Les maisons kangourous, une vieille formule remise au goût du jour

La maison kangourou est surtout populaire dans les grandes villes. © Getty Images

Pour répondre au difficile accès à la propriété pour les jeunes et à la sous-occupation du parc immobilier belge, les maisons kangourous semblent constituer une piste séduisante. Elles ont d’ailleurs le vent en poupe. C’est en tout cas vrai en ville, mais peut-être moins à la campagne.

Obtenir des statistiques précises sur le nombre de maisons kangourous en Belgique est impossible. Cette terminologie ne répond pas à une définition juridique existante. Les acteurs du secteur savent pourtant bien ce à quoi cela fait référence. Comme la mère kangourou protège ses bébés dans sa poche ventrale jusqu’à ce qu’ils soient taillés pour s’en sortir dans la nature, des parents humains couvent leurs enfants dans leur maison jusqu’à ce qu’ils aient les reins suffisamment solides pour s’émanciper.

Attention, on parle bien ici de jeunes adultes, généralement déjà actifs et en quête d’autonomie. Le bien est ainsi subdivisé en plusieurs entités d’habitation indépendantes, chacune habitée par un ménage distinct. Contrairement à une colocation, ces unités ne disposent pas de pièces de vie en commun. Elles partagent, au mieux, un jardin ou un hall d’entrée. Le modèle le plus courant voit les parents occuper le rez-de-chaussée, l’enfant l’étage. D’autres déclinaisons existent : un parent vieillissant peut partager sa maison kangourou avec une jeune famille qu’il ne connaît pas ou déménager lui-même dans l’habitation d’un de ses enfants, par exemple.

D’après une enquête réalisée en 2024 par Ipsos pour Crelan, 12% des propriétaires et copropriétaires belges disent avoir une maison kangourou. Aux yeux de l’urbaniste Aglaée Degros, ce chiffre paraît surévalué. “Ce taux me surprend, mais c’est une réalité très mal documentée dans le pays, réagit-elle. Ce qui paraît en revanche plus décisif, c’est que le nombre d’adeptes augmente.” Il a effectivement plus que doublé en à peine sept ans, toujours selon Ipsos/Crelan.

Des arguments qui séduisent

Les raisons qui poussent certains jeunes adultes à opter pour une maison kangourou comme étape intermédiaire entre le nid familial et un premier achat semblent évidentes. “Ils veulent gagner en indépendance, mais n’ont pas forcément les moyens financiers de devenir propriétaires, voire de louer seuls, observe Aglaée Degros, à la tête du cabinet d’architecture bruxellois Artgineering. Cette alternative leur permet d’avoir leur intimité tout en atténuant les frais.”

Pour les seniors, la formule comporte également nombre d’avantages. D’une part, ça leur permet de rester plus longtemps dans leur maison. “Ils y sont très attachés, mais ils sont aussi conscients qu’ils n’ont plus les moyens financiers et physiques de l’entretenir”, analyse l’urbaniste. D’autre part, ça leur évite le passage brutal en maison de repos. “Les homes coûtent cher, rappelle Aglaée Degros. De plus, à 65-70 ans, on a envie de conserver un maximum d’autonomie et un certain niveau de qualité de vie, des éléments qu’on n’associe pas nécessairement aux maisons de repos. Dans l’esprit des seniors, aller là-bas, c’est se rapprocher de la mort.”

En plus de répondre aux besoins de deux générations, les maisons kangourous solutionneraient en partie le problème de sous-occupation du bâti – près de trois quarts des personnes de plus de 65 ans occupant un logement trop spacieux. “Notons aussi que c’est un modèle qui a longtemps existé dans le passé, lorsqu’il était tout à fait normal que deux ou trois générations d’une même famille cohabitent dans une seule habitation, ajoute celle qui est également professeure à l’Université technique de Graz. Il n’a d’ailleurs jamais totalement disparu de certains pays, notamment ici en Autriche.”

Plutôt en ville…

Séduisante sur papier, la maison kangourou n’a toutefois pas vocation à pulluler partout. Selon l’enquête de Crelan, elle est surtout populaire dans les grandes villes, Bruxelles en tête. “La vie en ville, avec des prix plus élevés, des surfaces plus petites et des options plus limitées en matière de jardin expliquent certainement cet engouement”, avance Caroline Beauvois, porte-parole de la banque.

Aglaée Degros voit une autre explication : la typologie des habitations urbaines. “Transformer ces maisons en logements kangourous est assez facile et ne demande pas de grands investissements, analyse-t-elle. C’est un élément d’autant plus important qu’à partir d’un certain âge, les propriétaires ne veulent plus mettre beaucoup d’argent dans leur maison.”

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“Transformer les maisons urbaines en logements kangourous est assez facile et ne demande pas de grands investissements.” – Aglaée Degros, urbaniste

En outre, la ville répondrait plutôt bien aux besoins des seniors, pour qui la conservation d’un lien social est primordiale. “Certains voient leur conjoint, leur frère et leurs amis mourir et souffrent de solitude, rappelle l’urbaniste. Avoir un café et une supérette au bas de chez eux, ça compte beaucoup. Si on y ajoute la présence d’un jeune à l’étage, qui peut s’occuper du ménage et leur porter assistance le cas échéant, ça offre un joli cadre de vie.”

Moins à la campagne

En revanche, le modèle ne semble pas tout à fait transposable en milieu rural. La campagne attire moins les jeunes, tandis que les personnes âgées risquent davantage de s’y sentir seules. Toutefois, le plus gros problème est ailleurs.

“Les anciennes bâtisses mitoyennes peuvent facilement être réaménagées en maisons kangourous, mais c’est bien plus complexe pour les villas quatre façades, épingle Aglaée Degros. Comme elles n’ont pas du tout été pensées dans cet esprit, les transformer demande des investissements importants. La Belgique n’est pas la seule concernée : le problème se pose partout en Europe. Ces habitations ont pullulé après la guerre, dans une vision à court terme. Personne n’a songé à anticiper le vieillissement de la population, qui rend désormais cette typologie obsolète.”

Si les seniors ne s’en sortent plus dans leur maison pavillonnaire en dehors des villes, qu’ils sont trop jeunes pour les maisons de repos et que leur villa quatre façades ne peut pas être transformée en maison kangourou, que fait-on ? “Il y a un véritable trou dans l’offre immobilière actuelle, s’exclame Aglaée Degros. Bien que je ne sois pas friande des constructions neuves, je remarque une nouvelle tendance en Autriche qui pourrait inspirer la Belgique. On y crée de petites unités de logements indépendants qui sont liés via des services communs, ou un jardinet. Les habitants conservent toute leur autonomie, tout en voyant régulièrement du monde. Je suis étonnée de ne pas encore voir ce type de projet fleurir chez nous : les potentiels intéressés sont nombreux !”

Permis ou pas permis ?

En règle générale, diviser son habitation en plusieurs unités de logement nécessite l’obtention d’un permis d’urbanisme. Cette loi permet de lutter contre les marchands de sommeil. Cependant, si l’intention est d’en faire une maison kangourou, ce permis n’est pas toujours nécessaire. Pour bénéficier de cette exemption, il faut que les travaux n’aient d’impact ni sur la construction du logement, ni sur son volume habitable. Il convient néanmoins d’en notifier la commune.

En revanche, toute transformation qui modifie la superficie de la maison nécessite un permis. Même chose en cas de construction d’une annexe, forcément.

Quelles implications au niveau financier ?

Sur le plan financier, l’affaire peut sembler plus complexe. D’abord, il faut savoir que, dans la grande majorité des cas, une maison kangourou qui comporte deux unités de logement est également divisée en deux sur le plan urbanistique. Ce qui signifie qu’il y a deux références cadastrales et donc deux précomptes immobiliers distincts. En cas de copropriété, il convient dès lors de se mettre d’accord sur qui paie quoi. Dans les rares cas où la maison est considérée comme unifamiliale – avec un seul RC –, il faut également établir le calcul à l’avance. Et, surtout, les pouvoirs publics peuvent considérer que les revenus des ménages se cumulent. Ce qui peut avoir une incidence sur le montant des allocations de chômage ou des bourses d’études, par exemple.

“En fonction de la situation, il existe diverses options d’optimisation, développe Aurélien Bortolotti, avocat fiscaliste. Si une famille souhaite acheter une maison kangourou, il peut être intéressant que les enfants l’achètent à leur nom via une donation des parents, qu’ils doivent faire enregistrer. Lorsqu’ils décéderont, l’argent donné ne sera pas concerné par les droits de succession. Il y a potentiellement des dizaines de milliers d’euros à économiser.”

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“Si une famille souhaite acheter une maison kangourou, il peut être intéressant que les enfants l’achètent à leur nom via une donation des parents.” – Aurélien Bortolotti, avocat fiscaliste

Autre exemple : une personne âgée partage une maison kangourou avec un jeune travailleur qui n’est pas de sa famille. “Si le senior est isolé et qu’il s’entend bien avec l’autre personne, il va peut-être vouloir l’avantager dans sa succession et lui céder la maison, imagine Aurélien Bortolotti. Mais les droits de succession se situeront dans la tranche la plus haute : 80% au-delà de 75.000 euros en Wallonie. Il ne récupérera qu’une petite partie de la valeur de la maison. Pour éviter de payer autant d’impôts, on peut songer à établir un contrat de cohabitation légale, bien plus avantageux.”

Pas d’impact sur le plan fiscal, mais…

Au niveau fiscal, le fait d’habiter dans une maison kangourou n’a pas d’impact direct. “Chacun remplit sa déclaration d’impôts individuellement et on ne cumule pas les revenus”, précise l’avocat fiscaliste.

Du côté du SPF Finances, le service IPP (impôts des personnes physiques) attire toutefois l’attention sur le fait que la partie du bien immobilier qui n’est pas occupée par le ménage du contribuable propriétaire du bien n’est pas considérée comme son habitation propre. “Il en résulte, d’une part, que l’exonération d’IPP ‘pour habitation propre’ ne peut pas être appliquée pour cette quotité, explique Florence Angelici, porte-parole du SPF. D’autre part, les avantages fiscaux régionaux qui sont applicables le cas échéant au contribuable pour les dépenses relatives à son habitation propre (telles que certaines dépenses d’emprunt) ne peuvent pas être accordés pour cette quotité.”

Dernier point d’attention signalé par le SPF Finances : “Les personnes (ascendants, enfants, etc.) qui occupent leur propre entité d’habitation et qui ne font pas partie du même ménage que le contribuable occupant une autre entité d’habitation du même bien immobilier ne peuvent pas être prises en charge fiscalement par ce dernier.”

Olivier Daelen

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