La Belgique, une terre de propriétaires qui ne vacille pas encore
Le Belge a été biberonné à la propriété immobilière. La proportion de propriétaires reste stable au fil des années. Les difficultés pour accéder à la propriété de même que les nouvelles aspirations de certains jeunes pourraient toutefois faire évoluer le rapport de force.
La Belgique suivra-t-elle un jour la voie de l’Allemagne et de l’Autriche, deux pays qui comptent pratiquement autant de propriétaires que de locataires ? Il faudrait un sacré revirement des politiques mises en place pour y parvenir. Car la Belgique reste pour le moment une terre de propriétaires. Selon les dernières statistiques d’Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, elle comptait, en 2023, 71,9 % de propriétaires. Un chiffre stable depuis 20 ans (72,7 % en 2003). Le paysage immobilier belge reste marqué au fer rouge par des décennies de politiques – fédérales et régionales – qui encouragent l’accès à la propriété. Les dernières volontés de l’exécutif wallon ne font d’ailleurs que renforcer cet aspect.
Si la volonté de baisser les droits d’enregistrement à 3 % en Wallonie dès le 1er janvier 2025 se confirme (pour atteindre le même palier que la Flandre), la proportion de propriétaires pourrait encore évoluer vers le haut. Sans parler du fait que, vu la concurrence fiscale qui va s’instaurer entre les trois Régions du pays, Bruxelles sera bien obligée, à un moment ou un autre, de suivre le mouvement et de réformer sa fiscalité immobilière. Autant d’éléments qui convergent pour renforcer les tendances actuelles.
La plupart des études ou enquêtes publiées ces derniers mois confirment d’ailleurs cette volonté de devenir propriétaire. Et ce alors que les perspectives mondiales affirmaient pourtant ces dernières années que les générations Y et Z n’étaient plus attachées à la propriété et au lourd poids d’un crédit, voulant vivre d’une manière plus légère.
“Nous le voyons dans nos statistiques de crédits : les jeunes de moins de 30 ans souhaitent toujours être propriétaires, tempère Marc Delforge, responsable des crédits chez BNP Paribas Fortis. Vingt-neuf pour cent de nos crédits ont été octroyés à des moins de 30 ans en 2023. Je ne vois pas la proportion de propriétaires évoluer tant que des incitants fiscaux encourageant l’accès à la propriété perdurent. Etre propriétaire de son logement rassure. Que l’on soit jeune ou moins jeune. Je pense que ceux qui ne peuvent pas accéder pour le moment à la propriété patienteront le temps de se constituer des fonds propres nécessaires.”
“Je ne vois pas la proportion de propriétaires évoluer tant que des incitants fiscaux encourageant l’accès à la propriété perdurent.” – Marc Delforge (BNP Paribas Fortis)
La location, l’étape intermédiaire
Tout n’est toutefois pas rose pour autant, le contexte économique appelant à la prudence. Plusieurs éléments risquent de faire évoluer à la baisse la proportion du nombre de propriétaires. La détérioration de l’accessibilité financière à un logement contraint de plus en plus de Belges à rester plus longtemps sur le marché de la location. Une étude de la Banque nationale (BNB) relève que le taux de propriété chez les ménages les moins aisés financièrement – c’est-à-dire ceux dont les revenus sont inférieurs à 60 % du revenu médian équivalent – s’est significativement replié, tombant de 56 à 40 % sur les 29 dernières années. Une diminution qui pourrait encore s’accentuer à l’avenir. Une enquête d’ING montre de son côté que la grande majorité des locataires (64 %) aimerait acheter un logement mais qu’ils n’en ont pas les moyens actuellement. Des chiffres qui laissent à penser que les Belges considèrent la location comme une étape intermédiaire pour économiser de l’argent.
“Il y a de fortes chances que le nombre de propriétaires passe sous la barre des 70 % pour la première fois dans les années à venir”, relève-t-on chez ING. Un constat partagé par Kim Ruysen, directeur du réseau immobilier Trevi : “La première accession devient de plus en plus difficile. Si le type de logement souhaité ne peut être rencontré, il faut donc acheter un logement plus petit ou moins performant sur le plan énergétique. Une autre alternative serait de gonfler le marché locatif. Ou de se lancer dans du coliving. Enfin, la dernière possibilité sera de déménager et d’habiter dans une région où les prix sont moins élevés, de manière à mettre la main sur le logement de son choix.” Résultat, ceux qui veulent rester vivre dans la ville qu’ils souhaitent doivent de plus en plus se tourner vers le marché locatif. “On le constate clairement à Bruxelles, poursuit Kim Ruysen. Certains quartiers sont inaccessibles à l’achat pour les jeunes qui ne sont pas aidés financièrement.”
L’attrait des villes, l’atout locatif
Ajoutons que la hausse attendue du nombre de ménages isolés (36 % sur 5 millions de ménages, d’après les données de Statbel) combinée à la hausse des prix va en pousser de plus en plus vers le marché locatif. Sans parler de ceux qui, victimes d’une épreuve de la vie (perte d’un job, divorce, accident) risquent également de s’éloigner de la propriété. “Je suis persuadé que le nombre de locataires va augmenter, nous disait il y a peu Jean-Baptiste Van Ex, CEO de Vicinity Affordable Housing Fund. Il y avait 60 % de propriétaires à Bruxelles voici 20 ans, il n’y en a plus que 47 %. Ce constat peut se prolonger aux autres grandes villes belges. L’avenir est à la vie en ville et au fait d’habiter dans des logements de qualité. Dans certains cas, seule la location peut offrir cette combinaison. C’est une tendance de fond qui va modifier le marché immobilier. Pas uniquement, car les gens n’ont plus les moyens d’acheter mais également car nos comportements demandent plus de flexibilité, tant au niveau professionnel que privé. Le locatif répond davantage à nos manières de vivre. Et puis, si certains sont contraints d’être locataires, d’autres font le choix de l’être. Cela permet en plus de consacrer son épargne à d’autres dépenses.”
Sans parler du fait que certains estiment que vouloir être propriétaire de son logement peut clairement faire perdre quelque peu la raison sur le plan économique. “Devenir propriétaire rassure, estime l’économiste Roland Gillet, professeur à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB (Solvay). Les parents encouragent leurs enfants à emprunter cette voie. C’est une forme d’objectif à atteindre et cela contribue à la réussite sociale. Cela offre aussi une certaine stabilité quant aux événements futurs.” Il y a néanmoins, dans certains cas, une forme de déraison à vouloir s’endetter pour aussi longtemps. “Ce qui fait grimper les prix de l’immobilier, c’est notre capacité à accepter de payer plus cher un bien immobilier pour satisfaire son plaisir, poursuit Roland Gillet. L’émotionnel n’a rien à voir avec le coût fonctionnel. Les prix de l’immobilier en Belgique sont quelque peu surévalués. On devient donc surtout propriétaire par plaisir car le coût d’un prêt et des frais de mutation sont très élevés. Par contre, si un événement se déroule dans votre vie, comme un décès ou un divorce, être locataire permet d’avoir davantage de fonds propres et plus de flexibilité. Votre épargne n’est pas entièrement consacrée aux droits d’enregistrement.”
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