Philippe Coenraets
Peut-on encore démolir des immeubles à Bruxelles ?
” Ne faîtes rien, ce sera mieux “. Non, ceci n’est pas un aphorisme, mais un constat que tout qui a eu l’occasion d’introduire, en Région de Bruxelles-Capitale, des demandes de permis d’urbanisme impliquant des démolitions préalables aura pu opérer.
Nous ne sommes, actuellement, pas loin du règne du “tout conserver”, même le vilain, le vieillissant ou l’inadapté. Certes, il ne faudrait pas commettre à nouveau les erreurs du passé. Le fantôme de la “bruxellisation” n’est jamais très loin et vient sans doute encore hanter l’esprit de certains responsables en charge de l’urbanisme. A raison. L’évolution de la ville ne peut en aucun cas justifier la disparition de son “patrimoine remarquable”.
Mais encore faut-il s’entendre sur les contours de cette notion. A s’en remettre aux dispositions légales en vigueur, il ne pourrait s’agir que des biens classés, inscrit sur la liste de sauvegarde ou en voie de l’être. Ni plus, ni moins. Or, la tendance est à considérer que tout bien figurant à l’inventaire du patrimoine immobilier de la Région serait également “intouchable”, au même titre que les biens classés. Ce qui n’est pas légalement admissible puisque ces biens ne bénéficient d’aucune protection patrimoniale spécifique. Sachant, en outre, que dans l’attente – très longue – de l’adoption d’un inventaire complet par le Gouvernement, le Code bruxellois de l’aménagement du territoire a prévu une mesure “transitoire” consistant à inscrire d’office à cet inventaire tous les biens construits ou autorisés avant le 1er janvier 1932. C’est dire si une très grande part du bâti bruxellois y figure, malgré lui.
Économie circulaire et bilan carbone
La tendance consistant à intégrer des considérations patrimoniales dans la matière de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire s’est également manifestée au travers de certaines prescriptions planologiques destinées à “protéger” du patrimoine jugé “intéressant” alors que non classé et non inscrit sur la liste de sauvegarde. Cette tentation n’a pas manqué de déclencher les foudres du Conseil d’Etat qui ne s’est pas privé d’annuler, dans un passé relativement récent, un plan particulier d’affectation du sol qui s’était engagé dans cette voie…
A vrai dire, il semble être devenu particulièrement compliqué, sinon impossible, d’obtenir des pouvoirs publics l’autorisation de démolir des biens figurant non seulement à l’inventaire “légal”, mais aussi à l’inventaire “scientifique”, dépourvu, lui, de toute valeur réglementaire, et que l’on retrouve sur le site internet “Irismonument”.
A côté de ce phénomène de “patrimonialisation” du bâti bruxellois, est né, de manière parallèle, un autre mouvement, de nature cette fois environnementale. Celui-ci participe de la nouvelle “économie circulaire” et de la logique du “bilan carbone”. Les biens qui, n’étant en rien protégé sur le plan patrimonial et ne figurant même pas à l’inventaire – ni légal, ni scientifique – , feraient l’objet d’une demande de permis de démolir – pour faire place généralement à des bâtiments plus performants sur le plan énergétique – vont se voir, eux aussi, indirectement “protégés”. En effet, au nom de la limitation de la production d’énergies grises, les autorités bruxelloises exigent du demandeur de permis qu’il “prouve” la “nécessité” de procéder à la démolition de son bien, et ce, notamment, via la réalisation d’un “bilan carbone” ; ceci valant quelle que soit la taille du projet, du plus grand … au plus petit. Voilà donc le demandeur contraint de s’adresser – ce qui représente un coût certain – à des bureaux d’ingénieurs en stabilité ou encore à des experts en circularité. Tout ceci en dehors de tout cadre réglementaire puisque l’arrêté définissant le mode de composition du dossier de demande de permis d’urbanisme n’impose en rien la production de tels documents.
Vers une sclérose urbaine ?
Participe également à ce même mouvement de “sanctuarisation” du bâti, la quasi-interdiction de procéder à des démolitions/reconstructions en intérieur d’îlot. Au nom de la protection de ceux-ci, les autorités s’opposent très généralement à de telles opérations, ce qui conduit indirectement les demandeurs à devoir conserver les éventuelles constructions situées en fond de parcelle et à les réutiliser vaille que vaille. Si l’on peut comprendre le souci de préservation de la quiétude en intérieur d’îlot – ce qui fait la principale qualité du tissu urbain bruxellois – , on ne peut toutefois oublier la présence de nombreuses constructions au coeur même des îlots, ce qui constitue, aussi, une spécificité de Bruxelles. Le risque est ainsi grand de voir ainsi des sites constitués d’anciens hangars demeurer en l’état, faute de pouvoir être raisonnablement reconvertis ou démolis pour faire place à de nouvelles constructions, mieux intégrées.
In fine, tout ceci risque de conduire, lentement mais sûrement, à un phénomène de “sclérose urbaine” ou d’ “immobilisme immobilier”. Or – c’est une évidence – la ville a un nécessaire besoin d’évolution. Si celle-ci ne requiert pas d’opérer une “tabula rasa” du passé, elle suppose néanmoins des choix clairs et non-contradictoires, à savoir encourager la créativité architecturale et favoriser l’émergence de bâtiments durables. L’exigence de conservation pratiquement systématique des bâtiments existants ne semble pas s’engager dans cette voie… Gageons que les autorités bruxelloises seront sensibles à ce juste équilibre à trouver entre la préservation du bâti de qualité et l’émergence d’une nouvelle urbanité.
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