Alors que le rond-point Schuman était censé devenir le nouveau symbole d’une Bruxelles capitale de l’Europe, il révèle aujourd’hui les fragilités d’un système institutionnel éclaté. La Région a quémandé une aide supplémentaire à L’Europe. “C’est tout simplement une honte”, pour De Wever.
À Bruxelles, cœur institutionnel de l’Europe, le rond-point Schuman est en pleine métamorphose. Et ceux qui y sont passés récemment n’ont pu que constater, à leur aise vu les bouchons, les importants travaux en cours. Ce projet emblématique, conçu par les architectes danois Cobe et les Belges de Brut, est censé transformer un simple nœud routier en espace public ouvert, verdurisé et multimodal. Mais cet espace spectaculaire, surmonté d’un auvent en acier et d’une toiture végétalisée, est aujourd’hui menacé faute de financement.

Un appel à l’aide
Dans une manœuvre inhabituelle, la Région bruxelloise s’est adressée jeudi directement aux plus hauts représentants des institutions européennes pour obtenir un soutien financier exceptionnel. Dans une lettre officielle, adressée notamment à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et cosignée par Rudi Vervoort (PS), ministre-président sortant, Ans Persoons (Vooruit) et Elke Van den Brandt (Groen), la Région appelle… à l’aide. La situation budgétaire, jugée “précaire”, combinée à une crise institutionnelle régionale, fait que l’achèvement du projet est compromis, notamment son élément central – le fameux auvent –, dont le financement relèverait uniquement de la Région bruxelloise.
Un auvent très contesté
Si l’auvent en acier se veut emblématique, il suscite de nombreuses réserves, tant sur le plan esthétique, budgétaire que fonctionnel.
Pour certains élus, comme Benjamin Dalle (CD&V), l’auvent relève davantage d’un geste d’architectes stars que d’un véritable besoin urbain. Il le compare à celui du square Rogier, également spectaculaire… mais peu convivial, selon lui. Même au sein du gouvernement bruxellois, certains pointent les frais d’entretien exorbitants associés à ce type d’infrastructure. La Commission royale des Monuments et des Sites, organe consultatif en matière de patrimoine, a elle aussi émis des critiques. Elle estime que l’auvent altérerait la perspective monumentale entre la rue de la Loi et le parc du Cinquantenaire. Un axe visuel historique serait ainsi rompu par cette structure imposante.

Un projet ambitieux
Le projet se voulait ambitieux. Il s’agissait de faire du rond-point Schuman un lieu de vie piéton, cyclable, vert, et symbolique, censé refléter les valeurs européennes. Mais derrière la vision architecturale se cache une équation financière délicate. Les surcoûts s’élèveraient à environ 3 millions d’euros (la Région se garde bien de communiquer officiellement sur le montant exact). Selon De Standaard qui cite plusieurs sources internes, il manquerait 5,2 millions d’euros pour la place et 3,4 millions supplémentaires pour l’auvent. Or, en affaires courantes, Bruxelles n’a ni les moyens, ni l’autorité légale pour assumer un tel dépassement. Et le temps presse. Une nouvelle échéance approche : l’appel d’offres doit être bouclé avant le 30 juin. Sans validation du financement d’ici là, de nouveaux surcoûts sont à craindre.

Déjà bénéficiaire d’un prêt de 17,4 millions d’euros via le plan de relance européen, le projet nécessite donc un financement complémentaire. La Région espère désormais le trouver directement auprès des institutions européennes installées à Bruxelles : Parlement, Conseil, Commission, SEAE, Comité des Régions. Tous ont été sollicités via une lettre envoyé la semaine dernière. « Ce n’est pas qu’un geste architectural. Cette structure doit devenir un repère, un symbole démocratique au cœur de la capitale de l’Europe. Votre soutien serait un signal fort de votre engagement envers la ville qui vous accueille. », peut-on lire dans le courrier.
Une honte nationale
Une demande jugée « honteuse » par Bart De Wever, qui y voit le symbole d’un Failed State (un état en faillite) incapable de financer ses propres espaces publics. « La lettre de mendicité envoyée par Bruxelles à l’Europe est un nouveau point bas. » dit-il déclaré à Villa Politica de la VRT. “C’est tout simplement une honte. Bruxelles a ridiculisé le pays auprès des institutions européennes. J’ai immédiatement contacté les institutions européennes pour leur dire qu’il valait mieux ignorer cette lettre. »
En toile de fond, cette affaire illustre la triple vulnérabilité de Bruxelles. Soit une dépendance structurelle à l’argent fédéral (via Beliris), une faible capacité à absorber les dépassements budgétaires sans aides extérieures et, cerise sur le gâteau, un contexte politique instable qui paralyse toute prise de décision.
Paralysie des grands chantiers
Des négociations seraient en cours pour réorienter certains fonds non utilisés de Beliris. Mais cette piste pourrait rapidement être écartée. Le ministre fédéral compétent, Bernard Quintin (MR), ne fait pas partie de la majorité bruxelloise démissionnaire. Et tout le monde le sait : rien ne viendra du fédéral tant qu’un nouvel exécutif régional ne sera pas formé. Autant dire que sans aide extérieure, le désembourbage n’est pas pour demain, et que le chantier est bien parti pour s’éterniser. Le cas du rond-point Schuman montre que le blocage institutionnel coûte littéralement de l’argent, et ralentit voire paralyse les grands chantiers. Et ce n’est pas un cas isolé. La ligne de métro 3, autre projet phare de la capitale, est lui aussi englouti dans un bourbier budgétaire.
Finissons tout de même sur une note optimiste : si l’Europe répond positivement à l’appel, le projet pourrait se muer en un modèle de cofinancement symbolique entre ville-hôte et institutions européennes. Sauf, qu’à ce jour, aucune réponse officielle ne serait encore parvenue à la Région. Il est vrai que la demande, formulé en dehors de toute procédure, peut sembler inhabituelle, voire quelque peu amateuriste.
Miroir fidèle des ambitions européennes… et des dysfonctionnements belges
Au fil des décennies, le rond-point Schuman est devenu bien plus qu’un simple carrefour bruxellois : il est aujourd’hui le miroir fidèle des ambitions européennes… et des dysfonctionnements belges:
1999 : l’alerte de Prodi
C’est en 1999 que l’histoire moderne du Schumanplein bascule. Romano Prodi, alors président de la Commission européenne, s’émeut publiquement de l’état délabré et indigne du rond-point, situé à quelques mètres seulement des institutions européennes. Un signal d’alarme clair : Bruxelles, capitale de l’Europe, doit soigner son image.
2000–2010 : premiers plans, premières lenteurs
S’ensuit une décennie de réflexion, d’études et de concours d’architecture. Un projet ambitieux voit le jour, et en 2015, Bruxelles promet une transformation complète du site. Objectif : en finir avec la grisaille routière et créer un espace emblématique pour l’Europe.
Mais comme souvent dans la capitale belge, le projet s’enlise. Tensions politiques, lenteurs administratives, désaccords urbanistiques : rien ne se concrétise.
2023 : le chantier démarre (enfin)
Après un nouveau concours international, remporté par les bureaux Cobe (Danemark) et Brut (Belgique), les choses s’accélèrent. En automne 2023, le chantier démarre réellement. Le plan est ambitieux : transformer le rond-point en une grande place circulaire, entourée de circulation, surmontée d’un auvent architectural en acier, recouvert d’un toit végétalisé. Une sorte de cathédrale civique pour accueillir les piétons, les cyclistes, et symboliser l’ouverture démocratique de l’Europe.
2024–2025 : un gouffre financier
Très vite, les coûts dérapent. Le réaménagement complet du quartier atteint 32 millions d’euros. À cela s’ajoutent plus de 10 millions pour la place centrale elle-même. Puis viennent les surcoûts : près de 5,2 millions d’euros supplémentaires pour achever la place, et 3,4 millions pour le auvent. Or, en 2025, la Région est en affaires courantes, sans marge de manœuvre légale ni budget dégagé.