, je n’ai pas de boule de cristal. Mais j’ai le sentiment que cela devrait ralentir un peu la consommation. D’une part, certains clients réguliers risquent d’en acheter moins. D’autre part, les personnes qui n’ont jamais goûté pourraient hésiter à franchir le pas, par crainte de ne pas apprécier et de se retrouver avec une boîte entière à la maison”, poursuit-il.

“En revanche, une grande partie de la consommation se fait dans les coffee shops. Je pense que les clients continueront d’y commander des matcha lattes, car la demande existe. Les cafés devront sans doute augmenter légèrement leurs prix. Mais le matcha ne représente qu’une petite part du coût total de la boisson : son prix ne va donc pas doubler, même s’il devrait grimper. Et là, j’ai l’impression que les consommateurs sont moins attentifs au prix. Je ne pense pas que cela freine fortement la consommation hors domicile. Par contre, pour l’achat en magasin ou la préparation à la maison, il pourrait y avoir une baisse”, analyse François Van den Brulle.

Il espère que cette situation contribuera à un rééquilibrage. “On pourrait progressivement revenir à quelque chose de plus normal. Peut-être que le Japon augmentera légèrement sa production de matcha, car les producteurs savent qu’il y a une demande forte à laquelle il faut répondre. La situation pourrait donc se stabiliser. Si ce n’est pas l’an prochain, peut-être l’année suivante. J’espère en tout cas que nous n’aurons pas de nouvelles hausses de prix aussi fortes que celles de cette année.”

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