Tour & Taxis, la nouvelle hype bruxelloise

le projet Lake Side
En bordure des nouveaux plans d’eau, entre parc et canal, l’enfilade des 6 tours de logements est audacieuse et ne sera sans doute pas du goût de tous les riverains. © Nextensa / MVRDV Architects

Dernière étape de la réhabilitation du site de Tour & Taxis. Nextensa souhaite ajouter 800 appartements aux 660 en passe d’être construits. Des bureaux et des commerces compléteront l’ultime phase de ce nouveau quartier dont l’aménagement a débuté en 2001. Une des plus importantes demandes de permis jamais déposées à Bruxelles.

C’est la dernière pièce du puzzle. La plus grosse aussi. Le promoteur et investisseur immobilier Nextensa a dévoilé fin avril les contours du projet Lake Side qui doit boucler la réhabilitation du site de Tour & Taxis. Il ambitionne de construire 724 appartements, 37.000 m2 de bureaux, une centaine d’unités de coliving, des commerces et une extension du parc. Il s’agit d’une des plus importantes demandes de permis jamais déposées à Bruxelles pour du résidentiel.

Un gros morceau qui doit définitivement faire oublier le chancre qu’était devenue dans les années 1990 cette ancien plateforme multimodale de transport de marchandises située à proximité de la gare du Nord. “Lorsque nous avons repris le site il y a plus de 20 ans, nous étions face à un véritable défi, se souvient Michel Van Geyte, CEO de Nextensa. Depuis, Tour & Taxis fait figure de levier pour toute la ville de Bruxelles, tant pour les riverains et les habitants que pour les entreprises et les commerçants. Le développement urbain ne se limite pas à l’élaboration de projets iconiques. Il s’agit d’intégrer et de sublimer l’environnement tout entier. ”

Les ratés à l’allumage d’Ackermans & van Haaren

Complètement désaffecté dans les années 1990, le chancre urbain qu’est alors Tour & Taxis est vendu en 2001 par la SNCB au promoteur immobilier Robelco et au holding coté en Bourse Ackermans & van Haaren (50% chacun). Un premier projet est déposé en 2003. Sans succès. Les deux propriétaires de Robelco, le Néerlandais Jan Lisman et le magnat de l’immobilier anversois Eric De Vocht, se séparent quelques années plus tard. Ce n’est toutefois qu’en 2015 que le duo décide de vendre ses parts à Extensa, la branche de développement d’Ackermans & van Haaren. Un rachat qui va enfin accélérer le réaménagement de ce site de 30 ha. Jusqu’alors, seule la construction et la vente du bâtiment de Bruxelles-Environnement à Intégrale en 2014 avait permis de faire rentrer un peu d’argent dans les caisses. Suivra dans la foulée la construction du siège de l’administration flamande (immeuble Herman Teirlinck), loué en 2017 pour 18 ans. Nextensa, fruit de la fusion entre Extensa et Leasinvest, espère boucler la réhabilitation du site en 2031.

Et à ce petit jeu, il est difficile de ne pas avoir entendu parler de Tour & Taxis ces derniers mois. La plupart des grands événements bruxellois s’y concentrent désormais. Que ce soit la Foire du Livre, le World Padel Tour, des salons professionnels, des remises de prix ou d’autres activités en tous genres, qui ont donné à des milliers de visiteurs l’occasion de découvrir la rénovation de l’imposante Gare maritime et de la Maison de la poste. Et une manière de remettre le site sur la carte bruxelloise (35 événements en 2021, 50 en 2023).

Suivront encore d’ici la fin de l’année la rénovation de l’Hôtel des Douanes (6.500 m2 de bureau) et des sheds (toits en dents de scie). De quoi finaliser la rénovation de l’ensemble du bâti existant, 25 ans après avoir lancé les opérations avec l’Entrepôt royal. “Les étangs, inaugurés il y a peu, et le parc de neuf hectares permettent d’offrir une respiration à ce nouveau quartier, explique Peter De Durpel, COO de Nextensa. Et, comme c’était prévu, pour compléter le site et mixer les fonctions dans ce quartier, un important volet résidentiel est en train d’être aménagé sur les différents terrains qui étaient à l’abandon.”

Quatre appartements vendus par semaine

La première phase du volet résidentiel (Park Lane) est construite depuis l’an dernier. Elle concernait 314 appartements répartis dans quatre immeubles. Tous sont vendus, sauf deux penthouses et un appartement témoin. Un vrai succès commercial.

Il faut dire que si l’architecture tranchait avec ce qui est habituellement construit à Bruxelles, rappelant quelque peu les quartiers de Brooklyn, Nextensa a surtout profité de la sous-offre d’appartements neufs mis en vente ces dernières années pour attirer bon nombre d’investisseurs et d’occupants. “Il est vrai que le contexte a été favorable, reconnaît Peter De Durpel. La commercialisation de Park Lane II, dont la livraison est prévue fin 2024, est toujours aussi dynamique. Nous vendons quatre appartements par semaine, ce qui est remarquable.”

PETER DE DURPEL
© pg

“Les coûts de construction ont augmenté de 20%, ce qui se reflète inévitablement sur le prix de vente.” Peter De Durpel (Nextensa)

Cette nouvelle phase comprend 346 appartements répartis dans 11 immeubles. La moitié sont déjà vendus, dans une proportion équivalente entre occupants et investisseurs. Ce rythme de vente a poussé à accélérer la demande de permis de Lake Side, histoire, si tout se passe bien, que la commercialisation ne connaisse pas de coup d’arrêt. “Lake Side sera dans la continuité architecturale de Park Lane, en mettant l’accent sur la brique et le béton, compare Peter De Durpel. La différence viendra surtout des modes de construction puisqu’il y aura davantage de constructions hors site. Il faut aussi relever qu’entre les deux phases, les coûts de construction ont augmenté de 20%, ce qui se reflète inévitablement sur le prix de vente.”

Lake Side sera dans la continuité architecturale de Park Lane, en mettant l’accent sur la brique et le béton.
Lake Side sera dans la continuité architecturale de Park Lane, en mettant l’accent sur la brique et le béton. © pg

Et Trees Verhoogen, sustainability manager de Nextensa d’ajouter: “L’objectif est de réduire au maximum notre empreinte écologique. Dans cette troisième phase, un accent important sera mis sur la récupération des eaux de pluie et d’une partie des eaux usées. Le projet sera 10% plus efficace sur le plan énergétique que les exigences imposées par le gouvernement bruxellois et n’utilisera plus de combustibles fossiles mais chauffera et refroidira grâce à une installation géothermique. Lake Side sera l’un des quartiers les plus durables de Bruxelles.”

Une tour de 127 mètres

Quand on voit les premières esquisses dessinées par les architectes (les bureaux danois Cobe, Effekt et 3XN, de même que les bureaux belges Polo Architects, Binst Architects et Hub), on constate directement que la densification verticale a été privilégiée. Avec notamment une tour de 127 mètres de haut, soit quelques mètres de moins que la tour voisine d’UP-site (Atenor) qui s’élève à 143 mètres. Les autres tours oscillent entre 60 et 80 mètres.

Une typologie qui pourrait susciter quelques réactions lors de l’enquête publique, même si les voisins sont peu nombreux. Pour le reste, des logements abordables sont prévus (des négociations sont en cours avec les pouvoirs publics sur le nombre précis) alors que pour le coliving, des contacts ont été déjà pris avec un gestionnaire potentiel. Reste qu’avec la taxe coliving instaurée par la Ville de Bruxelles, la rentabilité a du plomb dans l’aile, ce qui pourrait pousser Nextensa à remplacer le coliving par des appartements traditionnels.

Enfin, s’il souhaitait l’éviter lors des deux premières phases, le promoteur confie qu’une partie des appartements seront cette fois vendus en bloc à des investisseurs. Des opérations encore rares à Bruxelles, vu le manque de projets d’envergure. “Nous avons travaillé en parfaite collaboration avec Urban.brussels tout en respectant le Plan particulier d’affectation du sol approuvé en 2017, précise Peter De Durpel. Nous avons donc bon espoir d’obtenir le permis fin 2024.” Avec des travaux qui débuteraient dans la foulée pour se terminer en 2031.

Les commerces, tombeau de la rentabilité

Si les bonnes nouvelles s’enchaînent, il reste encore quelques cailloux dans la chaussure de Nextensa. La commercialisation des commerces en est un important. De nombreux espaces sont encore vides dans la Gare maritime alors qu’aucun espace commercial de Park Lane n’a été loué. De quoi mettre sérieusement à mal la rentabilité financière des différents projets.

“L’occupation de la partie bureaux s’élève à 90%. Par contre, celle de la partie retail n’est que de 56%, ce qui pose problème, note Peter De Durpel. Nous allons mettre l’accent sur ce volet. La Gare maritime est un lieu de destination et non de passage. Il faut donc des commerces qui soient des show-rooms. Par exemple, une salle de fitness (Fyzix) et un magasin de décoration (Wever & Ducré) ouvriront d’ici peu.”

Cette volonté d’être un “lieu de destination” se traduit également dans la nouvelle affectation qui sera donnée aux sheds. “La suppression du grand parking qu’entraînera la construction de Lake Side fait que nous allons arrêter les grands événements de type Brafa Art Fair, de manière à éviter le trafic sur le site”, précise Peter De Durpel. Deux sheds seront dédiés à des événements de plus petite taille, le troisième à un club de padel (huit terrains) qui a ouvert mi-avril, alors que le dernier accueillera d’ici peu un circuit de karting électrique.

“En matière de développement urbain – et ce projet est l’un des plus grands projets de réaménagement urbain de Belgique –, tout gravite aujourd’hui autour de la mixité, lance Michel Van Geyte. Je suis certain que ce projet s’imposera sur l’échiquier mondial comme un modèle de rénovation urbaine.”

Un effet de levier pour la ville

Antoine de Borman, le directeur de Perspectives.Brussels, ne manque pas d’éloges et pointe l’impact qu’aura le projet sur toute la partie “canal” de la ville. “Cette réhabilitation démontre qu’il est possible de transformer un site ferroviaire en un quartier attractif comprenant des espaces verts, souligne-t-il. Elle démontre également que le développement urbain prend du temps et que le travail planologique est essentiel.

Pour le reste, le réaménagement de ce quartier est pour le moment une opération remarquable. Les éléments patrimoniaux ont été préservés et mis en valeur. Le nombre de logements abordables et d’équipements collectifs, comme des écoles, restent des points d’attention pour que ce quartier ne devienne pas une poche refermée sur elle-même. Il faut que tous les habitants en profitent. Cette réhabilitation fait également tomber la barrière psychologique du canal. Les Bruxellois n’hésitent plus à venir y habiter.

Ce bout de ville est en pleine transformation. Juste en face de Tour &Taxis, sur les quais des Matériaux et Béco, un parc de trois hectares sera accessible en 2024. D’autres projets vont arriver. La réfection de l’avenue du Port est budgétisée mais il n’y a pas encore de date précise pour le début des travaux. Même situation pour l’arrivée du tram qui ira jusqu’à la station Belgica. Ce site aura vraiment un effet de levier pour toute cette partie de la ville.”

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