“Déplorable et choquant” : Danone supprime le Nutri-Score après avoir obtenu une moins bonne note
Le géant alimentaire Danone ne met plus le Nutri-Score sur ses yaourts à boire, après avoir obtenu une moins bonne note. Pour le professeur en nutrition Serge Hercberg, créateur du Nutri-Score, il est “déplorable et choquant” qu’une entreprise abandonne le Nutri-Score si le résultat ne lui convient pas.
Dans plusieurs pays européens, y compris la Belgique, les producteurs alimentaires utilisent le Nutri-Score pour aider les consommateurs à évaluer facilement la santé d’un produit au sein d’un groupe alimentaire spécifique. Le Nutri-Score est déterminé par un algorithme développé par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de France. Cet algorithme associe des aspects positifs comme la teneur en protéines, fibres et légumes à des aspects négatifs comme la teneur en énergie, sucres et graisses saturées. La somme des deux donne un score total. Sur cette base, un produit reçoit une note de A à E. Un A vert foncé signifie que le produit est plus sain, tandis qu’un E orange foncé indique l’inverse.
Les entreprises apposent volontairement le label Nutri-Score sur leurs produits. Danone affirme être l’une des premières à l’avoir fait. Mais à partir de septembre, les labels seront retirés de plusieurs yaourts à boire. Cela concerne les produits laitiers des marques Actimel, Activia, Alpro, Danette, Danio, Danonino et HiPRO.
Une note plus basse
Danone agit ainsi en réaction à la modification de l’algorithme du Nutri-Score. En mars 2023, des nutriscore ont été revus, notamment sur la classification du lait, des boissons lactées, des boissons à base de lait fermenté et des boissons végétales, les faisant passer dans la catégorie des boissons. Auparavant, les yaourts à boire de Danone étaient A. Ils sont passés à une note C ou D dans la catégorie des boissons.
Certains yaourts à boire contiennent beaucoup de sucre, et il est juste qu’ils obtiennent une note plus basse
Serge Hercberg, professeur en nutrition à l’Université Sorbonne de Paris, qualifie de “déplorable et choquant” qu’une entreprise abandonne le Nutri-Score lorsque les résultats ne lui conviennent pas. “Ce n’est pas à l’industrie de définir les règles du jeu”, déclare-t-il à Franceinfo.
“C’est dommage que Danone refuse d’être transparent sur la valeur nutritionnelle réelle de ses produits, et surtout qu’ils participent quand cela les arrange, mais se retirent dès que cela ne les convient plus,” critique le professeur. “D’une entreprise comme Danone, qui affiche un fort engagement social envers la nutrition et la santé, on attend une approche moins axée sur le marketing, dans l’intérêt du consommateur,” ajoute-t-il.
“Beaucoup de sucre”
Selon Hercberg, le changement dans la méthode de calcul est justifié, car la science évolue et le marché alimentaire aussi. “Nous avons fait des progrès dans les connaissances scientifiques. Le Nutri-Score est basé sur des données scientifiques. Il tient compte des informations figurant sur l’étiquette, souvent difficiles à comprendre, comme les graisses, sucres, sel, protéines, fibres, etc. Grâce à un algorithme, cette note est obtenue et régulièrement mise à jour.”
Un yaourt à manger est donné aux enfants après le repas ou comme collation, mais un yaourt à boire est souvent consommé en accompagnement des repas
Le professeur explique que le changement de catégorie des yaourts à boire, passant de produits laitiers à boissons, est “justifié”, car ils sont consommés de cette manière. “Un yaourt à manger est donné aux enfants après un repas ou en tant que collation, tandis qu’un yaourt à boire est souvent consommé en complément des repas. Une note trop élevée pourrait encourager la surconsommation.” Il précise que certains yaourts à boire sans sucre peuvent obtenir une bonne note, “mais certains contiennent beaucoup de sucre, et il est donc juste que leur note soit plus basse.”
Critiques des producteurs et des gouvernements
Danone n’est pas la seule entreprise à critiquer le Nutri-Score. Un groupe de producteurs, tels que Mars, Mondelez, Kraft, Ferrero et Coca-Cola, fait pression contre la mise en place de ce label nutritionnel. Leur critique la plus fréquente concerne la méthode de calcul, qu’ils trouvent trop axée sur certains nutriments comme le sucre et les graisses, sans tenir compte de la valeur nutritionnelle globale du produit. D’autres entreprises craignent que le Nutri-Score n’affecte négativement leurs ventes ou préfèrent un autre label nutritionnel pour ne pas avoir à utiliser le Nutri-Score.
Selon une analyse de l’Unesco, les entreprises utilisent “les arguments les plus absurdes” pour retarder l’adoption d’un label nutritionnel commun. Pourtant, le Nutri-Score a encore été soutenu l’année dernière par un groupe de 316 scientifiques, qui ont justifié son déploiement dans toute l’Union européenne avec une série d’arguments scientifiques.
Mais comme souvent au sein de l’UE, il y a de nombreuses opinions. Outre la Belgique, seuls la France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Espagne et la Suisse utilisent ce label. L’Italie et le gouvernement de la Première ministre Giorgia Meloni sont les opposants les plus entendus au système, affirmant qu’il pénalise les produits du régime méditerranéen, selon Euractiv. L’Italie veut utiliser son propre label nutritionnel. La Grèce, la Lettonie, la Roumanie, la Hongrie, la République tchèque, Chypre et la Lettonie font également partie de la coalition des opposants.
Question de temps
Malgré toutes ces oppositions, Gino Van Ossel, expert en distribution à la Vlerick Business School, pense que ce n’est qu’une question de temps avant qu’une norme commune pour les étiquettes nutritionnelles soit adoptée dans toute l’Union européenne. “Le processus sera retardé. Certains producteurs résisteront et certains pays se sentiront lésés ou auront déjà leurs propres labels. Mais il y a tout simplement trop d’arguments en faveur de la standardisation.”
Van Ossel souligne la prise de conscience croissante autour de la santé dans la société, qui va de pair avec des motifs économiques. “L’obésité est un problème de notre époque, avec un coût social énorme. Ce coût est supporté par la communauté, mais il demande de gros investissements de la part des gouvernements. Je suis convaincu que tout label nutritionnel fera l’objet de critiques, mais d’un autre côté, le Nutri-Score aide les consommateurs à faire des choix plus sains.”
À long terme, plus de consommateurs préféreront automatiquement les produits avec un label par rapport à ceux sans”
Gino Van Ossel, expert en distribution à la Vlerick Business School
L’expert affirme qu’il faudra du temps avant que le Nutri-Score soit accepté comme norme. Certains experts en nutrition, dont le créateur Serge Hercberg, estiment par ailleurs que les producteurs devraient être obligés d’utiliser le label. Actuellement, c’est volontaire. Van Ossel pense que l’obligation n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif souhaité, à savoir une utilisation plus large du Nutri-Score.
“Le marché trouvera son chemin. Il est probable que des concurrents de Danone se frottent déjà les mains à l’idée que les labels disparaissent. À long terme, une plus grande prise de conscience du Nutri-Score se développera chez les consommateurs, et de plus en plus de consommateurs choisiront automatiquement des produits avec un label plutôt que sans. Nous voyons aussi que les supermarchés prennent les devants. Delhaize, par exemple, appose le Nutri-Score sur ses produits de marque propre. Qui sait, Danone pourrait simplement revenir sur sa décision.”
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