Obligation de rénovation: un frein de plus pour les primo-acquéreurs?

smart screen with smart home and modern living room © Getty Images

En Belgique, les pouvoirs publics veulent accélérer la transition énergétique du bâti résidentiel. À la clé : des logements mieux isolés, une baisse des émissions de CO2, mais aussi des contraintes nouvelles pour les propriétaires. Si la Flandre a déjà imposé une obligation de rénovation depuis 2023 pour les logements les plus énergivores, la Wallonie et Bruxelles vont lui emboîter le pas. Cette ambition verte est-elle compatible avec la réalité économique des ménages, en particulier des primo-acquéreurs ?

Depuis 2023, la Flandre oblige tout nouvel acheteur d’un logement avec un certificat PEB de niveau E ou F à le rénover dans les six ans pour atteindre au moins le niveau D. L’objectif initial – une amélioration progressive de la performance énergétique vers le label A, d’ici 2040 – a été abandonné en 2024, jugé trop irréaliste. L’exécutif flamand a assoupli le calendrier, tout en maintenant l’objectif de rénovation obligatoire.

Du côté de Bruxelles, une réforme équivalente entrera en vigueur à partir de 2025. Le gouvernement régional prévoit une obligation progressive de rénovation énergétique fondée sur le certificat PEB. Chaque logement devra atteindre un niveau minimum dans un délai donné (D, puis C, etc.), avec des échéances étalées jusqu’en 2050. L’ensemble du parc immobilier devra tendre vers la neutralité carbone à cet horizon.

La Wallonie, quant à elle, a également annoncé sa trajectoire : dès 2026, les logements les plus énergivores (PEB G, F et E) feront l’objet d’une obligation de rénovation à la revente, avec l’objectif d’atteindre un niveau D dans un délai de cinq ans après l’achat. Contrairement à Bruxelles, la Wallonie prévoit aussi des obligations en cas de mise en location, afin d’éviter que les logements les moins performants ne soient loués sans travaux.

La cacophonie des certificats PEB

En matière de performance énergétique des bâtiments (PEB), chaque Région a développé sa propre grille d’évaluation. Une maison enregistrant les mêmes performances énergétiques n’obtient pas le même label PEB selon qu’elle soit située à Bruxelles, en Wallonie ou en Flandre.

Des prix qui ne s’ajustent pas aux contraintes

La logique initiale derrière ces obligations est simple : si un bien est mal noté sur le plan énergétique, sa valeur sur le marché devrait baisser, ce qui permettrait à l’acheteur de dégager un budget pour financer la rénovation. Mais en pratique, cette décote reste marginale.

Selon les chiffres de la Fédération du Notariat, le prix médian des habitations avec un score énergétique A a augmenté de 10,9% en 2024 pour atteindre 388.000 euros, creusant encore davantage l’écart de valorisation entre biens performants et passoires énergétiques. En effet, le prix de ces dernières a baissé sur la même période de 246.000 à 242.750 euros, ne perdant que 1,3 % de sa valeur entre 2023 et 2024. L’écart de prix entre une habitation avec le meilleur score énergétique et une maison fort énergivore a ainsi augmenté de 40.000 euros en un an.

Résultat : la rénovation obligatoire devient souvent un coût supplémentaire, non anticipé, pour les primo-acquéreurs. Selon Embuild Vlaanderen, il faut entre 40.000 et 60.000 euros pour atteindre le label D, et plus de 100.000 euros pour une rénovation poussée jusqu’au label A. Or ces montants sont rarement intégrés, que ce soit dans le prix d’achat ou dans le financement bancaire.

Pour les jeunes, un risque de double contrainte

Pour les jeunes acheteurs, le paradoxe est cruel : les biens énergétiquement inefficaces sont souvent les seuls financièrement accessibles… mais ce sont aussi ceux qui déclenchent une obligation de rénovation lourde, dans un délai court, et parfois sans aide suffisante.

“Avant, les ménages achetaient un bien modeste et planifiaient les travaux sur 10 ou 15 ans, explique l’architecte Vincent Van Den Broecke. Aujourd’hui, ils doivent tout faire dans les six ans, parfois sans soutien bancaire, ni visibilité sur les primes.” Il plaide pour une approche plus souple, fondée sur la capacité réelle du ménage et la faisabilité technique.

Ce constat vaut pour également pour Bruxelles et la Wallonie, où les logements anciens dominent le marché. À Bruxelles, en particulier, de nombreuses habitations sont classées E, F ou G. Les contraintes énergétiques, les copropriétés et les règles urbanistiques rendent la rénovation plus complexe… et donc plus coûteuse.

À force de miser sur des indicateurs abstraits comme les labels, on risque d’ignorer la réalité du bâti belge, estiment les professionnels. “Le certificat énergétique reste théorique, rappelle Vincent Van Den Broecke. Il ne reflète pas toujours l’état structurel, les déperditions réelles ou les usages du bâtiment. Il recommande de partir de normes PEB plus cohérentes, liées à des travaux concrets et à des exigences techniques vérifiables.

Des aides qui peinent à compenser

Les Régions proposent des dispositifs de soutien : primes à la rénovation, prêts à taux zéro, déductions fiscales, réductions de droits d’enregistrement. Mais le système reste fragmenté, peu lisible, et souvent conditionné à des plafonds de revenus ou à des démarches administratives lourdes. En Flandre, le prêt Mijn Verbouwlening à taux zéro est salué, mais jugé insuffisant pour combler l’écart. En Wallonie, les guichets énergie et les primes rénovations ont été fusionnés sous un système simplifié… qui reste cependant critiqué pour sa lenteur. À Bruxelles, c’est l’incertitude la plus totale : les primes Renolution ont été suspendues faute de gouvernement.

“Les jeunes acquéreurs doivent savoir dès le premier jour ce que la rénovation va vraiment leur coûter et ce que cela leur rapportera par la suite, estime Caroline Deiteren, directrice générale d’Embuild Vlaanderen. Ce n’est qu’à cette condition que l’obligation de rénovation cessera d’être une charge pour devenir un levier. Une habitation économe en énergie se rembourse également en partie via une facture énergétique allégée.”

Cuisine et salle de bains

Dès lors, la question de savoir s’il est judicieux pour un jeune acheteur d’acquérir aujourd’hui un logement classé E, F ou G reste entière, même avec la nouvelle mouture de l’obligation de rénovation. Pour bon nombre de primo-acquéreurs, une maison à mauvaise performance énergétique reste encore la seule porte d’entrée financièrement accessible sur le marché immobilier. Mais le risque est réel : si le prix d’achat semble abordable, le budget rénovation, lui, n’est pas toujours clairement défini dès le départ.

L’architecte Vincent Van Den Broecke est confronté quotidiennement à cette problématique. Il plaide pour une remise en question du cadre actuel : “L’État a créé une obligation supplémentaire. Cette pression repose aujourd’hui principalement sur les jeunes acheteurs qui viennent à peine d’accéder à la propriété.” Selon lui, un encadrement complémentaire s’impose : il faut à la fois rétablir la confiance dans le secteur de la construction et offrir plus de certitudes aux consommateurs.

Il plaide pour un taux de TVA stable à 6 % pour la rénovation et pour le logement en général, pour l’intégration d’un critère de qualité dans le certificat PEB, la formation et l’assurance obligatoires pour tous les entrepreneurs, une simplification réglementaire et un cadre prenant aussi en compte “la dimension humaine”. “Les jeunes propriétaires veulent souvent commencer par rénover leur cuisine ou leur salle de bains, pour se sentir rapidement chez eux. Si la politique passe totalement à côté de cette réalité, elle ne ralliera jamais l’adhésion de la population.”

L’obligation de rénovation peut peser lourdement

Embuild Vlaanderen partage ce constat : sans accompagnement, l’obligation de rénovation peut peser lourdement. Caroline Deiteren plaide pour un soutien renforcé : “L’accompagnement est essentiel. Les jeunes ont besoin d’un coach en rénovation, d’un plan directeur et d’une information claire. Il faut leur montrer les étapes logiques et les aides disponibles – primes et prêts.”

La fédération rappelle que les coûts ne s’arrêtent pas aux seules factures d’isolation ou de châssis. “Celui qui regarde l’ensemble du tableau perçoit aussi les gains : une facture d’énergie réduite et une valeur de revente plus élevée après rénovation”, conclut Caroline Deiteren. 

Trois Régions, trois calendriers

Chaque Région a établi son propre calendrier visant à l’amélioration des performances énergétiques du parc immobilier belge. Autant d’échéances strictes qui semblent difficilement tenables, tant en termes de timing que financièrement parlant. À voir si elles seront maintenues en l’état. La Flandre, de son côté, a fait preuve de réalisme et a décidé d’assouplir les règles qu’elle s’était fixées et qui visaient à atteindre le label A d’ici 2040.

Bruxelles

• D’ici le 1er janvier 2031: Tous les logements résidentiels devront obligatoirement être munis d’un certificat PEB valide – même sans vente ou location.
• À partir de 2033: Les biens classés F ou G ( ≥ 275 kWh/m²/an) seront interdits à l’usage s’ils ne sont pas rénovés. Des sanctions financières (légères) seront appliquées en cas de non‑respect.
• À horizon 2045: Les logements classés D ou E devront être rénovés pour atteindre au minimum la classe énergétique C (≤ 150 kWh/m²/an).
• Objectif 2050: Le parc résidentiel bruxellois devra afficher une performance moyenne de 100 kWh/m²/an, soit un niveau C+.

Wallonie

Deux calendriers distincts existent pour les propriétaires occupants, selon qu’ils ont récemment acquis le bien (via vente ou héritage) ou qu’ils l’occupent déjà.
Le changement de propriétaire accélère les obligations énergie. Du côté des bailleurs, les exigences sont plus strictes pour les nouveaux contrats de location que pour les baux en cours, avec des échéances rapprochées permettant de graduellement éliminer les passoires énergétiques.

• Dès 2028 : certificat PEB obligatoire
• Propriétaires occupants :
– Sans changement de propriété : label F en 2031, E en 2036, D en 2041, C en 2046, B en 2050
– Avec changement de propriété : D en 2026, C en 2031, B en 2036, A en 2041
• Bailleurs :
– Nouveaux loyers : label F en 2025, E en 2028, D en 2031, C en 2034
– Contrats en cours : F en 2027, E en 2030, D en 2033, C en 2036
• Objectif : label A moyen d’ici 2050

Flandre

• Depuis le 1er janvier 2023, les acquéreurs de logements PEB E ou F doivent atteindre un label D dans un délai de 6 ans.
• Initialement le calendrier prévoyait des échéances de rénovation afin d’atteindre le label A d’ici 2040. L’an dernier, le gouvernement Diependaele a supprimé ces obligations irréalistes afin de préserver l’accessibilité financière, notamment pour les primo-acquéreurs et les familles à moyens limités.

Wouter Temmerman et Anne-Sophie Chevalier

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