Sazan, l’île albanaise à 1,4 milliard d’Ivanka Trump et Jared Kushner

L'île de Sazan © Getty
Muriel Lefevre

Sous l’impulsion de la fille et du gendre de Donald Trump, l’île albanaise de Sazan, joyau méconnu de la Méditerranée, est sur le point de devenir un complexe ultra-luxueux. Un projet immobilier sulfureux qui mêle intérêts économiques et géopolitiques.

C’est un projet qui fait déjà couler beaucoup d’encre : l’île de Sazan, située au large de l’Albanie dans le détroit d’Otrante, a été cédée contre un investissement de 1,4 milliard de dollars à Ivanka Trump et Jared Kushner. Nichée dans ce que l’on appelle parfois les « Maldives d’Europe » et jusqu’ici préservée de toute urbanisation, cette ancienne base militaire est sur le point de devenir une destination de prestige au cœur de la Méditerranée.

Une île sauvage au potentiel unique

Avec ses 560 hectares recouverts d’une luxuriante végétation subtropicale et sa biodiversité exceptionnelle, Sazan n’a rien à envier aux plus belles réserves naturelles d’Europe.

Cette île inhabitée se situe à une trentaine de kilomètres de la ville côtière de Vlorë, plus précisément à l’embouchure du fleuve Vjosa, à l’entrée de la côte Adriatique. Entourée d’eaux turquoise, elle offre des criques isolées et des panoramas spectaculaires. Le site, autrefois inaccessible, était un bastion militaire du régime communiste d’Enver Hoxha. Cette ancienne affectation fait qu’elle est restée dans son jus avec ses 3.600 bunkers.

C’est précisément ce caractère préservé qui séduit aujourd’hui les promoteurs.

Un outil de séduction touristique

Le projet immobilier de Kushner, approuvé par le gouvernement albanais fin 2024, prévoit la création d’infrastructures de luxe – marina, hôtels de prestige, sentiers aménagés – tout en conservant certains bunkers historiques, témoins de la guerre froide. Pour sécuriser le site, une opération de déminage devra être menée : l’île est encore truffée de munitions non explosées, restes de pillages survenus dans les années 1990.

Le projet est porté par Affinity Partners, le fonds d’investissement basé à Miami dirigé par Kushner, qui gère quelque 4,6 milliards de dollars d’actifs. Une Ivanka Trump très enthousiaste a déclaré dans un podcast que le couple comptait faire appel « aux meilleurs architectes et aux meilleures marques » pour concevoir ce projet.

Le cabinet Arup, expert international en développement durable, a été mandaté pour superviser la construction dans le respect de l’écosystème local. Selon Le Monde, ce serait le groupe hôtelier suisse Aman Resorts, spécialisé dans le très haut de gamme, qui pourrait exploiter le complexe. Le groupe appartient à Vladislav Doronin, magnat de l’immobilier d’origine russe et naturalisé suédois.

L’Albanie mise sur le tourisme haut de gamme

Cet investissement s’inscrit dans une stratégie plus large menée par le Premier ministre Edi Rama, qui voit dans le tourisme de luxe un levier clé du développement économique. Edi Rama exerce un pouvoir autoritaire que certains qualifient de « stabilocratie », à l’image d’Aleksandar Vučić en Serbie. Ce qui n’empêche pas l’Albanie d’être officiellement candidate à l’adhésion à l’Union européenne depuis 2014, et Rama espère concrétiser cette promesse d’ici 2030.

Des paysages de carte postale

Jusqu’en 1991, l’Albanie était une dictature communiste extrêmement isolée, une espèce de Corée du Nord enclavée entre l’ex-Yougoslavie et la Grèce.  Le pays possède de majestueuses montagnes et des plages de galets encore sauvages. Des paysages de cartes postales qui attirent de plus en plus touristes et promoteurs. En 2015, environ 3 millions de touristes étrangers ont visité le pays ; en 2023, ils étaient 10 millions et plus de 12 millions en 2024.

Sazan is an Albanian uninhabited island in the Mediterranean Sea. It us the largest of Albania’s islands and it was a designated military exclusion zone. It lies in a strategically important location

Cet engouement place le pays face à un nouveau défi: préserver la beauté de ses paysages tout en tirant profit de cette manne touristique. « Nous ne pouvons pas rivaliser avec les géants du tourisme de masse comme l’Italie ou la Grèce. Il nous faut miser sur la qualité, pas sur la quantité », affirme la ministre du Tourisme Mirela Kumbaro.

Un tapis rouge au Kushner

C’est sans doute ce qui a motivé l’adoption express, en février 2024, d’une loi autorisant la délivrance de permis de construire dans les zones protégées pour les projets touristiques. Une mesure votée quelques semaines seulement avant la révélation du projet Kushner. La transaction, gardée secrète jusqu’à sa publication dans la presse en 2024, a suscité de vives critiques de l’opposition.

Le gouvernement a déroulé le tapis rouge : exonérations fiscales durant toute la phase de construction et prise en charge des infrastructures (eau, électricité, assainissement). Un traitement de faveur qui pourrait fragiliser cet écrin naturel classé parc protégé, abritant de nombreuses espèces rares.

À proximité, la péninsule de Zvërnec serait elle aussi dans le viseur de Kushner.

Certains parlent ouvertement de corruption, un fléau qui touche encore largement le secteur de la construction en Albanie. Nombreux sont ceux qui craignent que ce projet ne profite surtout à une poignée de politiciens bien placés.

Soft Power à l’américaine

Depuis la fin du premier mandat de Donald Trump ou il a été le haut conseiller en politique étrangère et l’architecte du plan pour le Moyen-Orient, Jared Kushner s’est fait plus discret et n’a quasiment pas participé à la reconquête du pouvoir de son célèbre beau-père. Il n’est pas resté inactif pour autant puisqu’il a discrètement constitué un portefeuille d’investissements mondiaux, dans l’immobilier et les entreprises privées, en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Il multiplie les déplacements en Europe de l’Est, notamment en Bulgarie, Roumanie et Albanie.

L’opération albanaise ne se résumerait donc pas seulement à un lucratif projet touristique. Elle s’inscrit dans une logique d’expansion du soft power américain dans les Balkans. Affinity Partners développe également un hôtel Trump à Belgrade, dans l’ancien ministère de la Défense serbe, en partenariat avec Richard Grenell, ex-ambassadeur américain et proche de Donald Trump. L’objectif : ancrer les Balkans dans l’orbite occidentale et les éloigner de l’influence russe.

Intermédiaire privilégié des grandes fortunes du Golfe

Cette ouverture à l’international englobe aussi les pays du golfe. Ainsi l’Arabie saoudite a investi 2 milliards de dollars dans Affinity Partners. Diplomate de l’ombre et habile courtier d’influence, Kushner se positionne comme l’intermédiaire privilégié entre les grandes fortunes du Golfe et le secteur privé israélien. Jared Kushner et son fonds s’intéressent ainsi de près au potentiel immobilier de la bande de Gaza. Kushner s’inscrit ici dans la lignée de son beau-père, qui affirme que Gaza pourrait devenir « la Riviera du Moyen-Orient ».   Une énième transgression trumpienne qui avait sidéré le monde.

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