La construction en crise : prix en hausse, faillites record, logements plus petits

Construction site and development in London © Getty Images
Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Le boom dans la construction est passé depuis des années, et une amélioration n’est pas en vue dans l’immédiat. Mais le secteur ne désespère pas. “Il y a un besoin énorme en logements, toutes nos infrastructures doivent être renouvelées, indique l’administrateur délégué d’Embuild. Nous faisons face à la plus grande tâche de construction depuis la Seconde Guerre mondiale.”

Le secteur de la construction a connu des jours meilleurs. Le nombre de permis de bâtir s’effondre, le nombre de faillites d’entreprises du bâtiment bat des records. Et les prix de l’immobilier ne baissent pas, au contraire. Un bon logement est devenu très cher pour une famille moyenne. “À cause de la hausse des coûts des matériaux et des salaires, les prix de l’immobilier ont grimpé de 30% en quatre ans, tandis que les prêts hypothécaires sont également devenus nettement plus chers, indique l’entrepreneur malinois Bob Van Poppel. Les gens vont devoir s’habituer aux nouveaux prix.”

Pour garder un certain niveau d’accessibilité, les maisons et appartements neufs deviennent de plus en plus petits. “Mais à un certain moment, on atteint la limite de ce qu’on peut encore appeler une maison ou un appartement, dit Dirk Evenepoel, le gérant de l’entreprise de construction et promoteur BATO à Schepdaal (Dilbeek). Il y a 10 ans, une maison neuve en version standard avait une surface habitable de 180 m². Aujourd’hui, c’est 135 m². Là, on touche à une limite inférieure.”

Dirk Evenepoel espère que les pires années de la construction sont derrière nous. “Les deux dernières années ont été dures, ce qui a aussi permis de séparer le bon grain de l’ivraie. Pendant le boom des années pré-covid, même le boucher du coin se lançait dans la promotion immobilières.”

La construction restera toujours un secteur compétitif, mais le compte n’y est plus. L’équilibre entre les coûts et les revenus est rompu.

Ce qui ne signifie pas que la reprise est pour demain, selon Bob Van Poppel. “La construction restera toujours un secteur compétitif, mais le compte n’y est plus. L’équilibre entre les coûts et les revenus est rompu.”

Les chiffres

Ce déséquilibre explique la pluie de faillites. Entre 2021 et 2024, le nombre de faillites annuelles est passé de 1.466 à 2.671 dans le secteur, soit un quasi-doublement, selon les données du fournisseur d’informations commerciales Trends Business Information. Et l’avenir s’annonce sombre. “Le réservoir d’entreprises menacées continue de croître, indique Pascal Flisch, analyste chez Trends Business Information. Entre 2019 et 2023, le nombre d’entreprises de construction belges avec un fonds propre négatif a augmenté d’un cinquième. Ces entreprises ont plus de dettes que d’actifs et ne sont plus solvables.”

La croissance des entreprises de construction est faible. Elle ne suit souvent pas l’inflation, selon Pascal Flisch. “Entre 2019 et 2023, l’inflation s’est élevée à 15,7%, précise-t-il. Seules les entreprises de construction de taille moyenne ont vu leur valeur ajoutée croître plus que l’inflation. Chez les petites et grandes entreprises, la croissance réelle était nulle ou même négative. Il est temps d’avoir moins d’entreprises, mais plus solides. Le grand nombre d’entreprises non rentables montre que toutes les firmes du bâtiment ne sont pas pertinentes. Tout le monde ne doit pas créer sa propre entreprise dans la construction.”

C’est ce qui s’est produit durant les années covid, lorsque la construction a été autorisée à continuer, selon Niko Demeester, administrateur délégué de la fédération sectorielle Embuild. “L’ouvrier du bâtiment qui travaillait depuis 10 ans pour un patron a alors acheté une camionnette, y a mis ses outils et est devenu entrepreneur. Maintenant que les temps sont durs, ces petits nouveaux disparaissent, et le secteur enchaîne les records de faillites.”

Il existe aussi une loi statistique, selon Jean-Pierre Waeytens, administrateur délégué de la fédération Bouwunie : “Plus il y a de starters, plus il y aura de faillites dans les cinq premières années.”

Le problème

La construction est un secteur de micro-entreprises. Selon les chiffres d’Embuild, les indépendants sans personnel représentent pas moins de 79,5% des quelque 160.000 entreprises du bâtiment, parmi lesquelles aussi des plombiers, couvreurs, électriciens, etc. Parce que beaucoup tentent leur chance, la concurrence est rude et les marges bénéficiaires sont faibles. La productivité figure parmi les plus basses de toute l’industrie. Dans ces conditions, une mauvaise conjoncture fait immédiatement beaucoup de victimes.

Au sein des grandes entreprises, la pilule amère est désormais digérée, mais elles sont minoritaires. Les entreprises de construction avec 1 à 49 employés représentent 20,1% du total, celles avec 50 employés ou plus comptent pour à peine 0,4%. La situation appelle à une consolidation, mais elle ne semble pas vraiment en cours, selon Niko Demeester. “L’intensité en capital augmente, surtout dans le gros œuvre. Dans ce segment, on va vers une augmentation d’échelle, ce qui ne veut pas dire que chaque entrepreneur comptera au moins 100 salariés. Les nombreux petits indépendants dans la finition et la maintenance – pensez aux plombiers ou électriciens – survivront. Alors qu’ils travaillaient autrefois comme salariés, ils forment maintenant un réseau d’indépendants qui réalisent ensemble le même travail.”

La vulnérabilité de la construction ne tient pas uniquement à la petite échelle. “La construction est un secteur atypique, explique Jean-Pierre Waeytens. Nos chantiers sont temporaires, tandis que nos coûts fixes sont permanents, comme les amortissements et les salaires. Si votre carnet de commandes est réduit à quelques mois, vous vous retrouvez vite en difficulté financière.”

La construction travaille pour le long terme avec un modèle de revenus à court terme. La solution est de gagner de l’argent sur tout le cycle de vie du bâtiment.

Ce n’est pas facile de gagner de l’argent avec des produits finis qui peuvent durer 100 ans, ajoute Niko Demeester. “La construction travaille pour le long terme avec un modèle économique à court terme, rappelle-t-il. La durée d’un projet va de quelques mois à quelques années. Durant cette période, vous devez joindre les deux bouts et de préférence faire un bénéfice. La solution est de gagner de l’argent sur tout le cycle de vie de l’ouvrage, en assurant aussi l’entretien, les extensions et les rénovations.”

Les perspectives

Les nombreux fléaux qui touchent le secteur de la construction – la conjoncture atone, les matériaux chers, les prix de l’énergie élevés, les lourdes charges salariales, la hausse des taux hypothécaires, la réglementation capricieuse, les communes réticentes, les délais de permis interminables et les procédures en justice sans fin – ne disparaîtront pas demain.

“Le secteur de la construction est encore parti pour des années de croissance nulle, estime Niko Demeester. La construction de bureaux, de bâtiments industriels et d’infrastructures se maintiendra encore assez bien. Mais la construction de logements neufs continuera de souffrir. Ce segment reste 15% en dessous du niveau de 2022 et continuera de chuter dans les années à venir.”

L’IA peut faire passer le chiffre d’affaires du secteur belge de la construction de 1,3 milliard d’euros en 2024 à 14,6 milliards en 2032, soit plus qu’un décuplement.

La rénovation des logements a continué d’augmenter depuis la pandémie, mais reste bien en deçà de son potentiel, également dans les prochaines années. Le marché de la rénovation est trop fragmenté. “Je plaide coupable, dit Niko Demeester. Moi aussi, je rénove ma maison depuis 10 ans. Nous sommes un pays de rénovateurs individuels. Pour travailler efficacement, rapidement et à moindre coût, il faudrait s’attaquer à des quartiers entiers en même temps.”

L’approbation du taux de TVA réduit pour la démolition et reconstruction est déjà un pas dans la bonne direction, selon Niko Demeester. “Mais l’assouplissement de l’obligation de rénovation est contre-productif”, ajoute-t-il, faisant référence aux obligations de mise à niveau en matière de performance énergétique.

La tendance finira par s’inverser dans le secteur de la construction, parce qu’il ne peut en être autrement. “Il y a un énorme besoin en logements, toutes nos infrastructures doivent être renouvelées, insiste Niko Demeester. Nous faisons face à la plus grande tâche de construction depuis la Seconde Guerre mondiale. La population continue de croître. D’ici 2060, la Belgique comptera 1,2 million d’habitants en plus. Si nous voulons préserver les espaces ouverts et offrir malgré tout des logements abordables pour nos enfants, les communes doivent cesser de bloquer les projets de densification et de reconversion. L’époque des villas isolées et des fermettes est révolue.”

Nos infrastructures sont usées. “Beaucoup de routes, ponts et bâtiments datent encore des années 1960 et 1970, et aussi les infrastructures énergétiques sont obsolètes, souligne l’administrateur délégué d’Embuild. Ajoutez à cela les nouvelles casernes et autres infrastructures militaires, dans le cadre de l’effort accru de défense, et la conclusion est claire : une énorme vague d’activités nous attend.”

Une productivité plus élevée et donc une plus grande résilience devront venir de l’automatisation, de la robotisation et des nouvelles techniques comme la préfabrication des composants et l’assemblage sur le chantier.

Mais le plus grand saut viendra de l’intelligence artificielle (IA), selon une étude du consultant EY en collaboration avec Buildwise, le centre de recherche du secteur belge de la construction. Selon cette étude, l’IA peut faire passer le chiffre d’affaires du secteur belge de la construction de 1,3 milliard d’euros en 2024 à 14,6 milliards d’euros en 2032, soit plus qu’un décuplement. Cela s’explique par le fait que l’IA peut soutenir pratiquement tous les aspects du processus de construction. L’IA pourrait, par exemple, analyser les cahiers des charges, permettant ainsi aux entreprises de construction de juger beaucoup plus rapidement si un projet est dans leurs capacités.

“Pour de grands projets comme Oosterweel ou le nouveau siège de l’Otan, les cahiers des charges sont gigantesques et complexes, pointe Niko Demeester. Avant, on devait mobiliser une équipe de spécialistes pour tout lire et traiter. Maintenant, on introduit ces cahiers dans une application IA spéciale qui vérifie et organise tout pour vous.”

Une autre application de l’IA est le contrôle des plans de construction. “Cela doit permettre d’éviter les erreurs conceptuelles, une des causes de la faible marge bénéficiaire dans notre secteur, explique Niko Demeester. En éliminant les erreurs des plans avant le début des travaux, l’IA nous fera économiser beaucoup de frais. Si nous nourrissons l’IA avec toutes les connaissances des projets de construction du monde entier, nous pourrons construire la maison et le pont parfaits, de la manière la plus efficace en plus. Ce projet d’IA est déjà en cours. Oubliez donc l’idée que nous serions technologiquement à la traîne. La construction, c’est du rock’n’roll.”

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