Spécial Inondations: “Des décisions fortes doivent être prises” en termes d’urbanisation
Des maisons éventrées, des immeubles à terre et des quartiers défigurés. Les récentes inondations qui ont touché la Wallonie poussent à s’interroger sur la manière dont le territoire a été urbanisé ces dernières décennies.
Il ne faut pas s’interroger uniquement sur l’urbanisation aux abords des cours d’eau mais également sur les plateaux des vallées, où l’artificialisation des sols a favorisé leur imperméabilisation, précise Michel Dachelet, le numéro un de l’administration wallonne en matière d’aménagement du territoire. Ce qui a accéléré le ruissellement des eaux.”
Bien avant que l’étalement urbain ne dénature les campagnes, la Wallonie s’est construite aux 19e et 20e siècles autour de ses cours d’eau. Soit à proximité de l’activité économique. Il en résulte une série de maisons ouvrières aménagées le long des rivières, exposées au premier plan, les classes plus aisées s’installant sur les plateaux.
Il faut clairement poser la question de la non- reconstruction de ce qui a été démoli et imaginer de nouvelles implantations.”
Jacques Teller (ULiège)
La bétonisation de la Wallonie a ensuite transformé le territoire en grande planche à savon. “Il est aujourd’hui nécessaire de rendre de l’espace aux rivières, de revoir la carte des zones inondables de même que de limiter l’imperméabilisation des sols, estime Chiara Cavalieri, professeur d’urbanisme à l’UCLouvain. Que ce soit à la campagne ou à la ville, il faut reconquérir de l’espace pour redonner sa place à l’eau. Sans cela, les problèmes vont se multiplier.” Et Jacques Teller, directeur du laboratoire LEMA (Local Environment Management and Analysis) à l’ULiège d’ajouter: “Il faudra aussi revoir la manière dont on aménage les fonds de vallée en fonction du bâti existant. Reconstruire à l’identique n’a aucun sens. Car les territoires touchés par les inondations le seront à nouveau. Il faut donc clairement poser la question de la non-reconstruction de ce qui a été démoli et imaginer de nouvelles implantations”. Un chantier gigantesque se profile. Avoir l’ambition de revoir l’urbanisation de certains territoires, comme les friches industrielles de fond de vallée, ou déclasser certaines zones à bâtir pour laisser le sol à la terre et à l’eau, semble inévitable pour ne pas exposer à nouveau des personnes et des activités économiques au risque d’inondation. “Cela passe par des décisions politiques fortes en matière de gestion de l’eau et du territoire, estime Jacques Teller. Ce qui manque depuis des décennies.”
Appréhender le risque
Pour les nouvelles constructions, le “Stop au béton” prévu d’ici 2050 doit tenter de rattraper les erreurs du passé. Le mouvement est en tout cas en marche: si 18 km2/an étaient urbanisés entre 1990 et 2000, ce chiffre a désormais baissé à 11,3 km2/an. Et les permis d’urbanisme octroyés en zone inondable sont aujourd’hui bien plus rares. “Il s’agit d’une compétence communale mais je n’en signe presque plus jamais en recours, note Michel Dachelet. Les communes sont plus prudentes.”
Reste qu’un des enjeux sera surtout d’appréhender le risque. “Certains conseils techniques sont avancés pour gérer les inondations, reconnaît Jacques Teller. Mais ces mesures n’auraient servi à rien avec les dernières événements: elles concernent des inondations de 10 à 30 cm. Quand on regarde les cartes d’aléas d’inondations, toute la ville de Liège est susceptible d’être touchée. Or, on ne peut pas construire une ville sur une probabilité de 0,5%. Il faut prendre en compte ce risque dans la construction. En Flandre, il existe un dispositif d’audit des habitations par rapport au risque d’inondation. Ce serait déjà utile.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici