Comptes d’épargne: pile je gagne, face tu perds
La hausse des taux hypothécaires est une bonne nouvelle pour les banques. Pourtant, elles ne semblent guère pressées de mieux rémunérer l’épargne de leurs clients. Le taux du livret devrait, hélas, rester à son niveau actuel pendant quelques mois encore.
Alors que l’inflation ne cesse de battre des records et que l’argent redevient cher, les épargnants vont-ils devoir patienter encore quelques mois pour recevoir plus d’intérêts sur leur livret? Poser la question c’est déjà y répondre! En effet, aucun mouvement à la hausse des taux sur les livrets d’épargne n’est à attendre dans les semaines qui viennent. Les grands acteurs de la place (BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC/CBC…) disent suivre attentivement le marché mais n’envisagent pas (encore) d’augmenter le taux du compte d’épargne réglementé.
Mauvaise nouvelle donc pour ceux qui mettent de l’argent de côté. Mais tout profit par contre pour les banques et leur marge d’intermédiation. Cette dernière, c’est-à-dire la différence entre le taux qu’elles demandent aux clients à qui elles octroient des crédits et les intérêts qu’elles paient à ceux qui déposent de l’argent chez elles, grossit bien ces temps-ci. Les derniers résultats trimestriels de KBC (et CBC) le montrent très clairement. Entre début janvier et fin mars, le groupe de banque et d’assurance a vu sa marge nette d’intérêt grimper à 1,91%, contre 1,78% sur la même période au premier trimestre 2021. Quant à ses revenus d’intérêt, ils ont carrément bondi de 12% par rapport à la même période un an plus tôt.
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Paradoxe à 300 milliards
Si les banques voient s’améliorer la rentabilité sur leur coeur de métier qui consiste à collecter des dépôts pour octroyer des crédits, c’est d’abord parce que les taux facturés aux clients à qui elles prêtent de l’argent sont repartis à la hausse. Elles profitent du fait que la courbe des taux redevient plus pentue pour augmenter leurs tarifs sur le terrain du crédit, à commencer par les taux hypothécaires. Depuis le début de l’année, ceux-ci ne cessent de grimper. Globalement, la hausse moyenne des taux pour un prêt à 20 ans fixe s’élève à un pour cent depuis janvier.
Paradoxalement, on l’a dit, les intérêts que reçoivent les épargnants ne bougent absolument pas. Le livret n’offre la plupart du temps que 0,11%, et ce pour les épargnants qui ont droit à une prime de fidélité, dans le meilleur des cas. Un taux grotesque, disons-le, mais qui n’empêche pas les Belges de rester collés au livret. La faute au covid, à l’épargne forcée, à l’inflation galopante, à la guerre en Ukraine, à la peur du lendemain… L’encours sur les livrets d’épargne tourne désormais autour de 300 milliards. Une somme astronomique que les banques ne sont évidemment guère pressées de mieux rémunérer dans la mesure où, comme l’indique l’économiste en chef de la banque ING Belgique Peter Vanden Houte, “un meilleur taux doit directement être appliqué sur les anciens dépôts et pas seulement sur les nouveaux.” Dit autrement, augmenter le taux du livret ne fût-ce que de 0,25% représenterait un coût supplémentaire de 750 millions d’euros.
Certaines banques pourraient augmenter le taux du compte d’épargne réglementé fin de cette année.” – Peter Vanden Houte (ING Belgique)
Une page se tourne
La situation est donc la suivante: les taux des crédits hypothécaires grimpent mais pas ceux du compte d’épargne. En clair, c’est “pile je gagne, face tu perds”. Les banques justifient cette différence de traitement en disant qu’elles se basent sur les taux d’intérêt à long terme sur le marché obligataire pour déterminer leur taux sur les prêts immobiliers. Marché obligataire où le rendement des OLO (les obligations de l’Etat) à 10 ans a augmenté de près de 2% depuis l’été dernier alors que le taux sur la facilité de dépôt des banques (pénalité qu’elles paient à la Banque centrale européenne (BCE) pour parquer leurs dépôts excédentaires dans ses coffres) est toujours fixé à – 0,5%. Le coupable est donc tout trouvé. Servant de référence pour le taux du livret, c’est ce taux à court terme de la BCE qui explique les taux dérisoires sur les comptes d’épargne, puisque non seulement il faut payer des intérêts aux épargnants mais aussi à la gardienne de l’euro.
Les temps sont cependant au changement. Voici quelques jours, la présidente de la BCE Christine Lagarde a en effet officiellement évoqué la possibilité de tourner la page des taux négatifs “d’ici la fin du troisième trimestre”, soit fin septembre. Très concrètement, “deux hausses de taux de 0,25% sont envisagées par la BCE d’ici septembre, ce qui ramènerait le taux de la facilité de dépôt à 0%, indique Peter Vanden Houte. C’est une première étape importante vers une possible meilleure rémunération de l’épargne. Cela voudrait dire que les banques ne devraient plus payer pour pouvoir parquer leurs liquidités excédentaires auprès de la BCE.”
En décembre?
L’économiste en chef d’ING Belgique va plus loin. Il n’exclut pas une troisième hausse des taux de 0,25% d’ici la fin de l’année. “Probablement en décembre, estime-t-il, car un taux à 0% serait probablement considéré trop bas par la BCE pour faire baisser l’inflation de façon durable.” Cela signifierait que le taux de dépôt auprès de la BCE repasserait en territoire positif pour s’établir à 0,25% dans le courant du mois de décembre. Les banques ne seraient du coup plus pénalisées en déposant leurs excédents auprès de l’institution de Francfort, ce qui leur permettrait d’augmenter légèrement les intérêts sur les comptes d’épargne, par exemple jusqu’à 0,20%. Pas tout de suite, donc, mais dans quelques mois. “Avec un taux directeur de la BCE supérieur au minimum légal du livret, certaines banques pourraient augmenter le taux du compte d’épargne réglementé fin de cette année ou début de l’année prochaine, explique Peter Vanden Houte. Même si vous ne faites que parquer l’argent collecté à la banque centrale, vous dégagez une marge de 5 points de base ( 0,05%, soit la différence entre 0,25% et 0,20%, Ndlr). Sans oublier que les taux négatifs appliqués par certaines enseignes sur les gros dépôts pourraient disparaître”, selon Peter Vanden Houte.
Reste que tout ceci ne mettra que peu de beurre dans les épinards. N’oublions pas que la flambée des prix à la consommation avale tout sur son passage. Avec elle, le rendement réel de l’épargne (taux d’intérêt moins inflation) en devient même indigeste. Comme le souligne le professeur à l’IESEG de Lille Eric Dor, “la hausse de l’inflation observée en mai provoque une plongée supplémentaire des taux d’intérêt réels sur les comptes d’épargne des ménages: les Belges perdent ainsi quasi 10% du pouvoir d’achat de leur épargne, placée sur des comptes réglementés, en une année!” Et ce n’est pas fini: les épargnants risquent de perdre encore beaucoup de pouvoir d’achat durant les prochains mois. Et après. “Même s’il augmente un peu d’ici la fin de l’année, le taux du livret restera dérisoire si on le compare au taux d’inflation, qui devrait être supérieur à 7% sur l’ensemble l’année”, conclut Peter Vanden Houte.
750 millions
En euros, le coût supplémentaire à charge des banques engendré par une augmentation du livret ne serait-ce que de 0,25%.
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