Hausses des taux: ce qu’il faut savoir

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Les taux d’intérêt remontent depuis peu. Le taux des obligations d’Etat belges à 10 ans a même été multiplié par quatre en octobre. Quelles sont les conséquences de cette évolution pour l’épargnant, l’investisseur et le consommateur ?

D’après la rumeur, la Banque centrale européenne (BCE) aurait l’intention de freiner ses achats de titres de dette à partir de mars prochain. Son président Mario Draghi dément. Mais il n’y a pas de fumée sans feu, estiment les investisseurs, qui propulsent en un mois le taux des obligations d’Etat belges à 10 ans de 0,1 % environ à 0,4 %, ce qui revient à le multiplier par quatre. “L’on recense un seul grand acheteur sur le marché obligataire, une seule partie qui imprime la direction qu’emprunteront les taux obligataires. Si la BCE réduit progressivement ses achats de titres de dette alors que l’offre reste inchangée, la demande d’obligations va s’essouffler. Les prix baisseront, et les taux d’intérêt augmenteront proportionnellement”, analyse Geert Gielens, économiste en chef chez Belfius. Que signifie une remontée des taux pour vos finances ? Quand deviendra-t-elle perceptible ?

Obligations

A toute remontée des taux d’intérêt correspond une baisse des cours obligataires. Les détenteurs d’obligations seront donc les premiers à s’apercevoir que les taux repartent à la hausse. Leur longue dégringolade avait permis aux investisseurs de réaliser d’appréciables plus-values sur les obligations et les fonds obligataires ces dernières années. Mais avec la remontée, ces plus-values fondent comme neige au soleil. “Le meilleur moment pour se défaire des obligations est passé, affirme Frank Vranken, stratège en chef de Puilaetco Dewaay. Je continue néanmoins pour l’instant à préférer vendre les obligations d’Etat et les obligations d’entreprises de bonne qualité plutôt que de les conserver en portefeuille.”

“L’attitude à adopter dépend de l’horizon d’investissement dont on dispose, analyse Geert Gielens. Vous pouvez prendre votre bénéfice sur les obligations, mais que feriez-vous de cet argent ? Certains grands investisseurs qui ont devant eux un horizon à long terme, comme les fonds de pension et les assureurs, refusent de céder leurs obligations, parce qu’ils ont besoin des revenus réguliers des coupons pour honorer leurs engagements. Vous pouvez évidemment vendre vos obligations et conserver les liquidités, sur lesquelles vous ne perdrez rien, si ce n’est votre pouvoir d’achat en cas d’inflation. D’après moi, il est tout à fait possible d’attendre l’issue de la prochaine réunion de la BCE, le mois prochain. Il me paraît peu vraisemblable que les taux d’intérêt remontent à une allure vertigineuse du jour au lendemain.”

Pour Geert Gielens, trouver le bon moment pour se défaire de ses obligations est “une question de chance”. “Les taux d’intérêt diminuent depuis 1990. Il y a toujours eu des gens pour dire que la situation ne durerait pas, parce que les niveaux atteints étaient historiquement bas. Et pourtant… Ceci étant, il est très peu probable que le mouvement baissier se poursuive désormais, à cause des effets négatifs, bien connus et documentés, de la politique de la BCE dans ce domaine.” Si la BCE intensifiait sa politique de taux bas, elle mettrait banques et compagnies d’assurances en difficulté ; quant aux épargnants, ils trouvent que la situation commence tout doucement à bien faire…

La sensibilité d’une obligation à l’évolution des taux, également appelée “duration”, dépend de la durée et du rendement de cette obligation. Plus la durée des obligations que vous détenez en portefeuille est longue, plus vous avez à perdre ; plus le coupon est modeste, plus vite une remontée des taux sera perceptible. “Il n’existe pas de règle empirique simple, constate Geert Gielens. Il faut faire le calcul pour chaque obligation. En tout état de cause, étant donné la mollesse des taux d’intérêt, la duration de l’obligation d’Etat belge à 10 ans est quasi identique à sa durée. En d’autres termes, toute remontée d’un point de pourcentage des taux engendre une perte d’environ 9 % de la valeur de l’obligation.” Pour les obligations d’Etat à cinq ans, de même que pour les obligations à haut rendement à 10 ans, l’effet est donc moins marqué.

Les actions ne sont pas davantage immunisées contre une remontée des taux. ” Elles souffrent elles aussi en ces circonstances, rappelle Frank Vranken. Si, portés par une accélération de la conjoncture, les taux repartent à la hausse, les actions se stabiliseront peu de temps après. Si les bénéfices des entreprises augmentent, les actions seront naturellement plus fortement valorisées. Les actions défensives, assorties d’un dividende élevé, se sont considérablement valorisées, surtout aux Etats-Unis. Il faut que les entreprises actent de très bons résultats pour en soutenir les cours. Or, les résultats pour cette saison sont soit très bons, soit décevants.”

Frank Vranken préfère actuellement investir un peu plus dans les banques, qui profitent d’une amélioration des marges d’intérêts, ainsi que dans les actions cycliques, assez négligées encore par les investisseurs. Il estime également les technologiques incontournables.

Comptes d’épargne

Les fonds déposés sur les comptes d’épargne sont immédiatement disponibles. A moins d’une panique bancaire, il est rare que tout le monde réclame son argent en même temps. Statistiquement, l’argent détenu sur les comptes d’épargne y reste deux à trois ans.

Pour déterminer le taux d’intérêt accordé sur les comptes d’épargne, les banques se réfèrent au taux des obligations d’Etat à court terme. “Bien davantage au taux à deux ou trois ans qu’à 10, précise Geert Gielens. Or sur ces courtes durées, le taux des obligations d’Etat belges est toujours négatif. Les banques sont tenues de garantir un taux de base de 0,01 % et une prime de fidélité de 0,1 %, ce qui est plus que ce que le taux actuel sur les obligations d’Etat à court terme devrait les autoriser à promettre, ajoute notre interlocuteur. Elles ne remonteront la rémunération des comptes d’épargne que lorsque le taux “théorique” aura repassé la barre des 0,11 %.”

Les banques ont donc dû renoncer au fil des ans à une part de leur marge bénéficiaire sur les comptes d’épargne, marge à laquelle elles comptent bien laisser le temps de reprendre vie avant de revoir la rétribution accordée à l’épargnant. Ce qui pourrait prendre un certain temps.

Plusieurs petites banques, dont Evi, Moneyou, Banca Monte Paschi Belgio, MeDirect et Triodos, ont annoncé le mois dernier une révision à la baisse des taux accordés sur les comptes épargne. A cela s’ajoute la décision, prise par une série d’autres organismes (Axa, ING, bpost Bank, Keytrade Bank, etc.), d’augmenter le coût de certains des services qu’ils facturent au client. L’épargnant est perdant dans tous les cas.

Comptes à terme

Une remontée des taux sera plus rapidement perceptible sur un compte à terme (en fonction de la durée de celui-ci) que sur un compte d’épargne. L’argent parqué sur le compte à terme l’est en principe pour une durée fixée au préalable, alors que les fonds détenus sur le compte d’épargne sont immédiatement disponibles. La banque peut donc investir pour toute la durée l’argent déposé sur le compte à terme.

“Les taux courts ne se redresseront pas de sitôt, car la BCE n’a pas l’intention de revenir dans l’immédiat sur le taux de dépôt qu’elle facture aux banques (-0,4 %). Il se peut très bien que les taux d’intérêt sur les comptes à terme assortis de durées plus longues remontent un peu plus rapidement que sur les comptes d’épargne”, pronostique Geert Gielens.

Assurances-vie assorties d’un taux d’intérêt garanti

Rabobank.be a récemment annoncé qu’elle renonçait à vendre des assurances-vie branche 21. “Les marges sur ces produits se sont contractées, commente Geert Gielens. Les assurances de la branche 21 connaissent le même phénomène que les comptes d’épargne : tout porte à croire que les assureurs attendront que leurs marges remontent avant de faire profiter la clientèle de l’évolution des taux. Aussi longtemps que la BCE maintiendra sa politique monétaire accommodante, les taux sur les assurances épargne n’augmenteront pas, voire diminueront.”

Plusieurs assureurs, dont le leader du marché AG Insurance, ont revu à la baisse leurs taux garantis ces dernières semaines. “N’oublions pas que les assureurs investissent les fonds versés dans les assurances épargne dans des titres de créance, comme des obligations d’Etat d’une durée de huit ans au moins, rappelle Geert Gielens. Les anciennes obligations, assorties d’un coupon élevé, qui arrivent à échéance maintenant, doivent être remplacées par d’autres, moins rémunératrices. C’est la raison pour laquelle les relèvements de taux se manifesteront moins rapidement que sur les comptes d’épargne.” Ici également, tout cela risque de prendre un certain temps.

Aux assurances épargne n’est lié aucun taux minimum légal. Geert Gielens ne s’attend toutefois pas à ce que les assureurs fassent passer le taux garanti en territoire négatif : ce serait un suicide commercial.

Crédits-logement

” Les hausses récentes ne se font pas encore réellement sentir sur le marché hypothécaire”, admet John Romain, du bureau de conseil Immotheker. John Romain a cherché pour nous le meilleur tarif proposé il y a un mois sur le marché belge pour un crédit-logement d’une durée de 20 ans. Alors que la semaine passée, le tarif le plus avantageux s’établissait à 1,95 %, il pointait à 2,01 % encore le mois dernier. Les taux hypothécaires se sont donc légèrement contractés en octobre, alors même que le taux sur les obligations d’Etat à 20 ans passait de 0,6 à près de 0,9 %. Les crédits hypothécaires assortis d’un taux fixe à 10 ans ne ressentent pas encore non plus la remontée des taux des obligations d’Etat. John Romain signale une légère diminution du meilleur taux fixe à 10 ans le mois dernier.

“Je ne vois qu’une explication à cela, commente-t-il : les banques sont toujours assises sur des montagnes de liquidités, qu’elles préfèrent ne pas confier à la BCE, parce que cela leur coûterait 0,4 % par mois. Elles doivent donc les utiliser pour consentir des crédits. L’on recense sur les comptes d’épargne 262 milliards d’euros, dont elles ne savent que faire. La concurrence sur le marché hypothécaire est donc toujours rude.” Reste que si les taux des obligations d’Etat continuent d’augmenter, les taux hypothécaires finiront bien par suivre.

Les propriétaires qui ont emprunté à taux variable ne voient, eux non plus, rien venir. Pour les contrats assortis d’un taux variable annuellement, le taux court constitue la référence. Or jusqu’à présent, le redressement concerne plutôt les taux longs. La rémunération des obligations d’Etat belges à court terme est toujours négative. Pour John Romain, les milliers de clients qui obtiennent actuellement des intérêts sur leur emprunt à taux variable, de même que ceux qui paient 0 % d’intérêt, n’ont pour l’heure pas grand-chose à craindre : “Ces contrats ont été conclus moyennant une marge bénéficiaire ridicule et les taux de référence ne sont toujours pas sortis du rouge”, rappelle-t-il.

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