Les changements d’affectation des terrains à bâtir font craindre le pire
Le prix des terrains à bâtir a littéralement décollé ces 15 dernières années, une envolée qui risque de prendre du plomb dans l’aile. Le prochain ‘Stop au béton’ cause aussi bien des soucis aux propriétaires terriens : seront-ils correctement dédommagés si leur parcelle change d’affectation ?
En réponse à la directive européenne qui enjoint les Etats membres à rationaliser l’utilisation de l’espace, la Flandre et la Wallonie préparent un plan communément surnommé ‘Stop au béton’. Le but est de stopper l’expansion territoriale des nouveaux logements d’ici à 2040 en Flandre et 2050 en Wallonie. Ces terrains vierges recevront une autre affectation. Le manque à gagner pour les propriétaires terriens dû à cette réaffectation devra être dédommagé d’une façon ou d’une autre, ce qui suscite pas mal d’interrogations.
1. Le terrain à bâtir belge est-il cher ?
Difficile de comparer avec les pays voisins et européens étant donné l’absence de statistiques claires et précises. Une chose est sûre : le prix du terrain à bâtir a considérablement augmenté ces 15 à 20 dernières années. Bien plus que le prix des habitations sur la même période selon les statistiques de Statbel qui ne tiennent compte du prix des terrains à bâtir que depuis 2014. Cette année-là, le prix moyen du mètre carré de terrain s’élevait à 150 euros, contre 42 euros seulement en 2000. Autrement dit, les terrains ont renchéri de 257 % en l’espace de 15 ans. Le prix des habitations a lui aussi considérablement évolué, quoique à un rythme moins soutenu. En Belgique, le prix médian d’une habitation a grimpé de 74.000 euros en 2001 à 180.000 euros en 2014, soit une hausse de 143 %.
Le prix moyen du terrain constructible wallon se monte à 73 euros/m2. En Flandre, il est quasi trois fois plus élevé (218 euros/m2) et jusqu’à sept fois plus élevé en Région bruxelloise (545 euros/m2).
Les statistiques font aussi apparaître de nettes différences d’une région à l’autre. Selon les chiffres les plus récents des notaires, le prix moyen du terrain constructible wallon se monte à 73 euros/m2. En Flandre, il est quasi trois fois plus élevé (218 euros/m2) et jusqu’à sept fois plus élevé en Région bruxelloise (545 euros/m2) ( lire l’encadré ” Le micromarché bruxellois ” plus bas). En Wallonie, le contraste est encore plus marqué avec d’un côté les prix exorbitants de Waterloo en Brabant wallon (315 euros/m2) et de l’autre les prix planchers de Somme-Leuze, dans le Namurois (37 euros/m2).
2. Qu’est-ce qui détermine le prix du terrain à bâtir ?
” Au niveau macro-économique, l’accessibilité du terrain, à savoir sa situation par rapport au lieu où l’on souhaite habiter, travailler et se détendre, constitue un facteur déterminant, explique Adel Yahia, COO du promoteur immobilier Immobel. Prenez l’exemple de l’évolution du prix des parcelles au nord et au sud d’Anvers au cours des 15 dernières années. Alors que les prix ont évolué assez lentement au nord d’Anvers, nous avons enregistré une progression vertigineuse dans les communes méridionales comme Aartselaar, Hove, Edegem et Wilrijk, du fait notamment de leur plus grande proximité de Bruxelles et Gand, synonyme d’une réduction du temps de déplacement. ”
Confirmation de Roel Helgers, économiste de marché chez Matexi qui a analysé en 2015, en collaboration avec le réseau du promoteur immobilier ERA, l’impact des temps de déplacement, tant en transports publics qu’en voiture, sur les prix de l’immobilier. ” Le lien de cause à effet ne fait aucun doute, affirme Roel Helgers. Une augmentation du temps de trajet de 10 minutes pour se rendre dans le centre de Bruxelles induit un impact négatif sur les prix estimé à 8,9 %. ”
Toujours au niveau macro-économique, les revenus des familles influencent également le prix des parcelles. ” Les différences de revenus expliquent en grande partie les prix moins élevés en Wallonie qu’en Flandre, constate Adel Yahia. Il suffit de comparer les revenus par habitant au niveau communal et le prix des terrains dans les communes. ”
Au niveau micro-économique, Adel Yahia distingue trois facteurs déterminants quant à la valeur du terrain : la taille de la parcelle, son orientation et sa constructibilité. ” Pour ce qui est de la superficie, plus la parcelle est grande, plus le prix au mètre carré est bas, précise Adel Yahia. Confirmation dans les statistiques : les parcelles dont la superficie de 100 à 299 m2 sont les plus coûteuses (253 euros/m2 en moyenne). Le prix médian ne dépasse pas 207 euros pour les parcelles de 300 à 600 m2 et 165 euros pour les parcelles de 600 à 999 m2. Pour les très grands terrains (plus de 1.500 m2), le prix au mètre carré plonge même sous la barre des 100 euros (93 euros). Quant aux mini parcelles (moins de 100 m2), le prix moyen de 134 euros semble être la norme.
” Pour ce qui est de l’orientation, en Belgique, les terrains orientés au sud ou au sud-ouest sont plus onéreux que les parcelles orientées au nord ou à l’est, poursuit Adel Yahia. La raison est simple : le Belge veut profiter au maximum du soleil. Dans les pays plus ensoleillés comme l’Espagne et le Portugal, c’est exactement l’inverse. Les biens orientés au sud sont moins prisés car ce sont de véritables saunas. ”
Troisième critère essentiel : la constructibilité. La valeur du terrain tient notamment à l’usage qu’on peut en faire. L’énorme différence de prix entre un terrain agricole et un terrain à bâtir en dit long. Une parcelle sur laquelle peut être érigée une tour d’habitations se vendra bien plus cher qu’un terrain similaire ne pouvant accueillir qu’une habitation unifamiliale.
3. L’évolution des prix des terrains à bâtir est-elle infinie ?
Beaucoup ont la ferme conviction que le prix du terrain à bâtir ne peut que progresser, davantage même que le prix des habitations. L’incroyable ascension du prix du terrain à bâtir semble leur donner raison. Ceci dit, quelques corrections ont déjà eu lieu dans le passé. Le prix du terrain a plongé lors de la crise économique de 1967 et au début des années 1980 notamment.
Roel Helgers ne prévoit pas de nouvelle baisse dans l’immédiat mais un tassement de la tendance haussière. Il s’en réfère à la théorie économique de la valeur résiduelle du terrain selon laquelle la valeur du terrain n’est que le résidu du prix de vente des nouveaux logements et des frais de construction.
Concrètement : si un promoteur immobilier estime pouvoir vendre une nouvelle habitation 200.000 euros et évalue les frais de construction à 150.000 euros, il ne peut offrir plus que 50.000 euros pour le terrain. ” Il faut savoir que la nouvelle construction et l’immobilier existant sont des substituts en quelque sorte. L’évolution des prix sur les deux marchés est donc très similaire, explique Roel Helgers. Depuis le début du millénaire, le prix des habitations a considérablement augmenté, du fait notamment des faibles taux d’intérêt encore en baisse mais aussi de l’introduction du bonus logement. Alors que sur la même période, les frais de construction ont augmenté mais dans une moindre mesure. Résultat : la marge d’offre de prix était bien plus confortable, ce qui a poussé le prix des terrains à la hausse. ”
Le tassement de la courbe de prix des habitations a pour effet de ralentir la hausse des prix sur le marché des terrains à bâtir.
Ceci explique pourquoi le prix du terrain à bâtir a bonifié dans une plus forte mesure que celui des habitations. Mais le tassement de la courbe de prix des habitations a pour effet de ralentir la hausse des prix sur le marché des terrains à bâtir, affirme Roel Helgers. ” Les économistes immobiliers sont unanimes : la période faste des fortes hausses de prix des habitations est aujourd’hui révolue. D’un autre côté, les coûts de construction sont en recrudescence depuis un bon moment. Entre autres à cause des normes énergétiques plus strictes mais aussi de la complexité accrue : les projets d’extension sont plus difficiles et plus onéreux que les lotissements sur les terrains en friche, un double frein à la hausse ultérieure des prix. ”
Kristoff De Winne, responsable des projets stratégiques chez Matexi, nuance : ” Les prix poursuivront leur progression aux endroits les plus prisés, où les possibilités de développement sont limitées, où le terrain à bâtir est ou devient rare. ” La valorisation des terrains à bâtir sera soutenue par les tendances observées actuellement sur le marché du logement, à savoir la réduction de la surface habitable, la densification de la construction et l’augmentation du nombre d’appartements.
4. Comment dédommager équitablement un changement d’affectation ?
Sur ce point, la Flandre et la Wallonie ont, pour le moment, choisi deux voies différentes dans le cadre du Stop au béton. La première a rassemblé les différentes mesures permettant sa mise en oeuvre dans un décret (” Instrumentendecreet “), la Wallonie a par contre opté pour la voie indicative. La Flandre est donc un cran plus loin. On peut, par exemple, relever dans son futur décret le fait que le traitement des contentieux des moins-values d’urbanisme passe de la procédure judiciaire à une procédure administrative, justifié par une volonté d’accélérer le mouvement. L’indemnisation des moins-values d’urbanisme passe aussi de 80 à 100 %. Le dédommagement se basera en outre sur la valeur estimée et non plus sur la valeur d’acquisition actualisée. ” Selon un mémoire de fin d’études que nous avons supervisé, seuls 5 % des propriétaires réclament un dédommagement “, tempère toutefois Tom Coppens, urbaniste à l’Université d’Anvers. Ce nouveau décret permettra également à des activités non conformes de déménager et de se mettre en règle (exemple : une bâtisse construite sur un terrain agricole). Enfin, côté flamand toujours, il est prévu d’introduire un permis de construire portable (échange de son terrain contre un autre situé en zone urbaine) et un nouveau mécanisme d’indemnisation en cas d’interdiction de mettre en oeuvre un permis d’urbanisme ou un permis de lotir. De quoi, théoriquement, fluidifier les changements d’affectation.
La Wallonie n’a pas encore mis en place un tel arsenal de mesures. Elle a choisi la voie indicative (via le Schéma de développement territorial), ce qui fait que les incertitudes sont plutôt nombreuses. Actuellement, si un terrain à bâtir change d’affectation, ce qui passe par une modification du plan de secteur (l’outil général d’aménagement du territoire qui détermine ce que l’on peut construire et où), le propriétaire peut soit être indemnisé, soit faire l’objet d’une compensation planologique (on lui propose de construire un peu plus loin). ” Mais il est évident que les outils réglementaires traditionnels de l’aménagement du territoire ne suffiront pas pour atteindre l’objectif du Stop au béton, estime Fabrice Evrard, avocat spécialisé en droit de l’urbanisme au sein du cabinet HSP. Une bourse d’échange de droits de construire comme la Flandre tente de le faire peut être intéressante. La mise en place d’un régime clair et simple de compensation des moins-values semble obligatoire. ” Car il apparaît évident que ce Stop au béton sera infinançable pour les caisses wallonnes s’il faut dédommager tous les propriétaires lésés. Des alternatives devront donc être trouvées.
Ajoutons que deux chercheurs de la Conférence permanente pour le développement territorial (CPDT) étudient justement actuellement les outils réglementaires à mettre en place pour que ces choix se concrétisent sur le terrain. Ils devraient remettre leurs conclusions d’ici la fin de l’année. ” Je voudrais rappeler qu’il est préférable d’aller lentement en la matière car il s’agit d’un sujet délicat, précisait il y a peu Fabienne Thonet, cheffe de cabinet adjointe du ministre wallon de l’Aménagement du territoire Carlo Di Antonio (cdH). Je ne dois pas vous rappeler les contraintes que certains ont connu par le passé en souhaitant aller trop vite dans une matière aussi délicate que l’aménagement du territoire. ”
Vu sa taille et sa densité de construction, la Région de Bruxelles-Capitale est tout sauf un marché important pour les terrains à bâtir. Selon les statistiques, l’activité sur ce marché a même baissé de moitié au cours de la première moitié de cette décennie. En 1992, le cadastre enregistrait 455 ventes de terrain à bâtir en Région bruxelloise, contre 251 en 2010. La tendance baissière s’est poursuivie les années suivantes. En 2014, seuls 119 terrains constructibles ont changé de propriétaire en Région bruxelloise. A titre de comparaison : les statistiques mentionnent 5.544 transactions en Wallonie et 11.031 transactions en Flandre pour la même année.
La pénurie de terrains à bâtir explique partiellement pourquoi le besoin de reconversion est encore plus criant à Bruxelles que dans le reste du pays. Adel Yahia, COO d’Immobel, pointe l’heureuse simultanéité de deux phénomènes. ” Le marché des bureaux est déjà sous pression depuis un bon moment, depuis l’apparition de nouvelles méthodes de travail comme le coworking et le télétravail. D’autre part, la croissance démographique est telle que le besoin de logements ne cesse de croître. Les bureaux inoccupés sont donc récupérés par le segment résidentiel. ” En général, la pénurie de terrains à bâtir impose l’utilisation plus rationnelle de l’espace disponible. ” S’il est possible de construire plus de mètres carrés, la démolition est souvent la meilleure solution “, constate Adel Yahia.
” Le manque de terrains nous oblige à disposer plus intelligemment de l’espace “, confirme Kristoff De Winne, qui nuance toutefois la rareté des parcelles bruxelloises. ” Il y a encore pas mal de terrains qui appartiennent aux pouvoirs publics ou aux organismes parastataux. De nombreuses initiatives de développement sont prises, comme le plan de la zone du canal, le site Josaphat, Schaerbeek-Formation, Mabru, etc. “
Les quelques Bruxellois qui achètent un terrain à bâtir et y construisent une maison peuvent désormais bénéficier d’un avantage fiscal de plus de 10.000 euros. Et ce via un abattement des droits d’enregistrement mis en place depuis le 1er janvier.
Cet abattement concerne les 87.500 premiers euros. Les acquéreurs économiseront ainsi jusqu’à 10.937 euros, vu que le taux des droits d’enregistrement est de 12,5 % en Région de Bruxelles-Capitale. Les terrains dont le prix est supérieur à 250.000 euros ne donneront droit à aucun abattement. Pour rappel, le prix moyen d’un terrain à Bruxelles s’élève à 180.000 euros.
Quand on jette un oeil sur Immoweb, on voit que seules 43 annonces de terrains à bâtir à moins de 250.000 euros sont actuellement en ligne. La mesure ne concernera donc pas grand monde.
Notons que cette décision met fin à une discrimination qui existe, dans le neuf, entre les appartements et les maisons. Les premiers pouvant bénéficier d’un abattement fiscal lors de l’achat d’un appartement sur plan, au contraire des seconds.
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