Transmission d’entreprises familiales: des solutions sur mesure
Les trois Régions du pays ont mis en place des régimes avantageux pour la transmission des entreprises familiales. Il est toutefois impératif de tenir compte de l’ensemble des paramètres (entreprise, famille, fiscalité) avant de vous lancer.
Selon les données du Family Business Network (FBN), les entreprises familiales représentent 45% de l’emploi et 33% du PIB de la Belgique. Mais beaucoup sont en sursis, 25% des entrepreneurs prévoyant un transfert de propriété dans les cinq ans. La transmission des entreprises familiales constitue donc un enjeu économique majeur. Cela explique que les trois Régions du pays ont mis en place des régimes spécifiques avec comme principal argument des taux d’imposition extrêmement réduits. Toutefois, “avant d’envisager de donner quoi que ce soit, il est indispensable d’intégrer dans vos réflexions les aspects familiaux, civils et fiscaux liés à la transmission de l’entreprise familiale”, souligne Grégory Homans, managing partner du cabinet d’avocats fiscaliste Dekeyser & Associés.
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Planifier de son vivant
“La première question à se poser est évidemment de voir qui est intéressé par la reprise de la société au sein de la famille. Si un seul enfant de la fratrie l’est, il convient d’envisager un schéma permettant cette reprise tout en respectant les droits des autres enfants et, à tout le moins, leur réserve héréditaire (la part minimale à laquelle un enfant a droit dans la succession de ses parents). Si aucun enfant n’est intéressé, prêt à s’investir, l’option d’une vente à un tiers doit être envisagée”, indique Me Homans.
Si un seul enfant de la fratrie est intéressé par l’entreprise familiale, il convient d’envisager un schéma permettant cette reprise tout en respectant les droits des autres.”
Grégory Homans (Dekeyser & Associés)
Ces informations sont cruciales pour préparer la transmission de votre entreprise, qu’il est indispensable de planifier de son vivant, selon Bruno Halleux, estate planner chez BNP Paribas Fortis: “Il existe certes des tarifs avantageux pour les droits de succession mais cela doit davantage être considéré comme un filet de sécurité. Car en cas de succession, on ne sait qu’au moment de votre décès si vous respectez les conditions (détaillées ci-après, Ndlr), sans possibilité de rectifier le tir. De plus, la fiscalité ne cesse d’évoluer, ce qui pose un risque juridique si les conditions changent”.
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Garder le contrôle
Une donation est plus sûre juridiquement et peut vous permettre de garder le contrôle. “Plusieurs solutions permettent d’atteindre cet objectif”, explique Ariane Joris, head of estate planning chez Degroof Petercam, qui ne contredit toutefois pas le principe “donner et retenir ne vaut”: “Le donateur peut, par exemple, consentir une donation de ses actions avec réserve d’usufruit pour continuer à percevoir les dividendes et exercer les droits de vote. Moyennant une modification des statuts de la société, il est également possible de désigner des administrateurs statutaires de façon à leur garantir un contrôle opérationnel. Enfin, dans les familles où différents pôles d’activités sont transmis aux enfants, on peut accompagner la donation d’une charte familiale qui établira la gouvernance pour les années futures”.
La Wallonie appréhende l’entreprise transmise de façon consolidée, c’est-à-dire en intégrant l’ensemble des filiales.”
Ariane Joris (Degroof Petercam)
Passons désormais à la transmission proprement dite et aux régimes avantageux pour la donation ou la succession d’une entreprise familiale. Précisons tout d’abord que la Région dont dépend votre transmission est liée à votre lieu de résidence fiscale personnel et non au siège de votre entreprise. Par ailleurs, dans le cas d’une donation, un acte notarié est obligatoire pour bénéficier du taux réduit.
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Régime préférentiel en Wallonie
Dans les chiffres, la Wallonie propose le régime de transmission d’entreprises familiales le plus avantageux avec des droits de donation et de succession de 0% quel que soit le lien de parenté. Mais l’opération doit répondre à un ensemble de conditions. Et, précise Ariane Joris, “la Wallonie appréhende l’entreprise transmise de façon consolidée, c’est-à-dire en intégrant l’ensemble des filiales, ce qui a pour effet que l’ensemble des entités d’un groupe respecte ou pas les conditions”.
Concrètement, Bruno Halleux résume les conditions comme suit:
- les activités opérationnelles (industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou forestières, professions libérales) doivent représenter plus de la moitié des revenus et des actifs de la société ;
- la transmission porte sur une participation d’au moins 50% ou d’au moins 10% avec un pacte d’actionnaires représentant au minimum 50% du capital s’engageant à respecter les conditions de maintien ci-après ;
- poursuite d’une activité opérationnelle pendant cinq ans à compter de l’acte de donation ou du décès ;
- maintien du volume d’emplois à concurrence d’au moins 75% pendant 5 ans ;
- pas de réduction de capital de la société pendant 5 ans.
“A noter, ajoute Bruno Halleux, que l’entrepreneur peut solliciter l’avis de l’administration fiscale avant d’effectuer sa donation pour s’assurer du respect des conditions au préalable.” Concrètement, les sociétés à dominante patrimoniale sont donc exclues.
Régime préférentiel en Flandre
La Flandre a adopté un régime préférentiel faisant la distinction entre donation (droits de 0%) et succession (droits de 3% en ligne directe et 7% dans les autres cas). Les conditions sont également un peu différentes:
- l’entreprise exerce une activité économique réelle (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou profession libérale) ou détient au moins 30% des actions d’au moins une filiale directe exerçant une telle activité ;
- le donateur/défunt et sa famille (dont le partenaire, les parents en ligne directe, les collatéraux au deuxième degré…) détiennent au moins 50% du capital, ou au moins 30% s’ils ont une participation totale de minimum 70% avec une autre famille ou s’ils disposent au total d’au moins 90% du capital avec deux autres familles ;
- maintien d’une activité réelle pendant au moins 3 ans ;
- le siège social n’est pas transféré hors de l’Espace économique européen pendant trois ans ;
- pas de réduction de capital pendant trois ans.
Pour la condition d’activité réelle, “la Flandre ne tient pas compte de l’ensemble du groupe consolidé mais uniquement de la société et des filiales directes, poursuit le spécialiste de BNP Paribas Fortis. Imaginons une structure à trois étages avec un holding passif, une STAK de certification et une société opérationnelle: la donation des actions du holding passif ne donnera pas droit au taux préférentiel de 0%”.
Par ailleurs, une société est censée ne pas avoir d’activité économique réelle lorsque les rémunérations, charges sociales et pensions annuelles représentent maximum 1,50% des actifs totaux ET que les terrains et bâtiments constituent plus de 50% des actifs totaux. “S’agissant d’une présomption réfragable, le contribuable peut apporter la preuve du contraire. Mais l’administration fiscale flamande (Vlabel) se montre assez stricte, notamment par rapport aux investissements immobiliers. La cour d’appel de Gand a cependant donné tort à Vlabel en juin dernier, estimant qu’une activité de promotion immobilière et de gestion professionnelle de biens devait être considérée comme une activité réelle. Cette jurisprudence concerne toutefois uniquement les cas de gestion active.” A noter que comme en Wallonie, il est possible de demander une attestation préalable à Vlabel.
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Régime préférentiel à Bruxelles
La Région de Bruxelles-Capitale s’est largement inspirée de la législation flamande lors de la réforme de son régime préférentiel. Les taux sont ainsi les mêmes, à savoir 0% pour les droits de donation et 3% (en ligne directe) ou 7% pour les droits de succession.
Les conditions sont aussi similaires. La principale différence est que le texte évoque le “maintien de l’activité”. “Une entreprise ne peut donc, par exemple, se reconvertir durant les trois années qui suivent la transmission si le donataire ou l’héritier ne veut pas perdre le bénéfice du tarif préférentiel”, explique Ariane Joris. Par ailleurs, l’administration fiscale fédérale (qui demeure responsable du prélèvement des droits de donation et de succession en Wallonie et à Bruxelles) n’a pas émis de directive aussi claire que Vlabel, notamment par rapport à la détention de patrimoine immobilier.
Valorisation et immobilier
Peu importe le mode de transmission, il est toujours nécessaire de valoriser votre entreprise, même dans le cadre d’une donation au taux préférentiel de 0%. “Concrètement, les plus petites sociétés sollicitent généralement leur fiduciaire comptable et les plus grandes entreprises font appel à un réviseur d’entreprise, selon Bruno Halleux, de BNP Paribas Fortis. L’administration fiscale a deux ans pour contester une valorisation, ce qui est plutôt rare, semble-t-il, quand il n’y a pas de sous- évaluation manifeste.”
Enfin, dans l’hypothèse d’une vente, que ce soit à un enfant ou à un tiers, “il ne faut pas perdre de vue que la présence d’immobilier (qu’il soit opérationnel, de rapport ou de jouissance) dans la société peut constituer un frein pour l’acquéreur qui n’a pas nécessairement les moyens ou l’envie d’acheter l’activité et les bâtiments. Il peut donc s’avérer judicieux de préalablement structurer l’ensemble de façon à pouvoir vendre l’activité seule en ségrégant les immeubles. Cela peut, par exemple, se faire en constituant un holding qui chapeaute d’une part une filiale dédiée à l’immobilier et d’autre part une autre filiale ne détenant que l’activité opérationnelle. On peut aussi opter, par exemple, pour un holding patrimonial qui détient d’une part les immeubles en direct, et d’autre part la filiale opérationnelle.”
Autres formules
Qu’advient-il si votre enfant ayant repris l’entreprise ne respecte pas les conditions de maintien? “La transmission sera soumise aux droits de donation (de 3% à 7% en fonction de la Région et du lien parenté) ou de succession (jusque 30% en ligne directe et 80% pour des personnes sans lien de parenté) ordinaires”, explique Ariane Joris.
“Ce risque pousse de nombreuses personnes à s’orienter vers d’autres manières de transférer leur entreprise familiale offrant plus de souplesse/ de liberté que le régime spécifique lié à la transmission d’entreprise familiale” constate l’avocat fiscaliste Grégory Homans.
L’entrepreneur peut solliciter l’avis de l’administration fiscale avant d’effectuer sa donation pour s’assurer au préalable du respect des conditions.”
Bruno Halleux (BNP Paribas Fortis)
Donation classique, vente
L’une des premières solutions envisageables est une donation mobilière classique. Vous ne devez alors pas vous tracasser du respect des conditions d’activité réelle, de participation minimale ou de maintien de l’activité. Dans la plupart des cas, “vous devrez effectuer la donation par acte notarié et payer les droits correspondants, la donation indirecte non enregistrée n’étant plus possible”, avertit Bruno Halleux. “Il existe certaines alternatives mais celles-ci dépendent du cas d’espèce. Il convient de les aménager avec soin et prudence pour éviter tout risque de remise en cause”, ajoute Me Grégory Homans.
Une autre option classique est d’envisager une vente, même pour une transmission familiale, comme l’explique Ariane Joris, de Degroof Petercam: “Imaginons que vous ayez deux enfants et qu’un seul est intéressé par la reprise de l’entreprise. Cette dernière représentant l’essentiel de votre patrimoine, vous ne pouvez procéder à deux donations équivalentes pour chacun des enfants. Dans ce cas, vous pouvez donner la moitié de l’entreprise à l’enfant intéressé par l’entreprise et lui vendre la seconde moitié. Vous pouvez ensuite donner le produit de la vente (cash et/ou créance) à votre autre enfant de façon à ce qu’il reçoive une donation équivalente”.
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- Transmission des entreprises familiales: des solutions sur mesure
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Fondation ou société simple
Grégory Homans épingle également deux autres méthodes de transmission d’entreprises familiales: le recours à une fondation privée ou une société simple. “Prenons le cas de deux parents propriétaires de l’intégralité des titres de leur entreprise familiale. Un de leurs fils est impliqué dans la société et souhaite la reprendre alors que leurs trois autres enfants ne sont pas intéressés. Les parents pourraient constituer une fondation familiale, nommer leur fils qui veut s’impliquer administrateur de la fondation et y loger leur participation dans l’entreprise familiale. En contrepartie de l’apport des titres de l’entreprise, la fondation remettra des certificats aux parents. Ceux-ci pourront alors les donner à leurs quatre enfants. Le recours à la fondation permet de scinder la propriété économique de l’entreprise (valeur des titres, dividendes, etc.) et la direction opérationnelle de celle-ci (droit de vote, etc.). En nommant l’enfant intéressé administrateur de la fondation, les parents l’impliquent dans la gestion et s’assurent qu’il deviendra, après leur décès, le seul maître à bord. Et en donnant (ou léguant plus tard) les certificats émis par la fondation à leurs quatre enfants, ils leur transmettent la même chose d’un point de vue financier.”
La société simple est une autre alternative intéressante, surtout depuis la réforme du code des sociétés et associations, selon Me Grégory Homans. “Imaginons qu’un couple crée une société simple en apportant chacun 10.000 euros, soit un total de 20.000 euros. Ils en donnent la quasi-totalité des titres à leurs enfants. Par sécurité, cette donation est enregistrée au taux de 3% ou 3,3% selon la Région. Ensuite, les parents logent leur participation dans la société familiale dans la société simple. Cet apport ne sera pas rémunéré par l’émission de nouveaux titres. De la sorte, les parents transfèrent indirectement l’entreprise familiale à leurs enfants“, précise Grégory Homans. Les options sont donc nombreuses et il est avant tout important d’envisager la transmission en fonction de vos besoins spécifiques et en intégrant l’évolution des pratiques.
Héritages et donations 2022
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