Immobilier à Charleroi: “Frapper fort est le seul moyen pour s’en sortir”
Des chantiers stratégiques aux quatre coins du centre-ville. Une métropole à ciel ouvert. L’opération survie bat son plein à Charleroi. Et de manière impressionnante. Le volet résidentiel devrait embrayer. Avis aux investisseurs…
De la théorie à la pratique. Enfin. Le centre de Charleroi est actuellement un chantier à ciel ouvert. La stratégie établie sur papier glacé et traduite via de beaux visuels 3D se dessine de plus en plus sur le terrain. Une dizaine de places, des grands boulevards, des petits rues, des infrastructures culturelles et académiques sont profondément transformés et réhabilités depuis un an. Même les plus sceptiques quant au renouveau carolo ne peuvent plus rester indifférents devant les 3 milliards d’euros privés et publics déjà investis. Les pouvoirs publics, bien aidés il est vrai par des fonds européens qui coulent à flot, jouent – et c’est assez rare pour être souligné – pleinement leur rôle moteur via une vision urbanistique dont ils ne dérogent pas. Reste maintenant au privé à accélérer la cadence. Et à une nouvelle population, disposant de davantage de moyens, de revenir en ville. De quoi concrétiser l’opération survie lancée en 2012 à coup de projets pharaoniques.
Les pouvoirs publics, bien aidés par des fonds européens, jouent pleinement leur rôle moteur via une vision urbanistique dont ils ne dérogent pas.
Végétaliser toute une ville
Le point de rendez-vous est donné devant l’hôtel de ville, juste en face de la place Charles II, entièrement défigurée par les pelleteuses pour le moment. Georgios Maillis, bouwmeester local, véritable architecte de la transformation carolo, arrive au pas de course. Thierry Collard, administrateur délégué du promoteur immobilier Eiffage Development, l’accueille avec le sourire. Les deux hommes se connaissent bien. Eiffage, qui propose notamment un projet en bord de Sambre intégrant bureaux et logements autour de la future marina, est l’un des premiers grands acteurs privés, avec Iret, à s’être inséré dans la nouvelle dynamique locale. C’était déjà en 2016. “Nous sommes ici devant la place principale de Charleroi, lance le maître-architecte, candidat à un troisième mandat de cinq ans, histoire de terminer le travail. Elle sera appelée place Vauban. D’un rond-point, cela va devenir un lieu d’échanges et de rencontres. C’est l’une des 16 places que nous transformons actuellement. L’objectif a été de frapper un grand coup en matière de travaux. C’est compliqué pour le moment en termes de mobilité et de nuisances mais passer par là est obligatoire. Les travaux ont démarré il y a un an et se termineront fin 2023. La mue est colossale.”
Première étape, le district créatif, dans la Ville-Haute. Pour rejoindre le rond-point du Marsupilami, on remonte la rue de la Régence et l’avenue de Waterloo, toutes deux en pleins travaux. De grands arbres sont en train d’être plantés à tour de bras. Alors que les rues démacadamisées font ressortir les belles façades du bâti ancien. “Une des clés du renouveau résidentiel sera en effet de rénover au fur et à mesure ces maisons, lance Thierry Collard. Les propriétaires qui ne disposent pas des fonds nécessaires pour procéder à des travaux seront tentés de revendre leur bien, vu la plus-value possible. Et les investisseurs y retrouveront leur compte, vu l’évolution des prix. Je crois à cet effet boule de neige, même si une éventuelle gentrification du centre est alors possible. De notre côté, la difficulté principale du marché neuf reste toujours de trouver l’équilibre financier entre les coûts de construction et les prix de vente. Il n’est pas atteint pour le moment mais cela peut évoluer rapidement. En tout cas, les multiples investissements qui augmentent incontestablement la qualité de l’espace public et des services – mais qu’il faudra entretenir et faire vivre dans le temps – font que de plus en plus de candidats acquéreurs vont revenir dans le centre ( de 24.000 habitants jadis, il n’y en a plus que 10.000, Ndlr). C’est une évidence. Mais je pense que cela passera dans un premier temps par le marché secondaire avant que le neuf ne prenne totalement le relais.”
Enfin un campus universitaire
Nous voici arrivés au début du boulevard Gustave Roullier. Auparavant, une accélération dans le tunnel, un coup de volant, et le visiteur d’un jour se retrouvait sur le parking du Palais des Beaux-Arts. “Nous avons redessiné ce boulevard et le boulevard Jacques Bertrand jusqu’à la place du Manège, de quoi relier tout le tissu urbain, précise Georgios Maillis. Cela formera une sorte de grande jungle urbaine et piétonne, juste à côté de la cité des Métiers. Elle se prolongera devant le BPS 22 et ira jusqu’à la place du Manège. A côté de ce projet, le piétonnier à Bruxelles, c’est de la rigolade ( sourire).” Mais ce quartier concentrera surtout les auditoires de trois universités (ULB, UMons et UCLouvain), institutions ramenées dans le centre dans ce qui formera un District Créatif. D’ici quelques années, entre 10.000 et 15.000 étudiants devraient fréquenter ce campus des arts et métiers. Certains petits investisseurs – surtout flamands – ne s’y trompent d’ailleurs pas, rachetant de plus en plus d’immeubles de rapport pour y développer de la colocation ou des kots. “L’enjeu dans cette rénovation du bâti ancien, ce sont également les grandes copropriétés, relève Thierry Collard. Il est souvent très difficile de mettre tout le monde d’accord. Or, il y a plusieurs immeubles iconiques à Charleroi qui mériteraient d’être remis en valeur.”
Le duo arrive devant la place du Manège. Cet ancien parking est en plein chantier pour être transformé en une place entièrement arborée et piétonne. Sans plus aucune place de stationnement. A l’arrière, l’immense parking du Palais des Beaux-Arts, propriété de Banimmo, deviendra un quartier résidentiel. “Mais ce n’est pas pour tout de suite”, tempère Georgios Maillis. La visite menée au pas de charge s’arrête un instant devant les locaux de l’agence de développement local urbain Aris. “C’est notre bras immobilier public, précise le maître-architecte. Son rôle est d’identifier les immeubles à rénover, d’effectuer les démarches pour obtenir le permis et de vendre le projet ensuite à des investisseurs qui le développeront. Ce travail est capital pour Charleroi. On y croit beaucoup. On s’est inspiré de ce qui s’est fait à Anvers.”
Si la Ville-Basse a déjà opéré sa mue avec de nombreux projets, tels que Rive gauche ou Quai 10, le travail est loin d’être terminé.
La descente vers la Sambre se poursuit. Sur la droite, le Palais des Expositions, une sorte de gros cube en pleine rénovation, toutes fenêtres ouvertes. L’architecture des lieux, brute suite aux travaux en cours, est déjà impressionnante. “C’est le projet qui me tient le plus à coeur, s’emballe Georgios Maillis. Il est déjà publié dans toutes les grandes revues d’architecture. Il sera traversé par un jardin urbain. Ce sera magnifique.”
Le besoin de bureaux et l’étonnante marina
Et nous voici arrivés, après un passage devant la place de la Digue, dans le futur Left Side Business Park, futur quartier emblématique de la Ville-Basse, en bord de Sambre. Il doit notamment combler un déficit en matière de bureaux. Un immeuble de bureaux a déjà été construit par Iret. Les fondations du second (toujours Iret), situé juste en face, ont été creusées. Alors qu’un troisième, construit par Eiffage pour Famiwal et l’Aviq, attend le feu vert du Conseil d’Etat pour voir les pelleteuses entrer en action. Un hôtel Van der Valk sera également construit non loin de là. Mais, c’est juste en face, à la place d’une grande barre d’immeuble appartenant à la Régie des Bâtiments, que sera aménagé l’un des projets phares du renouveau carolo. “La percée de la Sambre pour aménager la marina sera réalisée sur le parking qui est juste devant nous, montre Thierry Collard. Igretec est à la manoeuvre et Eiffage a fourni une étude originale afin d’adapter le Plan de remembrement urbain aux contraintes techniques du site. Le projet qui en découle est emblématique, avec 300 logements de différents types, des commerces, des services. Un jeu de domino entre plusieurs immeubles doit encore s’opérer pour libérer les lieux.” Aucun pronostic donc sur la date de lancement des travaux.
Si la Ville-Basse a déjà opéré sa mue avec de nombreux projets, tels que Rive gauche ou Quai 10, le travail est loin d’être terminé. Nous longeons ensuite la Sambre, le long des quais rénovés en 2019, avant de nous arrêter sur la passerelle qui fait face à la place Emile Buisset. “Juste devant vous, une belle coordination en matière d’investissement: la gare SNCB est en train d’être rénovée, l’OTW (Opérateur de transport de Wallonie) agrandit sa gare des bus et les fonds Feder vont permettre d’abaisser la hauteur des quais de la Sambre, se réjouit Georgios Maillis. Des travaux de grande ampleur. Juste à côté, l’immeuble de l’ancien Tri Postal va être transformé en un pôle industriel et numérique A6K-E6K. Les travaux sont en cours. Et derrière, l’Hôtel des Chemins de fer va être rénové pour laisser place au plus grand espace coliving de Belgique (Ikoab, 63 chambres, d’ici 2024) et un food market, le premier de Wallonie. Cela s’annonce très prometteur.” Une demi-douzaine d’immeubles de bureaux sont également prévus entre ces deux grands bâtiments.
Le levier du bâti ancien
Sur le chemin du retour, on remonte par Rive Gauche et le Triangle de la Ville-Basse, ancien quartier chaud de la ville. Les logements neufs construits par Iret comme charge d’urbanisme du centre commercial sont désespérément vides. Ils sont donc passés sur le marché locatif. “Le point de basculement n’a pas encore opéré, fait remarquer Thierry Collard. Mais cela ne va pas tarder. Cela passera davantage par des rénovations de petits immeubles que par des grandes promotions neuves entraînant des démolitions-reconstructions ( dans le centre, il y aura surtout les 300 logements du Left Side et les 250/300 de River Towers, de l’autre côté, Ndlr). Je crois davantage dans les réhabilitations d’immeubles de 20 à 50 logements. Pour le reste, je suis étonné du peu d’intérêt de mes confrères promoteurs pour Charleroi. Même s’il est vrai qu’Eiffage a pris le pari de développer des projets abordables alors que les grands promoteurs visent surtout le haut de gamme. Ils arriveront probablement dans un deuxième temps à Charleroi.” Et Georgios Maillis, de conclure: “Nous sommes sur un tissu urbain en attente. De petites interventions se mêleront au grand projet. Les changements sont tellement importants que les rénovations des commerces et logements suivront inévitablement. J’en suis persuadé. De nouveaux habitants arriveront dans ces nouveaux projets d’ici 2024 ou 2025. En immobilier, c’est un temps très court. La littérature dit qu’il faut 15 ans pour repositionner une ville. Nous y arrivons doucement… Pour le reste, il reste encore à finaliser la Porte Ouest, le site du Mambourg et la rénovation du plateau nord. Je pourrai ensuite me retirer et me consacrer à autre chose… ( sourire)”
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