Faut-il craindre un krach immobilier?
Le marché immobilier belge repose sur des fondamentaux qui lui permettent d’éviter pour le moment la sortie de route. Mais l’inquiétude gagne du terrain. Si le nombre de transactions s’est effondré, les prix ne suivent pas encore la même courbe. L’année 2024 pourrait être bien pire encore.
Insubmersible. Insensible. Résilient. L’immobilier résidentiel belge a collectionné les qualificatifs ces dernières décennies. Traversant les crises, qu’elles soient économiques (1993 et 2008-2009) ou sanitaire (2020), sans y perdre ses fondamentaux et voir ses prix s’effondrer. Un grand paquebot qui a tracé sa route grâce à quelques garde-fous qui ne l’ont jamais mis en danger (taux d’endettement faible, taux de propriété élevé, épargne des ménages importante, stabilité des régimes fiscaux), contrairement à certains voisins européens.
Une nouvelle histoire est-elle en train de s’écrire ces dernières semaines? Un sérieux grain de sable vient en tout cas d’enrayer la belle mécanique depuis 18 mois. La hausse soudaine des taux d’intérêt (multipliés par 3,5 en peu de temps) a mis à terre bon nombre de certitudes. D’autant qu’elle s’ajoutait à une hausse de l’inflation et une envolée des coûts des matériaux. De quoi laisser tant les vendeurs que les acheteurs dans l’expectative. Si bien que le marché n’a jamais autant tourné au ralenti qu’aujourd’hui.
“On peut clairement parler d’une crise immobilière pour certains métiers. Mais évoquer un krach immobilier est prématuré.”
Une situation économique dont les dégâts collatéraux sont multiples. La capacité d’emprunt des ménages s’est nettement repliée. Les promoteurs sont dans les cordes. Les investisseurs se détournent de l’immobilier. Alors que bon nombre de professions qui dépendent directement de la vitalité de ce marché (notaires, agents, promoteurs, etc.) doivent complétement se réorganiser, voire dans certains cas licencier du personnel. Sans parler des risques de faillite qui ne sont plus très loin pour certains.
“On peut clairement parler d’une crise immobilière pour certains métiers, précise l’économiste Roland Gillet, professeur à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB (Solvay). Mais évoquer un krach immobilier est prématuré. Il ne s’agit, de plus, que des premières baisses de prix après des années de hausse. Elles doivent donc être relativisées.”
L’ampleur des ratés que connaît actuellement la machine immobilière ne semble d’ailleurs pas encore entièrement dévoilée. Bon nombre d’observateurs prédisent que l’année 2024 sera bien pire que celle-ci. Si les exemples des pays voisins (Luxembourg, France, Allemagne notamment) incitent à la prudence, on vous explique pourquoi les effets collatéraux seront multiples et variés. Et que la valeur de votre maison ou de votre appartement ne devrait toutefois pas s’effondrer dans les prochains mois.
Pourquoi la Belgique est à l’abri?
Après une longue période de frénésie, le marché immobilier belge connaît donc un important repli en matière des transactions. Le nombre de crédits octroyés lors des trois premiers trimestres s’est effondré de 38%, passant de 219.912 crédits en 2022 à 136.713 crédits cette année. Des chiffres en contradiction avec la baisse plus modérée constatée par les notaires en matière de transactions (- 4,2%), mais ces chiffres recouvrent des données plus larges (compromis, actes de vente, donations, ventes publiques, hypothèque, etc.).
“La baisse des transactions devrait tourner autour des 25% cette année”, estime Philippe Ledent, économiste senior chez ING. Dans tous les cas, la période de l’argent “gratuit” est terminée. La baisse historique des taux depuis le milieu des années 2010 a eu pour effet de solvabiliser massivement la clientèle et d’alimenter une hausse de prix considérable. La hausse brutale des taux d’intérêt a, quant à elle, refroidi les acheteurs, d’autant plus qu’elle a sérieusement réduit leur capacité d’emprunt. De quoi avoir des conséquences en cascade, comme notamment une première (légère) baisse des prix attendue cette année et un allongement des délais de vente. Si on y ajoute le recul des transactions, les signes avant-coureurs d’un krach immobilier pourraient sembler ne plus être très loin.
“Mais pour voir apparaître un krach, il faut un effet boule de neige, estime Roland Gillet. Ce qui n’est pas le cas en Belgique. Une crise immobilière commence habituellement par un effondrement des transactions avant d’assister à un ajustement des prix qui peut prendre de 12 à 24 mois. Cette baisse doit être marquée, allant de 15 à 20%. Si nous sommes dans une période de ralentissement économique, quand les prix baissent, des logements achetés dans une période faste à des prix élevés peuvent subir une rapide dépréciation.”
“Les gens ne savent plus non plus rembourser leur crédit. Ce qui pose alors problème aux banques, qui peuvent retirer la prise. Le ralentissement de l’activité pousse aussi des secteurs dépendants de l’immobilier à licencier et la machine s’emballe.”
Vers un repli des prix
Reste qu’en Belgique, une telle situation est peu probable. Une série de paramètres permettent d’éviter le grand plongeon. Le premier est bien évidemment le taux de propriétaires (72%), particulièrement élevé, qui empêche le marché de se retourner. “Le Belge attache une grande importance au fait d’être propriétaire de son logement, relève Etienne de Callataÿ, économiste en chef d’Orcadia Asset Management. Dans la période que nous vivons actuellement, un propriétaire a donc tendance à ne pas mettre en vente son bien. Sa maison ne perd donc pas de valeur. Il n’a pas non plus intérêt à abandonner son crédit hypothécaire signé à un taux d’intérêt intéressant pour acheter un logement avec un taux quatre fois plus élevé. Des transferts de crédit sont bien évidemment possibles mais pas sur la totalité de l’emprunt.” Et Roland Gillet de préciser: “La situation aurait été similaire si le taux de locataires avoisinait les 75 à 80%. Quand un marché est tellement déséquilibré, il est difficile de le renverser”.
“En 2020 et 2021, les prix de l’immobilier ont grimpé de 15%. Une baisse de 1% n’est donc pas du tout inquiétante.”
En matière de prix, on observe en tout cas que l’effondrement attendu ne se produit pas. Certains appartements ou maisons surévalués par l’envolée de la demande dans la période post-pandémie (2020-2021) retrouvent leurs standards habituels. Il ne s’agit donc pas de baisses de prix mais d’un retour à la raison. Par contre, certaines évolutions de prix diffèrent dorénavant en fonction du niveau de rénovation énergétique des biens, la dépréciation étant le lot des passoires thermiques.
Pour 2023, Belfius prévoit en tout cas une baisse des prix nominaux des maisons de 0,5% par rapport à 2022 et de 1,5% entre 2023 et 2024. ING avance des prévisions similaires pour 2023, entrevoit une stabilité pour 2024 (0%) et une hausse pour 2025 (+ 2%).
“Mais il faut aussi relativiser ces baisses de prix, lance Philippe Ledent. En 2020 et 2021, les prix de l’immobilier ont grimpé de 15%. Une baisse de 1% n’est donc pas du tout inquiétante. Nous nous sommes tellement habitués aux hausses de prix que nous n’acceptons plus le moindre repli. Il est vrai que si nous prenons en compte l’inflation de ces deux dernières années, la baisse de prix en termes réels est bien plus importante et avoisine alors les 15%. Pour le reste, j’ai appris à ne jamais dire le mot impossible mais il est un fait qu’un krach immobilier est très peu probable en Belgique par rapport à d’autres pays. L’expérience passée montre que le marché immobilier belge est un des plus stables. C’est d’ailleurs lui qui a connu le moins de trimestres baissiers.” Et quand les prix grimpent, ils le font également dans des proportions moindres que d’autres pays européens.
Une éclaircie espérée fin 2024
Troisième élément, la régulation du marché des crédits hypothécaires évite tout effondrement de l’immobilier. Un taux d’intérêt variable ne peut, par exemple, jamais augmenter plus qu’il ne peut diminuer. “Cela permet de ne pas être étouffé par son taux et de ne pas être obligé de vendre sa maison”, précise Etienne de Callataÿ. Reste que les Belges ont, en grande majorité, souscrit un taux fixe ces dernières années (de 85 à 90%). De quoi réduire sérieusement leur exposition à une évolution des taux.
“En Belgique, l’emprunt se rembourse via le capital, relève Philippe Ledent. Aux Pays-Bas, par exemple, un emprunteur ne rembourse que des intérêts et le capital est garanti par une société d’assurance. Ce qui est beaucoup plus risqué. Le resserrement dans l’octroi des crédits exigé par la Banque nationale (apport de fonds propres de 20%) est justifié pour éviter un retournement du marché. Toutes ces mesures empêchent la spéculation et évitent que l es ménages ne soient dans l’incapacité de rembourser leurs prêts en raison d’un endettement trop important.”
Ajoutons que la Belgique n’est pas confrontée à une surproduction de l’offre et que l’indexation automatique des salaires préserve d’une trop grande baisse du pouvoir d’achat ou d’une crise de l’emploi avec des ménages qui ne pourraient plus faire face aux échéances de leur prêt. Autant d’éléments qui garantissent la stabilité de l’immobilier belge.
Quid de l’avenir? Tous les observateurs semblent actuellement dans l’expectative. Seule la stabilisation des taux hypothécaires permettra d’y voir plus clair et de rassurer les acquéreurs et investisseurs. Elle n’est toutefois pas espérée avant le deuxième trimestre 2024, avant un éventuel rebond de l’activité au second semestre.
“Un meilleur équilibre des prix est surtout attendu par certains qui pensent toujours, comme la Banque nationale, que les prix sont surélevés”, relève Roland Gillet. Reste que la raréfaction de l’offre sur le marché neuf rejaillit directement sur le marché ancien puisqu’elle contribue à maintenir des prix élevés. “Ce qui risque de continuer à faire gripper le marché, regrette Etienne de Callataÿ. Mais bon, certains propriétaires devront bien accepter à un moment de diminuer leur prix.”
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