Le coup double d’Ethias: pourquoi l’assureur a lancé un emprunt ­durable de 300 millions d’euros

"L’objectif est aussi une démonstration de notre engagement en matière de durabilité", souligne Joris Laenen. © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La dernière levée de fonds du troisième assureur du pays, Ethias, optimise sa structure de capital, mais renforce aussi ses ambitions d’investisseur durable.

La nouvelle n’a pas fait les grands titres. Elle est pourtant très importante pour Ethias, le troisième assureur du pays : à la fin du mois d’avril dernier, l’assureur liégeois a émis un emprunt durable de 300 millions d’euros et a parallèlement racheté de manière anticipée une partie d’une ancienne émission qui arrivera à échéance l’an prochain.

Dans quel cadre cette double opération a-t-elle eu lieu, et pourquoi ? Maryline Serafin, la chief financial officer d’Ethias et Joris Laenen, chief investment & life officer, nous expliquent les coulisses de cette levée de fonds.

Optimiser le capital

L’objectif était d’émettre un emprunt subordonné destiné à renforcer les fonds propres d’Ethias. L’assureur n’en avait pas besoin : ses fonds propres sont bien à niveau. Son ratio Solvency II s’élève, après la distribution d’un dividende de 113 millions d’euros, à 192%, soit près du double du minimum réglementaire. Et Ethias affiche des performances robustes. En 2024, l’assureur a récolté 3,5 milliards d’euros de primes (une augmentation de 21% depuis 2022), son résultat net est de 212 millions d’euros et l’agence de notation Fitch a réaffirmé l’an dernier la notation IFS (Insurer Financial Strength) “A” d’Ethias, assortissant sa note d’une perspective positive.

Pas vraiment besoin d’argent frais donc, mais plutôt la volonté de saisir une opportunité. Les fonds propres des assureurs sont en effet classés en plusieurs niveaux, appelés Tier 1, Tier 2 et Tier 3, selon leur qualité et leur capacité à absorber les pertes. Le niveau Tier 1 englobe les fonds propres de la plus haute qualité, entièrement disponibles pour absorber les pertes. Ils incluent le capital social, les bénéfices non distribués et certaines réserves. Pour assurer la stabilité de l’édifice, les fonds Tier 2 comprennent des instruments comme les dettes subordonnées et certaines provisions techniques. Ils peuvent être utilisés eux aussi, sous conditions, pour absorber les pertes, mais ne peuvent pas dépasser une certaine proportion des fonds Tier 1.

“Et au vu de notre capital, nous avions encore la latitude d’émettre de la dette subordonnée, explique Maryline Serafin. Cette opération visait donc, entre autres, à optimiser notre structure de capital.”

Un lancement chahuté par Trump

La décision prise, l’opération fait l’objet d’un plan de campagne minutieux. “Nous l’avons préparée une bonne partie de l’année dernière, notamment pour prendre contact avec des investisseurs potentiels et présenter la trajectoire d’Ethias sur ces dernières années. Ces rencontres ont eu lieu à Londres, à Paris ou en visioconférence. L’objectif était clairement de susciter l’intérêt”, poursuit la CFO.

JP Morgan est désignée comme la banque partenaire, accompagnant Ethias dans ce processus et dans les roadshows. Ethias se prépare à lancer l’opération pour le début du mois d’avril. Mais patatras, Donald Trump et son Liberation Day viennent perturber le paysage financier. “Nous avions une première fenêtre de lancement le 7 avril et, à partir de ce moment, nous avons guetté tous les jours pour savoir quel était le meilleur moment pour sortir”, indique Maryline Serafin.

Avec un petit stress, car lorsqu’un émetteur comme Ethias décide de lancer une émission, il dispose de 135 jours à partir du moment où ses comptes sont arrêtés. “Les investisseurs doivent pouvoir se reposer sur des données financières plus ou moins à jour”, souligne la CFO. Pour Ethias, la date butoir était donc la mi-mai. Heureusement, les marchés s’étant apaisés, Ethias a pu donner le feu vert, à la fin du mois d’avril, au lancement d’une émission de 300 millions d’euros, assortie d’un coupon de 4,75% et d’une durée de 10 ans.

Les roadshows devant les investisseurs ont donc eu lieu le 28 avril et le livre d’ordres a été ouvert le lendemain. Un succès : “La demande a atteint près de 1,560 milliard d’euros, cinq fois le montant proposé”, se réjouissent Maryline Serafin et Joris Laenen. Face à la demande, Ethias a même resserré les conditions de l’emprunt. Initialement, il devait offrir un rendement de 270 points de base de plus que l’emprunt de référence, l’obligation de l’État allemand à 10 ans. Mais Ethias peut se permettre de n’en offrir que 235. Et malgré ces conditions un peu plus chiches, la demande bouge à peine, avec des ordres totalisant 1,432 milliard d’euros.

“Finalement, ajoutent Maryline Serafin et Joris Laenen, l’émission, qui procure un rendement final d’environ 4,82% (en raison d’un prix d’émission légèrement inférieur à 100%), séduit une large base d’investisseurs : 81% sont des gestionnaires d’actifs, 12% des assureurs ou fonds de pension, et 6% des banques. En termes géographiques, 30% viennent du Royaume-Uni, 28% de France, 14% d’Allemagne, d’Autriche ou de Suisse, le reste étant réparti entre l’Europe du Sud, le Benelux, les pays nordiques et d’autres régions.”

Parallèlement, Ethias lance une autre opération : l’assureur offre aux investisseurs la possibilité de lui revendre d’anciennes obligations arrivant normalement à échéance l’an prochain. Environ 123,5 millions d’euros sont ainsi rachetés, “ce qui laisse un encours résiduel de 154,7 millions”, précise Maryline Serafin. Le nouvel emprunt prend donc, avec un peu d’avance, le relais d’un ancien qui arrivait bientôt à maturité.

Stratégie ESG

Toutefois, le but de la levée de fonds dépasse largement le simple cadre financier. “L’objectif est aussi une démonstration de notre engagement en matière de durabilité, souligne Joris Laenen. Les 300 millions d’euros levés devront être investis dans les deux ans dans des projets répondant aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, les critères ESG.”

Les 300 millions d’euros levés devront être investis dans les deux ans dans des projets répondant aux critères ESG.” Joris Laenen

Voici trois ans, au début de 2022, Ethias a en effet défini une nouvelle stratégie en la matière. Dans ce cadre, l’assureur avait émis en avril 2023 un premier green bond, une “obligation verte”, d’une durée de 10 ans pour un montant de 250 millions. Aujourd’hui, deux ans plus tard, la totalité de ces 250 millions a été attribuée à des investissements verts répondant aux critères d’éligibilité du Green Financing Framework d’Ethias : ce sont des projets principalement situés en Belgique, dans des domaines tels que les bâtiments écologiques, les énergies renouvelables, la mobilité verte et l’agriculture biologique.

Cette nouvelle émission d’obligations durables vise un cadre un peu plus large, explique Maryline Serafin ; “elle s’inscrit dans le Sustainable Finance Framework d’Ethias, qui a remplacé le Green Financing Framework, dit-elle. Le premier cadre mettait l’accent sur les investissements verts, environnementaux. Le nouveau cadre englobe aussi les projets sociaux.” Et dans ce cadre, Ethias s’engage à mesurer l’impact des projets financés grâce à l’émission. L’assureur collectera par exemple une série de données extrafinancières qui permettront d’estimer l’impact environnemental ou social de ses investissements.

“Les investisseurs qui sont intéressés par notre émission peuvent être des banques, des gestionnaires de fonds, des assureurs qui veulent avoir ces obligations sur leur propre bilan parce qu’ils sont intéressés dans la qualité de notre rating, la qualité de notre business model, la qualité de notre bilan, explique Joris Laenen. Mais il y a aussi des gestionnaires de fonds qui désirent par exemple émettre des fonds d’investissement répondant à l’article 9 du règlement SFDR (qui classifie l’intégration des critères ESG dans les fonds d’investissement). Les fonds de l’article 9 doivent prouver que leurs investissements contribuent effectivement à remplir des objectifs environnementaux et sociétaux précis. Avec notre émission durable, ces gestionnaires sont certains d’avoir le ‘cachet’ ESG, parce que nous allons publier chaque année un rapport sur ce que nous faisons avec ces 300 millions, qui va permettre à ces investisseurs de vérifier que les projets que nous soutenons correspondent à 100% au cadre de l’article 9, par exemple.”

Maryline Serafin. “Nous essayons d’expliquer qu’il y a un cercle vertueux dans ce que nous faisons.” © PG

Cercle vertueux

Cet emprunt durable de 300 millions financera donc la transition énergétique, mais aussi des initiatives comme le logement abordable, l’accès aux services essentiels ou la rénovation d’écoles via des partenariats public-privé. Tout cela dans un cadre spécifique : “Nous avons évidemment développé des principes et un cadre spécifique pour cet emprunt durable, qui a été vérifié par Sustainable Analytics (une agence de notation ESG, ndlr) comme on l’avait fait pour le green bond. La grande différence était que le green bond finançait des projets qui étaient strictement liés à l’environnement. Aujourd’hui, avec ce sustainable bond (emprunt durable), nous avons élargi nos horizons en matière d’investissement et au-delà de l’énergie renouvelable, en ajoutant un volet social qui est très important pour nous.”

“Nous avons mis en place toute une stratégie autour de l’ESG, ajoute la CFO. Nous avons une vision très claire de là où nous voulons aller, et nous voulons vraiment être actifs sur les trois volets, que ce soit l’environnemental, le social et la gouvernance. Nous avons donc développé une série de lignes directrices qui nous animent au quotidien et qui sont supervisées par des comités particuliers qui surveillent ce que nous faisons, notamment dans nos investissements – parce que l’ESG, ce sont des investissements financiers – , mais aussi dans nos autres actions, contre la pauvreté des jeunes, par exemple. Ce sont toute une série de choses qui nous motivent et sur lesquelles nous travaillons tous les jours.”

“Nous essayons d’expliquer qu’il y a un cercle vertueux dans ce que nous faisons, conclut Marilyne Serafin. Nous créons des revenus qui permettent à nos actionnaires d’avoir des dividendes, mais cette création des revenus provient d’investissements dans des projets qui ont tout à fait leur place dans des projets sociétaux forts.”

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