Le fisc veut taxer vos biens immobiliers à… 50%! Qui risque quoi et comment réagir?
Sale temps pour les Belges qui possèdent plusieurs biens immobiliers. Ils sont victimes, ces derniers temps, d’une attaque en règle du fisc. Dans le collimateur de ce dernier : les plus-values immobilières et les loyers qu’il veut, dans certains cas, taxer à 50%! Qui risque quoi? Comment réagir? Nos conseils pour éviter les ennuis.
Mauvaise nouvelle pour les multipropriétaires. Depuis quelques mois, le fisc tente par tous les moyens de taxer les loyers ou les plus-values immobilières comme un ” revenu professionnel “, et cela au tarif de… 50% ! Une ” véritable croisade “, plante Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste auprès du cabinet Bloom Law.
Comme d’autres spécialistes, Denis-Emmanuel Philippe constate en effet que le fisc fait preuve depuis quelques mois d’une sévérité accrue à l’encontre de particuliers qui perçoivent des rentrées locatives ou réalisent des plus-values immobilières. ” Plusieurs de mes clients qui détiennent un patrimoine immobilier en personne physique ont dernièrement reçu un avis de rectification “, nous confie-t-il. Il ne faut pas prendre cela à la légère, car les cours et les tribunaux donnent de plus en plus raison à l’administration fiscale. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les nombreuses décisions de jurisprudence récentes qui vont dans le sens du fisc.
Exemple : cet arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 19 juin 2018 qui a jugé que la plus-value réalisée par un particulier lors de la vente de cinq appartements faisant partie d’un seul et même immeuble devait être taxée comme un revenu professionnel. De quoi sonner comme ” une sérieuse mise en garde pour tous ceux qui investissent dans la pierre”, poursuit Denis-Emmanuel Philippe. “Avant de se lancer dans un projet immobilier, il faut désormais tenir compte de l’éventualité d’avoir à payer un impôt non seulement sur les loyers mais aussi sur la plus-value en cas de revente”, avertit l’avocat.
1. De quoi parle-t-on exactement ?
Pour mieux comprendre cette attaque en règle du fisc, on rappellera que la brique présente de nombreux avantages aux yeux des épargnants. Certes, la fiscalité immobilière est loin d’être indolore. Un immeuble génère beaucoup d’impôts (droit d’enregistrement, précompte, succession, etc.). Mais c’est un placement sûr doublé d’une certitude de rendement. Et puis, cerise sur le gâteau, pour les biens mis en location à des particuliers, on est en principe taxé de manière forfaitaire sur la base du revenu cadastral et pas sur les loyers réels. Quant aux plus-values, elles sont exonérées, pour autant que la revente intervienne plus de cinq ans après l’acquisition.
Le fisc peut considérer que posséder plusieurs biens immobiliers s’apparente à une activité professionnelle.
Voilà pourquoi dans l’esprit de nombre de contribuables, il n’y a rien de mal à avoir plusieurs biens immobiliers pour les louer, et cela dans le but de compléter sa pension, surtout quand les livrets d’épargne ne rapportent plus rien et que la Bourse fait sans arrêt du yoyo. Appartements à la mer, gîtes en Ardenne, kots pour étudiants : dans un marché locatif qui grimpe d’année en année, boosté par des taux hypothécaires qui n’ont jamais été aussi bas, jeunes pensionnés et autres indépendants prévoyants se ruent sur la brique pour en tirer des rendements plus généreux que ceux proposés aujourd’hui par les produits d’épargne traditionnels, plombés par ces mêmes taux au plancher. Et tout cela, bien sûr, avec une perspective de plus-value appréciable en cas de revente (le prix moyen d’une maison a augmenté de 30.000 euros en cinq ans en Belgique).
Mais voilà : pour le fisc, c’est une autre histoire. Il peut en effet considérer que posséder plusieurs biens immobiliers s’apparente à une activité professionnelle. Et donc prendre la décision de taxer ces loyers jusqu’à 50 %.
2. Pourquoi cette offensive à l’égard des multipropriétaires ?
Si les multipropriétaires se retrouvent aujourd’hui dans le collimateur du SPF Finances, c’est parce que, selon Thierry Litannie, avocat spécialisé en droit fiscal chez LawTax, ” l’administration fiscale détient plus d’informations sur nos patrimoines mobiliers et immobiliers qu’auparavant, y compris en provenance de l’étranger, et qu’elle a probablement décidé, comme elle le fait chaque année, de procéder à une grande opération de contrôle dans un domaine déterminé. A savoir, cette fois-ci, les Belges qui investissent dans l’immobilier à titre personnel. ”
Par ailleurs, reprend Denis-Emmanuel Philippe, la justice est de plus en plus sensible aux arguments du fisc : ” Quand on épluche les dernières décisions des cours et des tribunaux en la matière, on s’aperçoit que les juges n’hésitent pas dans certains cas à suivre l’administration dans une taxation à 50 % des plus-values immobilières mais aussi des loyers. Rien qu’en 2018, au moins trois cours d’appel ont rendu des arrêts dans ce sens “, souligne le fiscaliste de Bloom Law.
” L’affaire tranchée par la cour d’appel d’Anvers m’a frappé, poursuit-il. Les magistrats anversois me semblent avoir fait preuve d’une sévérité excessive en taxant la plus-value immobilière à 50 %, alors que le contribuable n’avait participé qu’à un seul projet immobilier. Si l’on peut concevoir qu’un professionnel de l’immobilier, qui réalise de nombreuses opérations immobilières, voie ses plus-values taxées dans la catégorie des revenus professionnels, il n’en va à mon avis pas de même du contribuable agissant en “bon père de famille”, qui réalise un seul projet immobilier (achat d’un terrain, construction d’un immeuble à appartements et revente des appartements), de surcroît lorsqu’il présente une ampleur relativement modeste. ” Peut-être, mais c’est ” une nouvelle donne qui traduit un état d’esprit du fisc et des tribunaux “, constate Thierry Litannie.
3. Quels sont les critères qui peuvent éveiller l’attention du fisc et déclencher un contrôle ?
A la lecture de cette jurisprudence récente, divers éléments semblent être pris en compte par l’administration pour apprécier la situation du contribuable et éventuellement déclencher un contrôle : recours à l’emprunt, prise de risque, intention spéculative, caractère répétitif des opérations, connaissances du contribuable dans le secteur immobilier, etc. ” La manière dont ont été acquis les immeubles est un point sensible, note Denis-Emmanuel Philippe. Le recours à l’emprunt bancaire est quelque chose que le fisc n’aime pas trop, surtout si le montant emprunté est important par rapport au patrimoine du contribuable. ” Ceux qui financent leur investissement avec une épargne personnelle ou un héritage sont donc mieux lotis que ceux qui s’endettent auprès de leur banque.
Et les autres ? ” Le caractère répétitif des opérations (achats, reventes, etc.) est aussi un critère important, poursuit Denis-Emmanuel Philippe. Les juges regardent les opérations dans la durée et pas uniquement celle(s) effectuée(s) pendant l’année où la plus-value a été réalisée. Imaginons qu’un contribuable ait acquis, grâce à des emprunts bancaires, six immeubles (maisons d’habitation, appartements, etc.) au cours des 10 dernières années, et qu’il en revende deux en 2019 avec à la clé une belle plus-value. Selon moi, il s’expose à un risque de taxation de la plus-value à 50 % au regard du nombre relativement important de ses opérations immobilières (huit au total, sur 10 ans), et ce même si les opérations réalisées en 2019 sont peu nombreuses. ” Un point de vue que soutient Thierry Litannie dont ” certains clients ont reçu un avis de rectification de l’administration dans lequel elle avait analysé leur activité immobilière à l’aune des 15 dernières années. ”
Enfin, il y a aussi le temps consacré à la gestion administrative. ” Le contribuable qui exerce un métier à côté de ses investissements immobiliers est dans une situation plus confortable qu’un professionnel de l’immobilier qui passe un temps considérable à la gestion de ses immeubles : visites, rédaction des contrats, encaissements des loyers, entretien des immeubles, etc. “, précise Denis- Emmanuel Philippe.
4. A partir de combien d’appartements le fisc va-t-il requalifier mes loyers en revenus professionnels ?
Difficile à dire. ” C’est tellement subjectif “, observe Sabrina Scarnà, fiscaliste chez Tetra Law, au regard de cas vécus au sein de sa clientèle. Même son de cloche du côté de Thierry Litannie qui connaît ” des contribuables possédant plusieurs dizaines de kots pour étudiants et qui n’ont jamais vu un contrôleur fiscal tandis que j’en connais d’autres qui discutent depuis des années avec l’administration pour deux ou trois appartements mis en location “, confie-t-il. Selon lui, le facteur chance joue.
Et pour cause : l’idée d’une taxation à 50 % vise les cas d’une activité immobilière qui ne relève plus de la ” gestion normale d’un patrimoine privé “. Mais cette notion de ” gestion normale ” est floue. Quid, par exemple, d’un ancien employé de banque qui investirait sa prime de départ dans l’achat de plusieurs appartements ? A partir de combien de biens immobiliers bascule-t-on dans une activité professionnelle : trois appartements, cinq ou sept ? ” Personne ne le sait vraiment, reprend Sabrina Scarnà. Parfois les propriétés dépassent un certain nombre, parfois pas. Parfois les montants sont importants, parfois pas. Pourquoi un épargnant bon père de famille, qui préfère la brique aux placements financiers, doit-il être pénalisé ? Tout cela crée beaucoup d’incompréhension et de rancoeur “, dit-elle. Prudence, donc. Car ” j’ai l’impression que celui qui achète plus de cinq immeubles en recourant à l’endettement, dans l’optique de les louer et/ou de les revendre, entre dans une zone dangereuse, estime Denis-Emmanuel Philippe. Par contre, celui qui acheté trois petits studios pour les louer à des étudiants n’a pas trop de souci à se faire. ”
5. Pourquoi ne suis-je pas à l’abri, même si je parviens à échapper au matraquage fiscal de la taxation à 50 % ?
Même si vous parvenez à échapper au matraquage de la taxation comme revenu professionnel, vous n’êtes en effet pas pour autant à l’abri du risque d’une imposition de la plus-value immobilière dans la catégorie ” fourre-tout ” des revenus divers, au taux certes plus ” acceptable ” de 33 %. Selon Denis-Emmanuel Philippe, ce risque est réel dans l’hypothèse où l’opération immobilière en question ne relèverait pas d’une gestion normale du patrimoine privé, ce qui pourrait notamment ressortir des éléments suivants : prise de risque (recours à l’emprunt), rapidité des opérations immobilières effectuées, caractère successif des achats-ventes, existence d’une intention spéculative.
6. Quels sont les éléments susceptibles de faire pencher la balance en faveur du fisc ?
En pratique, on observe que le fisc tente de taxer les plus-values immobilières soit comme revenu professionnel aux taux progressifs (le taux marginal étant de 50 %), soit comme revenu divers (gestion anormale du patrimoine privé) au taux de 33 %.
Force est toutefois de constater que les critères déclenchant une taxation à titre de revenu professionnel ou de revenu divers sont similaires. La question suivante est souvent décisive : le contribuable est-il un ” professionnel de l’immobilier “, qui dispose des connaissances et de l’expérience requises pour mener à bien un projet immobilier ? ” C’est clairement un élément aggravant, estime Denis-Emmanuel Philippe. Les notaires, les architectes, les entrepreneurs, les agents immobiliers ou encore les administrateurs de sociétés immobilières encourent un risque de taxation au titre de revenu(s) professionnel(s) sans doute plus important (à supposer bien entendu que les autres critères soient réunis, comme le recours à l’emprunt) qu’un contribuable lambda, qui n’aurait aucune expertise en matière immobilière. ”
Selon le spécialiste de Bloom Law, un administrateur de sociétés immobilières ou un avocat spécialisé en droit immobilier qui investirait à titre privé dans un nouveau projet immobilier, par exemple la construction d’un immeuble à appartements, encourt un risque de taxation à 50 % plus élevé que le citoyen lambda qui ferait rénover un bâtiment existant en vue de sa revente.
7. Comment faire pour éviter les problèmes ?
Il est clair qu’envisager un projet immobilier d’une ampleur relativement importante en personne physique devient aujourd’hui périlleux. ” C’est un cocktail Molotov susceptible d’exploser à tout moment à la figure du contribuable “, résume Denis-Emmanuel Philippe qui, pour éviter les ennuis, recommande dès lors de passer par la création d’une société (par exemple, la nouvelle société à responsabilité limitée ou SRL).
Un avis que partagent également Sabrina Scarnà et Thierry Litannie pour lesquels il convient de réfléchir à deux fois avant d’adjoindre d’autres immeubles à son patrimoine et conseillent également de se poser la question de basculer vers une société. L’astuce ? En cas de plus-value, le taux appliqué pourra être celui pratiqué à l’impôt des sociétés pour les PME, soit 20 % pour la première tranche de 100.000 euros. Oui, mais comment procéder alors pour recueillir les fruits de ses investissements immobiliers ? On rappellera à ce propos l’existence du précompte mobilier réduit à 15 % pour les distributions de dividendes par les PME dont les actions ont été émises après juillet 2013 et suite à un apport en cash. De quoi abaisser le taux moyen de taxation à 32 % (impôt des sociétés à 20 % cumulé à un précompte de 15 % sur les 80 %).
Alors certes, passer par une société engendre des frais, mais présente aussi une série d’avantages fiscaux, comme ” la déduction des charges immobilières (intérêts, amortissements, droits d’enregistrement, travaux d’entretien, etc.) ou la possibilité de mettre en place une planification successorale (donation des actions de la société immobilière – avec réserve d’usufruit – aux enfants) “, souligne Denis-Emmanuel Philippe en guise de conclusion.
Dans un arrêt retentissant du 19 juin 2018, la cour d’appel d’Anvers a estimé que la plus-value réalisée par un particulier lors de la revente de cinq appartements faisant partie d’un même immeuble devait être taxée au titre de revenu professionnel. En cause : un terrain à bâtir acheté à titre privé pour un prix de 225.000 euros, sur lequel le contribuable en question avait fait ériger un immeuble à appartements, le coût des travaux de construction s’élevant à 430.000 euros. Un an et demi plus tard, après l’achèvement des travaux, les cinq appartements avaient été revendus pour 780.000 euros. Le fisc a considéré qu’une plus-value de 95.000 euros devait être taxée au titre de revenus professionnels (au taux de 50 %) et les magistrats anversois lui ont donné raison.
Dans un arrêt du 20 février 2018, la cour d’appel de Liège a taxé les loyers perçus par un contribuable et les plus-values réalisées lors de la vente d’immeubles, au titre de revenus professionnels à 50 %. Motif ? Le contribuable avait acquis six immeubles en l’espace de seulement trois ans (entre 1992 et 1995), avant de les mettre en location. Deux de ces six immeubles avaient même été vendus après quelques années. Il y avait donc une répétition de multiples opérations séparées par un délai de trois ans. A cela s’ajoute le fait que le patrimoine immobilier avait été financé par emprunt et ne provenait pas de l’épargne personnelle ou d’une succession/donation. Il y avait donc une prise de risque ainsi qu’une importante gestion administrative et financière des locataires.
Dans un arrêt du 17 mai 2018, la cour d’appel de Bruxelles a taxé les loyers perçus par un contribuable au titre de revenus professionnels (à 50 %), au regard des éléments suivants : le contribuable avait acquis cinq biens (dont un immeuble à appartements) en l’espace de huit ans (entre 1994 et 2002). Ces immeubles avaient ensuite été mis en location. Le patrimoine immobilier avait été financé en grande partie par emprunt. Il y avait donc une prise de risque, de même que le temps consacré à la gestion des immeubles était important (grand nombre de locataires, ce qui nécessitait un suivi important pour la rédaction des contrats, l’encaissement des loyers, l’entretien des immeubles, etc.). Et puis, le contribuable était chômeur : la gestion de son patrimoine immobilier était donc sa seule activité.
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