Opération survie pour les “retail parks”
Ils sont attaqués de toutes parts. Des politiques qui n’en veulent plus, des clients qui souhaitent une offre commerciale plus diversifiée, un commerce en ligne de plus en plus menaçant et des loyers trop élevés qui freinent les enseignes. Résultat: le nombre de centres commerciaux situés en périphérie va sérieusement diminuer à l’avenir. Et ceux qui échappent à cette rationalisation vont devoir se réinventer pour survivre.
On les a longtemps qualifiés de ” boîtes à chaussures “. Des centres commerciaux situés en dehors des villes, le long de grandes chaussées, faciles d’accès donc, et qui peuvent proposer aux enseignes de vastes espaces pour étaler leurs marchandises. Ces retail parks, comme on les appelle dans le milieu immobilier, semblent toutefois avoir vécu. Ou du moins sont-ils sérieusement mis sur la sellette s’ils espèrent encore s’implanter sur le sol wallon.
Pourquoi ? D’abord parce que le segment du retail connaît de manière générale certaines difficultés ( lire l’encadré “Quand les loyers n’augmentent plus” plus bas). Surtout, parce qu’on retrouve dans le futur Schéma de développement du territoire (SDT) de la Wallonie actuellement soumis à enquête publique, et qui devrait être approuvé en mars prochain par le gouvernement, deux petites lignes qui ne sont pas si anodines que cela. On y lit en effet que l’idée est désormais d'” autoriser les ensembles commerciaux de plus de 2.500 m2 uniquement dans les centres-villes et plus en périphérie, sauf à démontrer qu’une installation périphérique ne porte pas préjudice aux commerces dans les noyaux urbains environnants “. L’objectif du politique est donc bien de tenter de redynamiser les centres via le commerce et d’éviter la dispersion des forces comme on a pu le constater ces dernières années à Mons ou à Nivelles.
Il est évident que l’avenir des ‘retail parks’ qui ne disposent pas encore de leur permis est clairement mis en danger.” François Boon (2 Build Consulting)
Petite phrase, grands effets. Ce nouveau positionnement commercial devrait en effet bouleverser quelques habitudes. Car quand on regarde le pipeline de projets de centres commerciaux prévus en Wallonie dans les prochaines années, on n’en recense qu’une demi-douzaine en centre-ville, que ce soit à La Louvière (La Strada), Verviers (City Mall), Namur (Parc Léopold), Liège (Belle-Ile, extension) ou encore Tubize (Outlet Mall). Par contre, la liste de retail parks en cours de développement est bien plus longue. Et elle s’étend aux quatre coins de la Wallonie. Dont notamment, pour les plus importants, à Beauraing (Shop’In), Couvin (La Couvinoise), Dour (Espace C), Bertrix (Frunshopping), Sambreville (Espace 98), Soumagne (Central Piazza), Waterloo (Mont-Saint-Jean et Place Richelle), Lodelinsart (Bon Air Park), Mouscron (Mozaik), Perulwez (Outre l’eau) ou encore Awans (Roua 2.0).
” Il est évident que l’avenir des retail parks qui ne disposent pas encore de leur permis est clairement mis en danger par cette nouvelle orientation politique, fait remarquer le juriste François Boon, fondateur de 2 Build Consulting. Certains de ces projets risquent de ne pas voir le jour, alors que cette donne n’impliquera pas nécessairement une hausse du nombre de shoppings en centre-ville. ” Certains développeurs de retail parks (Property & Advice, De Vlier, Mitiska, Ardent Group, Wagner Groupe, Data Build, et DPR), inquiets, ont d’ailleurs décidé de se fédérer pour faire entendre leur voix et s’opposer à cette nouvelle mesure. Ils vont interpeller le ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Carlo Di Antonio, sur le sujet.
Le commerce, seul coupable ?
” Il est trop facile de justifier le déclin des centres-villes par la présence de commerces en dehors de ces centres urbains, fait remarquer Hubert Coussement, administrateur délégué de Property & Advice, qui développe un projet à Soumagne. Ce n’est pas le principal coupable. La problématique est bien plus large et concerne des questions de mobilité, d’accessibilité, de propreté et d’attractivité. Il est illusoire de croire que le manque de politique dans ces matières sera résorbé par le fait de simplement ramener des enseignes. Car le commerce n’a fait que suivre les habitudes de vie des consommateurs. D’ailleurs, les retail parks ne désemplissent pas. ”
La priorité n’est plus d’augmenter l’offre commerciale de périphérie, mais de la rendre davantage qualitative et attrayante.” Nicolas Rosiers (BLSC-UPSI)
Cette mesure devrait en tout cas renforcer les grands propriétaires tels que Wereldhave, Redevco, AG Real Estate, Ascensio ou encore Galimmo, qui disposent d’un portefeuille conséquent de centres commerciaux ou de retail parks situés en périphérie. La concurrence diminuant, leur positionnement s’en verra renforcé. ” Il est vrai que cela pourrait être une des conséquences, confirme Nicolas Rosiers, président de la Belgian Luxembourg Council of Retail and Shopping Centers (BLSC-UPSI), et directeur juridique de Wereldhave Belgium. Mais une chose est certaine : compte tenu de l’évolution générale du commerce et du comportement du consommateur en matière d’accessibilité et de développement durable, on se dirige vers une rationalisation du nombre de points de vente. Pour le BLSC-UPSI, la priorité n’est donc plus d’augmenter l’offre commerciale de périphérie, mais de la rendre davantage qualitative et attrayante. Nous pensons que les commerces situés dans des zones moins attrayantes, comme par exemple les grandes enseignes spécialisées solitaires le long d’un axe routier, vont avoir des difficultés. Les regroupements sont donc inévitables. ”
Le SDT laisse toutefois une porte de sortie pour l’érection de nouveaux retail parks. Ceux-ci pourront en effet être construits si les enseignes qui les occupent n’entrent pas en concurrence avec le centre-ville. ” Cela signifie-t-il que seule une offre de pondéreux (meubles, bricolage, jardinage, électroménager, etc.) sera admissible, se demande François Boon. Ce n’est pas clair. De même, la frontière entre centre-ville et périphérie est relativement floue et sujette à de multiples interprétations. Les communes pourront agir comme bon leur semble, ce qui peut interpeller notamment au regard des droits constitutionnels et de ceux issus de directives européennes qui précisent qu’on ne peut plus juger de l’opportunité d’un projet sur un aspect concurrentiel. ” Sans parler du fait que, selon certains, sans les enseignes textiles ou alimentaires qui agissent comme locomotives, les retail parks sont difficilement viables.
Taille maximale
Tous les observateurs s’accordent en tout cas pour dire que les retail parks vont devoir se réinventer. ” Sans quoi, les premiers chancres vont arriver “, estime François Boon. Plusieurs acteurs sont déjà en passe de reconfigurer leur parc actuel, en offrant davantage de mixité commerciale, une plus grande ” expérience ” client et davantage d’espaces de loisirs. Une voie à suivre. Construits il y a 20 ou 30 ans pour la plupart, les retail parks ne sont en effet plus toujours adaptés aux demandes actuelles. ” Il est opportun de les adapter aux besoins et aux enjeux futurs “, détaille Kristof Restiau, managing director de Redevco Belgium, bras immobilier de Carrefour Belgique. Redevco vient d’ailleurs lancer une importante opération de rénovation de ses différents retail parks. Le monde a changé, l’économie aussi, poursuit Kristof Restiau. Notre parc immobilier était très horizontal et monofonctionnel. Il faut changer cela, en y ajoutant des fonctions résidentielles et de loisirs. Nous devons aussi nous adapter aux nouvelles contraintes de l’e-commerce. L’immobilier n’a pas encore suffisamment réagi à cette disruption. Dans les retail parks, nous tendons de plus en plus vers une flexibilité des loyers et une concentration des sites. Ils ne disparaîtront pas tous, seuls les meilleurs perdureront. Par contre, je ne pense pas que la surface totale du marché connaîtra encore d’importantes croissances. ”
Plus encore que les autres segments (shoppings ou grandes rues), le commerce de périphérie subit une pression certaine sur les loyers, les enseignes éprouvant de plus en plus de difficultés à payer leurs mensualités. Pour éviter de voir l’une ou l’autre vitrine baisser leur pavillon, les propriétaires doivent donc innover. Cela passe par des mois de loyers gratuits, des rabais, voire en liant chiffre d’affaires et loyer. ” Cette tendance augmente dans les retail parks, relève Sébastien Vander Steene, head of retail chez CBRE Belgium, même si la pression sur les loyers est surtout présente dans les localisations secondaires. ” Et Jean Baheux, head of retail chez Cushman & Wakefield, de confirmer : ” Les marges des retailers sont de plus en plus sous pression. Nous nous attendons à ce que les loyers subissent de nouvelles tendances à la baisse dans les années à venir. “
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