L’immobilier de bureau à Bruxelles est soumis à une pression fiscale particulièrement élevée, principalement en raison du cumul de taxes de toutes sortes. Et c’est la périphérie qui en profite.
« Quel est le message que les autorités bruxelloises veulent adresser aux entreprises ? Vous êtes des vaches à lait. » La critique de Thierry Geerts, président de la Chambre de commerce de Bruxelles (Beci), est cinglante, mais elle n’est pas infondée si l’on en croit le dernier Property Tax Report du cabinet-conseil Ayming Belgium.
La seule taxe que les trois régions du pays perçoivent de manière uniforme est le précompte immobilier. Celui-ci repose partout en Belgique sur la même base : le revenu cadastral. Il s’agit du revenu locatif fictif d’un bien au 1er janvier 1975, utilisé pour évaluer sa valeur locative nette moyenne. Depuis 1991, ce revenu cadastral est indexé chaque année.
« Il est toujours exprimé en francs belges, puis converti en euros. Ce simple fait illustre à quel point notre système est resté figé au fil du temps », souligne l’étude.
Le calcul du précompte immobilier varie selon les endroits, en fonction des parts perçues par les Régions, les provinces et les communes. En 2025, le précompte immobilier moyen en Belgique représentera 50,58 % du revenu cadastral indexé. Dans le détail : 46,26 % en Flandre, 54,95 % en Wallonie, et 55,35 % en Région de Bruxelles-Capitale. Mais les écarts entre communes sont bien plus marqués : de 28,60 % à Sint-Martens-Latem jusqu’à 67,62 % à Alveringem.
Mais ce ne sont pas ces quelques points de pourcentage qui constituent le cœur du problème. Ayming Belgium pointe avant tout une accumulation de taxes, à commencer par la taxe sur les surfaces non résidentielles en Région bruxelloise. Selon le rapport, elle représente en moyenne 24,92 % du montant du précompte immobilier. « Si l’on en tient compte, on constate que la pression fiscale dépasse les 60 % dans 17 des 19 communes bruxelloises, et même les 70 % dans neuf d’entre elles », indique l’étude. Schaerbeek détient le triste record, avec un taux de 82,45 %.
En plus du précompte immobilier et de la taxe régionale, les communes bruxelloises réclament elles aussi leur part du gâteau. À l’exception de Koekelberg, toutes imposent une taxe sur les immeubles de bureaux, variant de 10 à 40 euros par mètre carré. Enfin, plus de la moitié d’entre elles perçoivent également une taxe sur les emplacements de parking.
La périphérie bruxelloise, grande gagnante
Comparée aux autres grandes villes du pays, la pression fiscale à Bruxelles ne semble pas anormale. À Charleroi, Liège ou Mons, elle avoisine également les 60 % du revenu cadastral. Les entreprises n’y sont pas soumises à une taxe provinciale sur la surface de leurs installations, mais bien à une taxe communale sur les parkings.
Dans les principales villes flamandes – Anvers, Gand, Bruges –, la part du précompte immobilier descend à environ 50 %, mais les entreprises y acquittent aussi des taxes provinciales et communales.
Mais c’est lorsque l’on compare Bruxelles à sa périphérie directe que les écarts deviennent beaucoup plus flagrants. « Ces communes sont nettement plus attractives sur le plan fiscal : précompte immobilier plus bas, absence d’une taxe équivalente à la taxe bruxelloise sur les surfaces non résidentielles, et dans la majorité des cas, pas de taxe communale sur les bureaux ou les parkings. Il n’est donc pas étonnant qu’elles soient de plus en plus prisées, avec une offre croissante de bureaux », analyse l’étude.
« Depuis plusieurs années, de nombreuses autorités locales cherchent activement à attirer des entreprises. C’est particulièrement vrai dans le Brabant flamand, où Zaventem et Machelen affichent un précompte immobilier très bas. Mais certaines communes wallonnes, comme Waterloo, se révèlent elles aussi compétitives », note Alexandra Dryjski, finance & grants performance director chez Ayming BeNeLux.
Les entreprises quittent Bruxelles
En 2023, 3.115 entreprises ont quitté Bruxelles pour s’implanter en Flandre ou en Wallonie, contre 2.129 qui ont fait le chemin inverse. Résultat : une perte nette de 986 entreprises pour la Région bruxelloise. En dix ans, ce solde négatif a augmenté de 61,6 %.
« Le problème est bien réel. Les entreprises ne déménagent pas du jour au lendemain. Elles se posent la question lorsqu’elles croissent, qu’elles se sentent à l’étroit dans leurs bureaux, ou qu’elles réalisent qu’avec le télétravail, elles peuvent faire des économies. Si vous êtes installé à Haren et que vous constatez que vous pouvez économiser beaucoup de taxes en déménageant à 400 mètres de là, à Zaventem, la décision est vite prise », explique Thierry Geerts.
Selon Ayming Belgium, seules les entreprises internationales, les grandes entreprises belges et les institutions financières semblent encore prêtes à assumer les coûts élevés liés à une implantation dans la Région bruxelloise. « BNP Paribas Fortis a récemment acquis un tout nouveau siège dans le centre-ville, Belfius reste installé dans sa tour place Rogier, et ING s’apprête à achever la rénovation de son siège historique avenue Marnix. Pour ces grandes banques, il reste crucial de maintenir leur siège social dans la capitale », souligne Alexandra Dryjski, finance & grants performance director chez Ayming BeNeLux.
Mais Thierry Geerts nuance : « La prolifération des taxes est particulièrement pénalisante pour les PME bruxelloises. Mais même les géants ne sont pas épargnés. Il suffit de regarder le secteur du conseil : aucun des Big Four n’est basé à Bruxelles. EY et PwC sont à Diegem, Deloitte et KPMG à Zaventem. »
Une pression fiscale alimentée par la crise
Si la Région de Bruxelles-Capitale et ses communes imposent une telle pression fiscale sur les immeubles de bureaux, c’est aussi parce qu’elles y sont financièrement contraintes. Leur situation budgétaire est préoccupante. En 2023, la taxe sur les surfaces non résidentielles a rapporté 103 millions d’euros à la Région. « Ce sont des montants vertigineux. Aux yeux des autorités, les promoteurs disposent de ressources importantes. Il est plus facile d’aller chercher l’argent chez eux que chez les citoyens », analyse Alexandra Dryjski.
Pour Thierry Geerts, à force de trop tirer sur la corde, elle risque de casser. « Je comprends bien les contraintes. Mais je pense que la Région bruxelloise a placé la barre beaucoup trop haut. Elle devra trouver d’autres sources de financement, en réduisant ses propres structures par exemple. »
Toutefois, selon lui, le problème ne réside pas tant dans le niveau des taxes que dans leur complexité. « Cela génère une charge administrative totalement disproportionnée. Même lorsqu’elles sont faibles, l’accumulation de taxes donne l’impression aux entrepreneurs qu’ils doivent toujours payer, pour tout. Ce climat est délétère pour l’entrepreneuriat. »
Le rapport d’Ayming Belgium dénonce également le manque de transparence de certaines taxes, à commencer par celle liée au revenu cadastral. « On reçoit un avis avec des informations générales, mais sans aucun détail sur le calcul. Il faut davantage de transparence et d’harmonisation », plaide Alexandra Dryjski.
Bruxelles, un surcoût compensé par des atouts
Si la pression fiscale peut rebuter, Bruxelles conserve néanmoins des arguments de poids pour séduire les entreprises. D’abord, le prestige. « Beaucoup d’entreprises belges ont leurs centres de production en Flandre ou en Wallonie, mais conservent leur siège dans la capitale, car cela renforce leur image », observe Alexandra Dryjski.
Ensuite, la mobilité. « De nombreux efforts ont été consacrés aux transports publics. Bruxelles est rapidement accessible depuis l’ensemble du pays, mais aussi depuis l’étranger. »
Enfin, un atout souvent sous-estimé : la main-d’œuvre. « Nous sommes en pleine guerre des talents. Bruxelles compte 90.000 demandeurs d’emploi. Un problème pour la Région, mais une opportunité majeure pour les entreprises », souligne Thierry Geerts.
Selon lui, ces avantages peuvent justifier une fiscalité plus élevée à Bruxelles. « Les entrepreneurs sont prêts à payer environ 30 % de plus pour être présents dans la capitale. Le problème, c’est lorsque l’écart de pression fiscale est divisé par trois quelques centaines de mètres plus loin », conclut-il.