2+5 gratuits : la guerre des promos se mue en guerre des données beaucoup plus vicieuse

Promotion 2+5 gratuits albert Heijn
Muriel Lefevre

La promotion géante de 2+5 gratuits d’Albert Heijn n’était qu’un coup d’éclat. En coulisses, la grande distribution entre dans une nouvelle ère : celle où chaque euro économisé se paie avec des informations personnelles. Bienvenue dans l’ère de la promotion ultra-ciblée — et donc, irrésistible ?

Cette semaine, c’était la folie dans les 80 Albert Heijn de Belgique (tous situés en Flandre). Des queues interminables, des rayons dévalisés, des clients qui s’arrachaient des casseroles et des bidons de lessive. La promesse ? Acheter deux produits, en recevoir cinq gratuitement. L’après-midi du premier jour, les produits n’étaient déjà plus disponibles, mais qu’importe les clients ont probablement acheté autre chose. L’opération était donc indubitablement un succès pour la chaîne. Et c’est d’autant plus vrai que les distributeurs (comme Colruyt ou Albert Heijn) finance pas entièrement ces promotions, les fournisseurs, qui paient déjà pour être présents en rayon, contribuent eux aussi à ces opérations.

La malédiction du hamster

Pourquoi se rue-t-on au supermarché dès qu’une promo spectaculaire apparaît ? Cela aurait tout à voir avec notre évolution. Pendant des millénaires, la rareté a dicté nos réflexes. Accumuler des ressources augmentait nos chances de survie, et cet instinct ancestral refait surface dès qu’une offre comme “2 + 5 gratuit” se présente. Ces promotions exploitent donc notre « cerveau primitif ».

Ce genre de promo soulève aussi un levier psychologique bien connu du marketing. Sous la pression d’une décision rapide, notre cerveau choisit la voie la plus simple, au risque d’acheter impulsivement. Les enseignes jouent de cette faiblesse en limitant la durée des actions et en affichant le prix initial pour créer un sentiment d’urgence et de manque. Plus surprenant encore une offre “1 + 1 gratuit” séduit bien plus qu’une réduction de 50 %, même si elle revient au même. Recevoir quelque chose “gratuitement” stimule simplement plus notre plaisir que de faire un calcul. Par exemple que le 2+5 gratuit revient à une réduction de 71%.

La guerre des prix

Une promotion jamais vue qui va encore nourrir la véritable guerre des prix que se livre déjà les enseignes. Colruyt, fidèle à sa promesse du “prix le plus bas”, a aussitôt riposté avec une offre aux prix identiques, mais uniquement dans ses magasins flamands et de façon fort ingénieuse: la promo est appliquée à partir de deux produits achetés. Jumbo a elle proposé de 2+4 gratuits.

Officiellement, ces promotions restent légales tant que les distributeurs ne vendent pas à perte : les fournisseurs doivent donc consentir à rogner leurs marges pour que l’action soit possible. Mais l’intérêt économique de telles opérations reste limité. Les marges sont minces, les clients surstockent, puis ne reviennent pas avant plusieurs mois. Surtout, ces “super-promos” peuvent éroder la confiance des consommateurs, qui se demandent s’ils n’ont pas payé trop cher le reste de l’année. Pour les experts, ces coups d’éclat relèvent donc surtout du marketing d’image : attirer l’attention, montrer sa compétitivité, et pousser la concurrence à réagir.

Car on ne le dira jamais assez: Le gratuit n’existe pas. Quelqu’un paie toujours quelque part. Et c’est d’autant plus vrai qu’une autre lutte se joue en coulisses. Moins spectaculaire, plus insidieux, mais potentiellement bien plus lucratif pour les enseignes. Aujourd’hui, c’est avec vos données que vous “payez” vos réductions.

Le nouveau champ de bataille : vos données

Colruyt vient d’annoncer que ses 4 millions de détenteurs de carte Xtra devront désormais choisir un “profil de données”. Traduction : décider combien d’informations personnelles ils acceptent de partager en échange de réductions. Quatre profils au menu : minimal, basic, connected ou advanced. Plus vous montez dans la hiérarchie, plus vous livrez d’informations. Dans le profil “advanced”, Colruyt partage même certaines de vos données avec des partenaires à des fins marketing. La carotte ? Des promotions personnalisées, adaptées à vos habitudes d’achat. Le bâton ? Ceux qui refusent de choisir perdront “à terme” l’accès aux avantages Xtra et aux fonctionnalités de l’application. “Xtra doit devenir une véritable assistante personnelle pour le client”, se défend pourtant Ruben Missinne, responsable Data et Analytics du groupe Colruyt.

Tous sur la même ligne

Mais on aurait tort de jeter la pierre à Colruyt. Il n’innove pas, il ne fait que rattraper son retard. Delhaize impose déjà ce choix via son programme Superplus avec les “e-deals”. Albert Heijn propose sa “bonus box” personnalisée. Lidl distribue des coupons individuels. Même logique partout : transformez votre carte de fidélité en mouchard numérique, et nous vous récompenserons. L’idée est de savoir précisément ce que vous achetez, quand, à quelle fréquence, et tant qu’à faire de monétiser cette information.

La fin des promos universelles ?

Cette évolution marquera peut-être la fin d’une époque : celle des grandes promotions massives et indifférenciées. Les “2+5” qui mettaient tout le monde sur un pied d’égalité ne seront peut-être bientôt plus d’actualité. L’avenir est probablement davantage au marketing ultra-ciblé où chacun reçoit les offres que l’algorithme juge optimales pour le faire craquer. Plus efficace pour les enseignes ? Sans doute. Plus équitable pour les consommateurs ? C’est une autre question. Car derrière le vernis de la “personnalisation”, se cache une réalité : ceux qui acceptent de livrer le plus de données obtiendront les meilleures offres. Les autres paieront plein pot.

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