Le marché immobilier à Bruxelles, abandonné par le pouvoir politique : “Les petits investisseurs fuient”

En raison du climat d’incertitude, les appartements bruxellois se vendent désormais un peu plus difficilement. © BELGA/BELPRESS

Rénovations bloquées, loyers sous pression, propriétaires qui jettent l’éponge, concurrence fiscale… La capitale subit de plein fouet l’absence de décisions politiques. Les acteurs du secteur dénoncent un climat d’instabilité sans précédent.

Plus de 500 jours après les élections régionales, le vide institutionnel entretient un climat d’incertitude. Aucune nouvelle mesure, aucun signal clair, aucune vision à long terme. Sur le terrain, les professionnels décrivent un marché en attente, doublé d’une insécurité juridique. Tandis que la Wallonie et la Flandre poursuivent leur propre dynamique, Bruxelles s’enlise.

“L’absence de gouvernement à Bruxelles crée une insécurité juridique pour les baux à loyer, ce qui décourage de plus en plus les petits bailleurs. Ces derniers sont confrontés à une réglementation instable et à des contraintes toujours plus lourdes, explique Olivier de Clippele, président de la Régionale bruxelloise du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (SNPC). Cette évolution, dit-il, nous l’imputons en grande partie à la politique, que nous jugeons désastreuse, du gouvernement sortant, toujours en place faute de nouvelle majorité !”

Normes de plus en plus strictes

Et Olivier de Clippele de poursuivre : “Il y a eu d’abord la mise en place d’une grille des loyers censée encadrer les prix, mais jugée irréaliste par de nombreux propriétaires. Ensuite, l’obligation de mettre les biens loués aux normes énergétiques, normes bien plus sévères qu’en Flandre et en Wallonie, ce qui alourdit les coûts de rénovation et décourage les particuliers. À cela s’ajoutent deux nouveaux moratoires qui viennent s’empiler sur celui déjà existant, instauré par la DIRL (Direction de l’Inspection régionale du logement, ndlr). Il existe, d’une part, la possibilité pour le locataire de saisir la Commission paritaire locative (une procédure pouvant durer trois mois, ndlr), et d’autre part, le moratoire hivernal, période pendant laquelle les expulsions sont interdites, étalée sur quatre mois et demi. De nouvelles normes encore plus strictes sont entrées en vigueur le 1er novembre 2024, et d’autres suivront dès le 1er janvier 2026.”

“Parallèlement, poursuit-il, la fiscalité immobilière ne cesse d’augmenter dans plusieurs communes bruxelloises, aggravant encore la pression sur les propriétaires. Face à cet environnement contraignant, de nombreux petits bailleurs renoncent à louer leurs biens. Ou ils les vendent, laissant le champ libre aux acteurs institutionnels ou professionnels. Ce qui contribue à la hausse généralisée des loyers. Voilà aussi, à nos yeux, une des conséquences de l’absence de nouveau gouvernement à Bruxelles.”

“De nombreux petits bailleurs renoncent à louer leurs biens ou les vendent en raison de l’environnement bruxellois contraignant.” – Olivier de Clippele (SNPC)

Plus de primes à la rénovation

“Quand Olivier de Clippele informe sur le marché de la location, il a raison, embraye Charlotte de Thaye, la directrice de Federia, la Fédération des agents immobiliers francophones. Aujourd’hui, les petits investisseurs fuient le marché bruxellois avec toutes les contraintes imposées. Il est nécessaire de pouvoir garder leur adhésion pour proposer une série de biens sur le marché du logement. Et ainsi éviter ce chaos naissant entre l’offre et la demande.”

La suspension des primes à la rénovation pèse lourdement tant sur le secteur de la construction que de la rénovation. © Getty Images/iStockphoto

La léthargie politique pèse à tous les niveaux, explique-t-elle. “Prenons l’exemple des primes à la rénovation. Il est primordial de prévoir un système de soutien à la rénovation incluant les copropriétés, puisqu’elles occupent une bonne partie du bâti bruxellois. Sans quoi il sera difficile de pouvoir motiver les travaux de rénovation en vue de répondre aux enjeux énergétiques.”

Car une autre conséquence directe de la gestion en affaires courantes, c’est effectivement la suspension des primes à la rénovation. Car ce budget doit être validé par un gouvernement de plein exercice. Une situation qui pèse lourdement sur le secteur.

“Près de 75% des chantiers qui étaient prévus depuis le début de 2025 ne vont pas se faire. C’est tout un tissu de PME, de TPE investies dans la rénovation urbaine, qui commencent à connaître des problèmes. Et qui vont peut-être faire faillite”, s’alarmait déjà en septembre Jean-Christophe Vanderhaegen, directeur d’Embuild Bruxelles.

Rallentissement des rénovations

“À Bruxelles, l’absence de gouvernement n’a en apparence que peu d’effet sur les prix de l’immobilier. Mais elle se fait par contre concrètement sentir sur le fonctionnement du Fonds du logement. Celui-ci ne remplit plus pleinement son rôle, estime Sophie Maquet, notaire à l’avenue Louise et porte-parole de Notaire.be. Ce dispositif permettait notamment d’aider les propriétaires à remettre leurs biens aux normes. Sa paralysie a donc surtout un impact sur le secteur de la rénovation.”

Un constat partagé par la Fédération des experts énergétiques du bâtiment (auditeurs logement, certificateurs PEB, etc.). “L’absence de gouvernement à Bruxelles complique encore la situation, car elle retarde l’adoption de politiques essentielles, estime la fédération. Et cela entraîne de l’incertitude et provoque un manque de coordination entre les acteurs publics. Habituellement, entre 30.000 et 40.000 dossiers de primes énergie sont traités chaque année à Bruxelles, un levier clé pour encourager la rénovation énergétique. Les décisions budgétaires nécessaires à la distribution des primes étant suspendues, les projets de rénovation dans la capitale sont fortement freinés.”

Concurrence fiscale et fuite des habitants

La situation politique a aussi un impact sur le marché des ventes. Vu l’incertitude ambiante, plusieurs projets immobiliers sont en attente, laissant en rade le stock d’appartements neufs qui se réduit fortement. Selon le dernier baromètre de la Fédération du notariat (Fednot), seulement 2% des appartements vendus au cours des neuf premiers mois de 2025 étaient neufs, contre 5% en 2024.

Les agents immobiliers constatent en parallèle que les appartements se vendent désormais un peu plus difficilement. “À Bruxelles, ce n’est pas tant l’immobilier qui est en crise. Mais bel et bien la confiance”, nous confiait l’un d’eux. Les prix sont certes en légère hausse, mais les acquéreurs préfèrent patienter pour se rassurer.

À Bruxelles, ce n’est pas tant l’immobilier qui est en crise, mais bel et bien la confiance.

Fiscalité plus avantageuse en dehors de Bruxelles

Cette phase d’attente s’explique à la fois par l’absence de gouvernement et par l’impact plus profond des mesures fiscales et des dynamiques régionales. Les Régions voisines en profitent. En Wallonie, le marché immobilier n’a jamais été aussi dynamique, porté par la réduction des droits d’enregistrement à 3%. En Flandre, les droits d’enregistrement pour l’achat d’une habitation propre et unique sont passés de 3% à 2% depuis le 1er janvier 2025. Cette fiscalité plus avantageuse attire de nombreux Bruxellois, qui préfèrent franchir le ring pour bénéficier d’un cadre plus verdoyant et de droits d’enregistrement allégés. Plus de la moitié des acheteurs en Brabant wallon proviennent désormais de la capitale.

À Bruxelles, la fiscalité immobilière reste plus lourde. Sans nouveau gouvernement, alors qu’il est dans les cartons de la revoir, le taux de base des droits d’enregistrement demeure fixé à 12,5%. Un système d’abattement atténue certes la facture. Mais l’écart avec la Wallonie et la Flandre reste important. Résultat ? De nombreux jeunes ménages et investisseurs comparent, calculent et finissent par acheter ailleurs, d’autant que les prix bruxellois restent élevés. La volonté de retenir et d’attirer la classe moyenne via une politique de logement favorable a du plomb dans l’aile en l’absence de gouvernement. 

Bruxelles sans bouwmeester

Autre conséquence de la crise politique à Bruxelles : depuis la fin du mandat de Kristiaan Borret, en août dernier, la Région bruxelloise n’a plus de bouwmeester-maître architecte (BMA). Une première depuis la création de la fonction en 2009. Cette vacance plonge dans l’incertitude 16 grands projets immobiliers parmi lesquels des logements étudiants à la VUB, la reconversion de l’ancienne brasserie Atlas à Anderlecht, le permis modificatif du projet Lake Side, les futurs bureaux de la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), avenue de la Toison d’Or, ou encore un nouveau hub circulaire de BC Materials à Tour & Taxis.

Le Code bruxellois de l’aménagement du territoire (CoBAT) impose en effet un avis du BMA pour tout projet de plus de 5.000 m². Faute de successeur, ces avis ne peuvent être rendus. Pourtant, la procédure de désignation d’un nouveau bouwmeester a bien été menée. Un jury indépendant a recommandé la nomination de l’architecte Lisa De Visscher. Mais la proposition est restée sans suite, faute d’accord politique. Le MR et l’Ordre des architectes francophone contestent la candidate et plaident pour une réforme de la fonction, voire son remplacement par un collège d’experts.

Un volet communautaire s’est ajouté à ce blocage. Il a été reproché au bouwmeester sortant d’avoir favorisé des bureaux flamands au détriment des bureaux bruxellois, une situation que certains acteurs politiques ne veulent plus voir se reproduire.

En attendant, l’administration urban.brussels continue à délivrer des permis, mais sans avis du BMA. Leur validité pourrait être contestée. Par prudence, certains promoteurs préfèrent retirer leurs demandes pour les redéposer plus tard, une fois qu’un nouveau bouwmeester aura été nommé, et ce, afin d’éviter tout risque juridique.

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