Immobilier de bureau : “Nous sommes vraiment dans un marché particulier…”

Engie va quitter sa tour. La société devrait prendre en 2026 la direction de l’immeuble OXY, situé place De Brouckère. © Snøhetta, Binst Architects, DDS+, ADE Architects

La valeur des immeubles de bureau va continuer à s’éroder jusqu’en 2030, estime McKinsey. Le télétravail oblige les promoteurs à réinventer leurs immeubles pour les rendre à nouveau attractifs. Le marché bruxellois n’échappe pas à ce contexte compliqué, même s’il a déjà identifié depuis quelque temps ses nouveaux horizons.

Un rapport pour le moins préoccupant. Le consultant McKinsey a dévoilé il y a peu une étude détaillée de 88 pages sur les tendances de l’immobilier de bureau post-covid dans huit grandes villes mondiales (dont Londres, San Francisco, Paris, New York et Tokyo).

Avec des éléments bien connus en Belgique mais également quelques évolutions surprenantes. On y apprend notamment que la demande de surfaces de bureaux devrait diminuer de 20% d’ici 2030, que nous sommes entrés dans une période de location via des baux courts du fait de l’incertitude des entreprises quant à leurs besoins ou encore que la valeur totale du parc d’immobilier de bureau mondial devrait baisser de 26 à 42% entre 2019 et 2030. Soit une dévalorisation de près de 800 milliards de dollars de ces actifs dans les villes étudiées.

McKinsey ébauche néanmoins quelques portes de sortie. Le consultant estime que les actifs de bureau deviendront hybrides, en intégrant d’autres usages (retail, logement, wellness) et surtout en associant au bureau traditionnel différents niveaux d’espaces de collaboration. Des bureaux qui devront proposer une flexibilité en matière de baux locatifs de manière à répondre au plus près des besoins des entreprises. Enfin, ces dernières vont devoir orienter encore davantage leurs bureaux vers l’hôtellerie, avec une multitude de services, de manière à pousser leurs employés à quitter leur domicile.

Un bail plus court et plus flexible

Des constats qui peuvent surprendre certains qui sont peu habitués aux nouvelles tendances en vogue en Belgique mais qui ne vont toutefois pas faire tomber de leur chaise les principaux observateurs du marché local. “Des conclusions intéressantes mais dont certaines ne s’appliquent pas pour le moment en Belgique et au Luxembourg, tempère Pierre-Paul Verelst, head of research au sein du bureau de conseils en immobilier JLL. Le coworking n’y connaît pas d’explosion du fait de la proximité entre domicile et lieu de travail. Nous ne constatons pas non plus de réduction drastique des baux à long terme. Par contre, la réduction de surfaces est un mouvement bien entamé depuis la pandémie. On le voit pratiquement dans tous les déménagements récents d’entreprises (L’Oréal, Total, ING, etc.) et cela va se poursuivre. L’aménagement de bureaux hybrides, qui mélangent les fonctions et les usages, est aussi un mouvement bien marqué chez nous.”

En matière de baux, si les locations à long terme existent encore, elles sont surtout l’apanage des institutions publiques qui peuvent encore signer des locations à plus de 10 ans alors que des baux de 20 ou 25 ans étaient monnaie courante jusqu’il y a peu. Pour les sociétés privées, il est dorénavant rare que l’on excède les neuf ans.

“La vraie évolution, c’est la combinaison de baux de longue durée et de courte durée, précise Bertrand Cotard, head of letting & sales chez BNP Paribas Real Estate. Par exemple, sur un immeuble de huit étages, six seront régis par un bail à long terme alors que les deux derniers auront un bail plus court et flexible, de manière à pouvoir s’adapter aux besoins.”

© National

L’Europe de retour

Un nouveau contexte qui se traduit inévitablement par un ralentissement du marché. Le take-up (prise en occupation) pour les trois premiers trimestres avoisine les 220.000 m2. Un quatrième trimestre dynamique est espéré pour atteindre les 350.000 m2, ce qui permettrait de revenir dans des standards plus habituels. “De nombreuses transactions sont en discussion actuellement, précise Bertrand Cotard. Souvent pour louer des immeubles entiers.” Et Erik Verbruggen, head of letting & sales chez Colliers, d’ajouter: “Mais il faut bien se rendre compte que nous n’atteindrons plus les volumes antérieurs. Le take-up annuel oscillera dorénavant entre 250.000 et 300.000 m2. Une nouvelle ère s’est ouverte, avec des conseillers en immobilier qui joueront davantage le rôle de consultant que de broker.”

Quant à la demande, elle est surtout marquée par le retour aux affaires de l’Europe et le retrait des acteurs publics. “L’Europe est enfin passé à la vitesse supérieure, pointe Pierre-Paul Verelst. C’est une bonne chose. Les sociétés privées prennent par contre de plus en plus de temps à se décider. Des acteurs publics comme la Région bruxelloise ou la Région flamande ont été très actifs ces dernières années et sont plus attentistes aujourd’hui.”

Reste que si la demande est timide, l’offre ne suit guère non plus. Ce qui est problématique vu que les différents acteurs cherchent tous le même type d’immeubles (efficaces sur le plan énergétique, hybrides dans leurs usages et situés à proximité des gares), des produits de plus en plus rares. “Cette situation peut en effet poser problème à court et moyen terme, précise Pascal Mikse, head of research Belux chez BNP Paribas Real Estate. Il ne reste plus que 5% d’immeubles en grade A. Or, la demande se concentre sur ces actifs.” Ajoutons que JLL estime que 84% du bâti bruxellois (13 millions de m2 de bureau) ne répond plus aux normes énergétiques actuelles. Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, il faudrait renouveler le stock de 420.000 m2 par an. Une mission impossible…

Engie vers l’immeuble OXY

Ce déficit d’offre se reflète dans les chiffres rassemblés par JLL sur les livraisons d’immeubles de bureaux prévues dans les prochains mois à Bruxelles. Pour 2023, il ne reste plus que 47.186 m2 à livrer (Chancelier de Codic et Wings de Ghelamco) dont 27.882 m2 sont déjà loués. Pour 2024, les livraisons sont estimées à 310.000 m2 dont 203.000 m2 sont loués. Alors qu’en 2025, des nouveaux immeubles d’une superficie de 370.778 m2 sont attendus dont seulement 36.367 m2 sont déjà réservés. “Avec le contexte actuel, les prélocations qui étaient une vraie tendance du marché depuis deux ans ne sont clairement plus plébiscitées, lance Bertrand Cotard. Mais ce n’est pas nécessairement négatif pour le marché.”

BERTRAND COTARD
© pg/www.yvanglavie.com

“La vraie évolution, c’est la combinaison de baux de longue durée et de courte durée.” BERTRAND COTARD

L’un des prochains gros deals qui sera signé devrait en tout cas concerner Engie. Après avoir revendu ses deux tours en 2022 à Ethias et Whitewood Green Real Estate Fund, le groupe énergétique disposait encore d’un bail locatif jusqu’en 2029 pour l’une des deux tours. Dans une communication interne diffusée fin septembre, on apprend toutefois qu’Engie a été informé par les nouveaux propriétaires qu’ils ne comptaient pas renouveler leur bail, de manière à faire de la place pour la Commission européenne qui a marqué son intérêt pour louer l’ensemble. Dans la foulée, Whitewood a proposé à Engie de déménager en 2026 dans le nouvel immeuble OXY (70.000 m2 dont 43.000 m2 de bureaux), situé place De Brouckère et dont il est également propriétaire avec Immobel et DW Partners. Une décision est attendue à l’automne.

Vers des loyers à 375 euros/m2

L’autre grande évolution de ces derniers mois concerne les loyers. Si le loyer prime était affiché à 330 euros/m2 l’an dernier, il a grimpé à 340 euros/m2 cette année dans certaines transactions (Lucia et Tour Louise). Et il pourrait encore sérieusement augmenter à l’avenir. Une suite logique de l’augmentation des coûts de construction encaissée par les développeurs immobiliers. Reste à voir si les locataires potentiels accepteront des hausses conséquentes. Cofinimmo, par exemple, présente actuellement son projet Montoyer 10 (6.000 m2) à un loyer de 375 euros/m2.

“Mais il ne s’agit que d’un loyer demandé. Rien ne dit qu’ils trouveront des preneurs pour ce montant, tempère Erik Verbruggen. D’autant que les loyers prime sont atteints par des locations allant de 1.000 à 3.000 m2 et non des gros blocs de 20.000 ou 30.000 m2. Or, ces petites locations sont très rares en ce moment. Il est toutefois normal de s’attendre à des hausses de loyers, vu les augmentations de coûts que doivent digérer les développeurs. Nous serons donc très vite à un palier de 350 euros/m2. Les loyers augmentent également à Anvers, où ils atteindront bientôt les 200 euros/m2.” Et Bertrand Cotard de compléter: “A contrario, vu le contexte financier actuel, d’autres promoteurs sont prêts à diminuer leurs marges et à réduire le loyer demandé pour se séparer au plus vite de leur actif. Des mois de gratuité sont également proposés. Des promoteurs retardent leur projet mais ne l’annulent toutefois pas. Nous sommes vraiment pour le moment dans un marché particulier…”

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