Sur l’île de Rügen, l’une des destinations touristiques préférées des Allemands, en bordure d’une plage de sable fin longue de 4,5 km, se dresse Prora. Cette immense structure de béton édifiée sous le régime nazi en 1936 est devenue l’un des projets immobiliers les plus emblématiques du littoral allemand.
Surnommé le colosse de Rügen, ce ruban d’immeubles de six étages, initialement conçu par l’architecte Clemens Klotz pour accueillir 20 000 vacanciers dans le cadre de la propagande du Kraft durch Freude (« la force par la joie ») qui organisait les loisirs des Allemands sous le régime national-socialiste, n’a jamais été achevé.
Lorsque la guerre éclate, la construction fut mise à l’arrêt trois ans après son lancement. La plupart des bâtiments n’avaient encore ni fenêtre ni finitions. Il n’accueillera donc jamais les ouvriers souhaitant profiter des embruns, mais bien des travailleurs forcés polonais et russes. Le projet restera en état jusqu’en 1949, date à laquelle l’Allemagne sera séparée en deux. Les communistes de l’Allemagne de l’Est décident alors d’achever le complexe et de l’utiliser comme baraquement pour leurs troupes. Malgré le cadre riant, la caserne avait sinistre réputation. Elle aurait ainsi abrité une antenne de Stasi, la police politique et le service de renseignement de la République démocratique allemande (RDA).
Des huit bâtiments d’origine, il n’en reste aujourd’hui plus que 5 dont la plupart avait été laissé à l’abandon. Un véritable paradis pour les amateurs de lieux désaffectés… et les oiseaux. La nature a eu le temps de reprendre ses droits. Aujourd’hui encore friches boisées, lagunes et zones d’observation ornithologique renforcent l’attrait du site.
Une renaissance dans le haut de gamme
Depuis le début des années 2010, un chantier titanesque a transformé, bloc après bloc, ce vestige de béton en résidences de standing. Prora est désormais l’un des projets immobiliers les plus atypiques et rentables d’Allemagne et les prix au mètre carré rivalisent aujourd’hui avec ceux de certaines stations balnéaires de la mer du Nord.
Avec un prix moyen proche de 5 800 €/m² et pouvant dépasser 7 000 €/m² pour des biens particulièrement haut de gamme (selon les finitions et la vue), Prora s’inscrit parmi les destinations immobilières les plus premium de la côte baltique.
Cette montée en gamme s’inscrit dans un contexte porteur : sur la côte baltique allemande, les prix immobiliers ont progressé de 10 à 15 % en un an, tirés par la demande en résidences secondaires et par le développement d’infrastructures touristiques haut de gamme.
Pour les plus petites bourses Prora cache aussi une auberge de jeunesse.
Des incitations fiscales attractives
L’acquisition dans ces bâtiments classés donne droit à des déductions fiscales pouvant atteindre les deux tiers du prix d’achat, à condition de conserver la façade d’origine. Les investisseurs peuvent donc bénéficier d’une rentabilité nette améliorée, tout en misant sur une plus-value potentielle grâce à la rareté du produit, selon De Spiegel. Et par une sorte de miracle administratif, ils ont tout de même pu y ajouter des balcons.
Enjeux et perspectives
Cette revalorisation ne fait pas l’unanimité : des voix dénoncent une “dé-historicisation” du site au profit d’investissements spéculatifs. En réponse, le bloc V a été acquis par l’État de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale pour en faire un petit musée consacré et un centre de documentation à l’histoire du lieu, garantissant que la mémoire du passé ne soit pas effacée par les rendements immobiliers.
Beaucoup regrettent également un manque de vision globale puisque l’État fédéral, qui possédait tous les blocs, les a vendus un par un au privé. Enfin, Prora cristallise un autre débat, celui des achats immobiliers dans l’ancienne Allemagne de l’Est par des riches ex-Allemands de l’Ouest, rendant ces derniers impayables pour les locaux. L’animosité entre des Ossis (est) et des wessis (ouest) n’est pas encore enterrée comme le signale un épisode d’affaires sensibles.
Les nouveaux habitants arguent eux que le lieu n’a jamais été exploité, ce qui dédouanerait le lieu de tout mauvais karma. Les plus poétiques diront qu’il a été « réinventé ».
Quoi qu’il en soit, si les polémiques demeurent et sont révélatrices des tabous et des tensions toujours actuelles dans la société allemande, le succès commercial ne dément pas. La station balnéaire vient même d’obtenir en 2025 le label officiel de Kurort (station balnéaire thermale), renforçant son attractivité touristique et sa valeur immobilière à long terme. D’autant plus qu’un nouveau projet immobilier est lancé en deuxième ligne derrière Prora.