Ageas ne rassure pas (encore) totalement

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Au centre de l’actualité et des spéculations depuis de nombreux mois, Ageas a retrouvé un peu de stabilité avec la montée de BNP Paribas au capital. Suffisant pour redonner un peu de tonus au cours ou le secteur ­financier offre-t-il de meilleures opportunités ?

Tentative de rachat de l’assureur britannique Direct Line, désengagement de son actionnaire chinois Fosun, avenir de l’accord de distribution avec BNP Paribas Fortis, rumeurs d’intérêt de Generali, Ageas a régulièrement défrayé la chronique ces derniers temps. Des tensions qui ont trouvé leur épilogue à la mi-avril avec l’annonce par BNP Paribas du rachat des 9% de Fosun dans l’assureur belge pour 730 millions d’euros. Suffisant pour permettre au groupe bancaire français de devenir le premier actionnaire d’Ageas, devant BlackRock (6,5%) et l’Etat belge (6,3%).

Stabilisation du groupe

Cette opération permet à BNP Paribas de cadenasser le contrôle de l’assureur belge. En effet, outre son rôle d’actionnaire de référence, le groupe français est aussi un partenaire stratégique incontournable. D’une part, il contrôle 25% d’AG Insurance (AGI), leader de l’assurance en Belgique et filiale majeure (à 75%) d’Ageas. D’autre part, BNP Paribas Fortis est un important distributeur d’AGI.

Cet accord de distribution a d’ailleurs longtemps été considéré comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête d’Ageas. Signé en 2008 dans le cadre du sauvetage de Fortis, il a été pérennisé en 2018 pour une durée indéterminée, mais avec une résiliation possible moyennant un préavis de trois ans. BNP Paribas n’a toutefois plus aucune raison de chercher un autre partenaire pour l’assurance maintenant qu’il est actionnaire à la fois d’AGI et d’Ageas.

Impact boursier mitigé

Dans un premier temps, les marchés ont ainsi salué l’annonce du rachat de la participation de Fosun par BNP Paribas. Mais le titre a rapidement perdu l’essentiel de ses gains. La mainmise du groupe français limite en effet l’attrait spéculatif d’Ageas. La volonté de Fosun de se désengager et l’actionnariat éclaté de l’assureur étaient les principales caractéristiques qui en faisaient une cible de choix.

Désormais, “une reprise complète d’Ageas par une tierce partie semble très compliquée” comme l’a déclaré Hans De Cuyper, CEO d’Ageas, à nos confrères de L’Echo.

Les analystes d’ING et de KBC Securities demeurent malgré tout positifs et ont confirmé leur conseil d’achat la semaine dernière. La principale raison est la faible valorisation du titre qui s’échange à huit fois les profits de l’année 2023, soit une décote de 38% par rapport à la moyenne sectorielle européenne du Stoxx 600 Insurance. Le rendement de dividende de 5,3% net est également particulièrement attractif.

Stratégie à définir

Dans les chiffres, Ageas fait donc figure de réelle opportunité en Bourse. Mais les perspectives stratégiques sont moins claires. L’assureur avait jeté son dévolu sur Direct Line afin de développer ses activités dans l’assurance dommages (automobile, habitation…) outre-Manche. Ce qui lui aurait permis de développer un troisième pilier à côté de la Belgique et de l’assurance-vie en Chine via sa participation de 25% dans ­Taiping Life.

Mais l’opération a capoté, Direct Line ayant estimé que l’offre améliorée d’Ageas “est incertaine, peu attrayante et sous-évalue considérablement le groupe Direct Line et ses perspectives d’avenir”. Reste à voir désormais ce que l’assureur belge compte faire de son trésor de guerre de près d’un milliard d’euros (sans tenir compte d’une capacité d’emprunt additionnelle).

Risques en Chine

Ce qui est d’autant plus déterminant que les perspectives de ses principales activités s’obscurcissent. En Belgique, le potentiel est limité par la maturité du marché et la position d’AG Insurance, déjà leader. En Chine, la croissance a été forte au premier semestre l’année dernière avec une hausse des souscriptions de 45%.

Mais la tendance a nettement faibli au cours de la seconde moitié de l’année dans le sillage d’une révision des normes prudentielles freinant la stratégie commerciale de Taiping Life. Ce dernier fait également face à des exigences plus strictes en matière de solvabilité, ce qui limite sa capacité à verser des dividendes à ses actionnaires (dont Ageas).

A l’automne dernier, Nasib Ahmed, analyste chez UBS, prévenait que le plus dur est à venir. Les contrats à taux garanti commercialisés par Taiping Life présentent un risque dans un environnement de taux bas en Chine. D’autant plus que l’assureur chinois présente “le plus faible ratio de solvabilité parmi ses pairs”. L’analyste s’attend ainsi à ce qu’Ageas doive revoir sa généreuse politique de dividendes cette année – ou puiser dans son trésor de guerre pour rémunérer ses actionnaires.

Sous-pondérer 
les banques

Contrairement aux Belges, les analystes internationaux se montrent ainsi nettement moins confiants. Goldman Sachs, UBS ou JP Morgan Chase ont même un avis de vendre/réduire sur Ageas en raison des risques en Chine.

Dans son ensemble, le secteur des assurances jouit toutefois de perspectives plus favorables. Laura Lau, chief investment officer chez Brompton Group, estime ainsi qu’il devrait surclasser le secteur bancaire, inversant la tendance par rapport aux deux dernières années.

Les banques ont été les premières à profiter de la remontée des taux, mais les perspectives se dégradent désormais. Mislav Matejka, responsable de la stratégie chez JP Morgan Chase, épingle ainsi que les révisions de bénéfices ont viré dans le rouge pour le secteur bancaire européen alors que les baisses de taux attendues par la Banque centrale européenne (BCE) devraient peser sur la rentabilité.

Les pertes sur crédits risquent également d’augmenter, de nombreuses entreprises ayant épuisé leurs réserves après des années marquées par des perturbations d’approvisionnement, l’inflation, l’envolée des coûts de l’énergie et le durcissement des conditions de financement. En Belgique, un nombre record de faillites a d’ailleurs été enregistré pour le mois de février.

Le pire est passé

Du côté des assureurs, les perspectives semblent par contre se dégager. Dans l’assurance dommages, l’inflation galopante a renchéri le coût des interventions et pesé sur la rentabilité, mais les primes comblent le retard. Aux Etats-Unis, le prix des assurances auto a augmenté de 22% entre mars 2023 et mars 2024 selon les données officielles du BLS – et de 4,6% pour les couvertures habitation. Dans la zone euro, la hausse est de plus de 10% pour la police auto durant la même période et de 6% pour l’assurance habitation selon les chiffres d’Eurostat.

Dans l’assurance-vie, le pire semble passé pour les compagnies européennes et américaines. Leurs importants portefeuilles d’obligations, à la base du rendement des clients et des assureurs, ont souffert de la rapide remontée des taux. Mais maintenant que le pic des taux a été atteint, l’horizon se dégage.

Taiping Life fait face à des exigences plus strictes en matière de solva­bilité, ce qui limite sa capacité à verser des dividendes à ses action­naires, dont Ageas. © SOPA Images/LightRocket via Getty Images

Norme IFRS 17

En outre, les résultats des compagnies d’assurances ont aussi été malmenés l’année dernière par la nouvelle norme IFRS 17 régissant les principes de comptabilisation, d’évaluation et de présentation des contrats d’assurance. Pour donner un aperçu de son impact, le profit opérationnel d’Axa a augmenté de 6% en 2023, une progression qui aurait été de 27% sans l’adoption de l’IFRS 17.

Désormais, ce changement comptable n’affectera plus les comparaisons annuelles même si tous les risques n’ont pas disparu. La norme IFRS 17 renforce notamment l’influence des marchés sur les résultats et le bilan des assureurs. Dans ce contexte, “les gagnants seront les assureurs les mieux capitalisés, car ils peuvent résister à des contraintes plus importantes en matière d’investissement et de souscription… tout en poursuivant des investissements [essentiels]”, pointe ainsi Henry Heathfield, analyste sectoriel chez Morningstar.

Trois opportunités

Sa valeur préférée est le groupe britannique Admiral, actif avant tout dans l’assurance auto dans différents pays européens et en Amérique du Nord. Outre son bilan solide, avec un des meilleurs ratios de solvabilité du secteur en compagnie de Zurich et Aviva, Henry Heathfield épingle sa ­politique de couverture (co-­assurance, réassurance). Ce qui lui permet d’afficher un ratio combiné, le rapport entre les coûts totaux (indemnités, commissions, frais généraux) et les primes encaissées, de moins de 95% contre plus de 100% pour ses pairs. En d’autres termes, Admiral génère un bénéfice de souscription alors que les autres dépendent entièrement de leurs résultats d’investissement.

Son second choix est le réassureur allemand Hannover Re qui jouit d’excellentes notes de solvabilité (essentielles dans le segment de la réassurance) et a profité des changements réglementaires pour améliorer ses systèmes de gouvernance financière. Ce qui lui permet de maintenir ses marges dans un environnement plus complexe : réglementation, impact du réchauffement climatique – les réassureurs intervenant notamment lors de catastrophes naturelles.

Aux Etats-Unis, Barron’s recommande Chubb, un des leaders mondiaux de l’assurance dommage, également actif dans l’assurance-vie et la réassurance. Structurellement, le géant américain affiche un résultat de souscription supérieur à la moyenne (ratio combiné de 86% en 2023). A court terme, la rotation de son portefeuille vers des obligations à taux plus élevés devrait doper son rendement. Et à plus long terme, Chubb devrait profiter de sa présence diversifiée sur les marchés asiatiques pour poursuivre son développement.

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