Pourquoi le permis de bâtir en Belgique freine les projets immobiliers? Analyse d’une “vraie lasagne administrative”


En Belgique, le secteur immobilier – et plus particulièrement de la construction – rencontre d’énormes difficultés ces dernières années. Au cœur du problème? Le goulot d’étranglement des permis de bâtir et la complexité administrative. Entretien avec Isabelle De Bruyne, Chief Sustainability Officer chez CFE.
Le secteur de la construction en Belgique traverse une période de turbulences. Entre la hausse des coûts des matériaux, la flambée des taux hypothécaires et l’indexation des salaires, les projets peinent à voir le jour. Mais un obstacle en particulier cristallise les tensions: l’obtention du permis de bâtir. Un véritable casse-tête administratif qui bloque de nombreux chantiers. Analyse de la problématique avec Isabelle De Bruyne, du groupe CFE.
Pourquoi l’obtention d’un permis de bâtir en Belgique est un parcours du combattant?
Quels sont les principaux freins à l’obtention d’un permis de bâtir en Belgique?
« C’est un processus long, compliqué et coûteux, notamment en raison des modifications constantes des réglementations. D’une décision à l’autre, il y a parfois des changements qu’on ne comprend pas toujours.
Et puis, on observe un manque d’harmonie entre les différentes Régions, et parfois même entre les communes. Il faut vraiment être un expert de cette « lasagne administrative » pour en comprendre tous les tenants et aboutissants. C’est tout de même aberrant qu’il faille parfois plus de juristes que d’ingénieurs pour mener un projet à bien.
Le dernier point, selon moi, c’est vraiment cette notion de recours. Ce n’est plus seulement un risque, c’est désormais presque une certitude: les grands projets, surtout à Bruxelles, seront tous retardés par des recours divers. Chaque projet est à la merci de la moindre contestation des comités de quartier. Je ne dis pas que ce principe est inutile, bien au contraire, mais il ne doit pas devenir la porte ouverte à tout et n’importe quoi. »
Quels impacts ont ces complications dans le processus?
« Coûts, délais, viabilité des projets… Cela a un impact à tous les niveaux. Cela va dépendre du projet, bien entendu. Mais ce sont surtout les très grands chantiers, qui nécessitent des années de développement, qui sont concernés.
Par exemple, l’évolution constante des réglementations peut obliger à repenser entièrement un projet. Or, cela mobilise des ressources financières supplémentaires.
Entre l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et le coût des matériaux, un projet conçu il y a plusieurs années peut ne plus être viable économiquement lorsqu’il arrive en phase de réalisation. Chaque année est un risque d’avoir une évolution défavorable de la faisabilité d’un projet. »
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L’intelligence artificielle ou la digitalisation pourraient-elles jouer un rôle pour améliorer les procédures?
« La digitalisation, très certainement. L’intelligence artificielle aussi, j’imagine, mais il est encore trop tôt pour le savoir. Mais avant que tout cela puisse être efficace, il faut établir une langue commune. Et je ne parle pas du français et du néerlandais. Mais du langage technique.
Par exemple le BIM. C’est un outil merveilleux qui permet de digitaliser tous les plans et d’avoir l’ensemble de l’information d’un bâtiment centralisé sur une base de documents. Mais tant qu’il n’y a pas un langage uniforme du BIM, c’est du travail inutile. Il faut que chaque architecte, chaque bureau d’études, chaque développeur de projet nomme de la même manière les différentes couches et les différentes informations qui sont dans un document. Actuellement, on complexifie la digitalisation au lieu de la simplifier. »
De quoi complexifier encore davantage l’obtention du permis?
« Cela décourage en fait… Il y a quelques années, le BIM était quelque chose qu’on voyait comme le Graal. Actuellement, c’est un frein. Si quelqu’un a fait son plan d’une certaine manière et qu’après, il faut tout recommencer pour correspondre à la manière de faire d’un autre, c’est du temps perdu. »
Des blocages concrets : l’exemple du projet Move Hub à Bruxelles
Auriez-vous un exemple de projet frustrant auquel vous avez été confrontée, notamment à cause des blocages administratifs?
« Actuellement, on a toujours un projet qui est en cours – Move Hub. Ce petit morceau de terrain situé gare du midi est en friche depuis 20 ans déjà. Rien n’a encore été construit, on est toujours en train d’attendre. Il y a encore eu récemment un nouveau recours. »
Qu’est-ce qui est le plus urgent: la construction ou la rénovation du bâti existant?
« Selon moi, l’enjeu principal des projets actuels, c’est de les penser « rénovables et évolutifs ». À l’heure actuelle, la rénovation d’un bâtiment se heurte souvent à des contraintes fonctionnelles. C’est très compliqué de transformer des bureaux en logements et inversement. Les besoins de la population évoluent, alors que les bâtiments, eux, ne sont pas tous adaptables. Si dès le départ, on conçoit des bâtiments adaptables, qui pourront avoir une deuxième ou une troisième vie, alors la rénovation sera plus efficace et surtout moins chère. »
Quelles réformes pour un système de permis de bâtir plus efficace ?
Si vous aviez carte blanche pour changer une règle demain, quelle serait-elle?
« Je pense vraiment que toutes les règles du Green deal, taxonomie… sont de bonnes choses. Elles ont vraiment des bonnes intentions. Cependant, leur principal frein aujourd’hui est leur complexité administrative. Le système est devenu si difficile à comprendre et à appliquer qu’il suscite de la crainte et du rejet.
J’aimerais qu’il y ait un vrai coup de nettoyage là-dedans, pour qu’on aille vers l’essence de ce que veulent vraiment ces réglementations. C’est à dire donner une vraie définition de la durabilité et s’assurer que les flux financiers aillent vers les projets durables. Et là, on aura vraiment gagné.
Aujourd’hui encore, la durabilité est perçue comme quelque chose de plus cher et plus compliqué. Alors qu’en réalité, pas du tout. Un vrai bâtiment durable, c’est un bâtiment où toutes les parties s’y retrouvent. Même l’utilisateur final. Mais il faut que les choses soient optimisées à tous les niveaux. »
Quelles seraient les trois mesures les plus urgentes à mettre en place pour encourager et faciliter la construction et la rénovation du bâti?
« Premièrement, une standardisation et une uniformisation des règles.
Deuxièmement, une simplification administrative pour aller à l’essentiel et chercher l’efficacité parfois plutôt que la perfection. Et enfin, repenser l’écosystème du monde de la construction. Faire en sorte que les différents acteurs fonctionnent de manière plus intégrée. Le secteur est encore trop siloté et empêche d’aller vers l’optimisation et l’innovation. »
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