Xavier Piesvaux (CEO Delhaize) : “Franchiser l’ensemble de nos magasins est la meilleure décision que nous ayons prise”

Xavier Piesvaux, CEO de Delhaize Belgique Photo : Hatim Kaghat

Rencontre avec le CEO de Delhaize, Xavier Piesvaux, un an après l’annonce de son plan de franchise.

Nous sommes le 7 mars 2023 et une onde de choc se propage dans l’ensemble du secteur de la grande distribution : Xavier Piesvaux, CEO de Delhaize annonce la franchisation de ses 128 magasins belges. Aujourd’hui, il reste à peine 10 magasins à convertir et l’ensemble du parc commercial sera franchisé d’ici le mois de novembre. Pour le CEO, il s’agit de “la meilleure décision jamais prise.”

Trends Tendances : Il aura fallu un an et demi pour que vous vous décidiez à vous exprimer en public, pourquoi avoir attendu tout ce temps ?

Xavier Piesvaux : Effectivement, on a créé une émotion très forte lors de l’annonce. Une confusion peut-être aussi, qui est liée à la surprise qu’a créée cette annonce. Ce n’est pas parce que je ne me suis pas exprimé en public que je n’ai pas été présent en interne. Nous étions conscients que la décision de franchiser nos magasins allait polariser. De ce point de vue, ma présence dans les médias n’était pas nécessaire.

“Grâce à notre plan, nous avons récupéré l’ensemble de nos clients et convaincu de nouveaux”

Xaxier Piesvaux, CEO de Delhaize Belgique.

TT : Aujourd’hui, 118 magasins ont déjà été convertis et d’ici le mois de novembre tout le parc commercial sera franchisé. J’imagine que vous êtes satisfait ?

XP : Tout d’abord, j’aimerais insister sur le fait que la décision a été bien réfléchie. C’était la seule solution pour le futur au vu de l’évolution de nos magasins sur le long terme. En tant que comité de direction, c’est notre responsabilité d’assurer le futur de Delhaize. Si je suis satisfait de voir que la conversion s’est bien déroulée ? Oui évidemment. Nous avons aujourd’hui, à travers notre transition vers l’affiliation totale, toutes les conditions pour assurer un futur plus solide, plus pérenne pour l’ensemble de nos magasins.

TT : Tous les emplois n’ont cependant pas pu être garantis. Vous parliez des magasins, mais qu’en est-il des licenciements annoncés au siège social ?

XP : En ce qui concerne les employés des magasins, l’ensemble des conditions ont été respectées pour les employés, cela signifie une garantie de salaire et des conditions de travail. Les nouveaux repreneurs sont d’ailleurs très contents de nos collaborateurs. Un des effets collatéraux de notre décision est qu’effectivement, des fonctions au niveau de notre siège social ont été impactées. C’est assez difficile puisque nous n’avions rien à leur reprocher, mais nous n’avons plus besoin du support qui existait auparavant pour les magasins intégrés.

TT : Combien de personnes ont été impactées par ce plan ?

XP : Cela concernait 280 personnes, mais nous avons créés 70 nouvelles fonctions, donc au total 210 personnes. Nous avons trouvé des solutions en interne pour la moitié de nos collaborateurs.

TT : Vous avez évoqué des conditions respectées dans les magasins… les syndicats n’auront sans doute pas la même lecture que vous. Qu’avez-vous à leur répondre ?

XP : L’incertitude liée à notre annonce était tout à fait compréhensible. Cela a créé une émotion forte et en ce sens nous avons accepté que des magasins soient fermés que ce soit par des grèves ou autres. Ensuite, garantir les conditions de travail est une obligation et nos affiliés le savent très bien. En aucun cas aujourd’hui, Delhaize ne reviendra sur les conditions de travail de ses travailleurs. Nous avons beaucoup discuté avec nos partenaires sociaux, on respecte leur position, mais certaines n’étaient pas tenables.

TT : Lesquelles ?

XP : Premièrement, ils souhaitaient retirer le plan d’affiliation. Je pense pouvoir dire aujourd’hui, au vu des résultats, que ça n’aurait pas été la bonne chose à faire. Deuxièmement, ils souhaitaient mettre en place un plan de départ volontaire, ce qui était également impossible puisque nous avions besoin des collaborateurs pour assurer l’objectif de la croissance de ventes des magasins. C’était donc impossible d’accéder à leurs demandes.

“Aujourd’hui, nos magasins affiliés, c’est une croissance à deux chiffres”

TT : Est-ce que vous atteigniez aujourd’hui cet objectif de croissance ?

XP : Oui, la marque Delhaize se porte bien et n’a pas été impactée par la disruption que l’on a pu connaitre lors de l’annonce de notre plan. Si l’on regarde de plus près les informations de notre carte de fidélité, tous les clients qui nous ont quittés pour la concurrence sont de retour et même au-delà puisque nos performances sont positives en termes de part de marché.

TT : Quelle est la part de marché capturée par Delhaize ?

XP : La part de marché est supérieure à l’année 2022, ce qui nous fait dire que les effets du plan d’avenir dans toutes ses dimensions nous permettent non seulement de garder nos clients, mais de recruter de nouveaux clients.

TT : Comment se portent les magasins affiliés Delhaize aujourd’hui ?

XP : Les magasins convertis, c’est-à-dire, les magasins intégrés qui sont devenus affiliés, connaissent un boost de chiffres d’affaires. Sur un an, on parle d’une progression à deux chiffres, par rapport à la performance avant le plan, ils sont donc en train de capturer le retard qu’ils avaient probablement pris en étant intégrés. Les chiffres d’affaires réalisés par ces magasins sont généralement les chiffres d’affaires qui étaient estimés dans l’année deux ou trois qui avait été établie dans le business plan.

“Si le client cherche toujours plus de service, la franchise sera la formule gagnante”

Xavier Piesvaux, CEO de Delhaize Belgique

TT : Certains affiliés se sont inquiétés du changement de contrat, quelles sont les modifications qui y ont été apportées ?

XP : Ce sont des éléments qui clarifient les règles du jeu entre nous. Notre contrat précédent n’était pas si transparent que ça. Avec ce nouveau contrat, l’objectif est de préserver la liberté d’opérer de nos affiliés, mais on leur demande d’avoir des règles du jeu internes qui servent la marque.

TT : Ça signifie une obligation d’acheter une certaine part en centrale d’achat ?

XP : Un affilié doit avoir 95% des produits mis à disposition par Delhaize, mais il peut ajouter tout ce qu’il veut dans son magasin, comme des produits locaux. Il s’agit donc d’ajouter des produits à l’assortiment de bases. Vous parlez de réactions, mais c’est plutôt de l’incompréhension.

TT : Vous avez octroyés des aides financières et diverses pour les magasins repris par les affiliés, pourriez-vous détailler ces aides et envisagez-vous des les prolonger pour certains magasins ?

XP : Nous avons des modèles de fonctionnement pour les aider dans le cas où ils auraient des problèmes ou dans le cas où ils voudraient investir dans leur magasin. Ça existait déjà avant.

TT : Pas de loyer réduit ?

XP : Ponctuellement, ici ou là, oui, par exemple si les conditions d’opération se font au détriment du magasin, on fait un effort. Mais ce n’est pas le fond du problème. Notre support principal, il vient au niveau commercial.

“Les modèles intégrés ou affiliés progressent en part de marché, donc on ne peut pas dire qu’il y ait un modèle ou une commission paritaire qui soit plus avantageux”

TT : En franchisant vos magasins, vous profitez d’une commission paritaire plus favorable, ce qui vous a été reproché par des concurrents…

XP : Nous ne comprenons pas cette réaction. Il existe en Belgique différentes commissions paritaires, car elles correspondent à différents modèles de fonctionnement. Ces dernières années, les deux modèles intégrés ou affiliés progressent en part de marché, donc on ne peut pas dire qu’il y ait un modèle ou une commission paritaire qui soit plus avantageux qu’un autre ou donnerait un avantage compétitif. Pour nous, le modèle de fonctionnement affilié correspond davantage à Delhaize peut-être que ce n’est pas le cas pour d’autres chaines, on le respecte, mais on ne le critique pas.

TT : Qu’en est-il des repreneurs qui possèdent plusieurs magasins et qui bénéficient de cette commission paritaire ?

XP : Vous savez, quand vous possédez cinq magasins, ce sont cinq magasins différents. Il ne s’agit pas d’un groupe, mais bien de magasins qui s’adaptent au milieu local et dont le gérant, même s’il est à la tête de plusieurs magasins, entreprends différemment. Ce n’est donc pas une gestion centralisée. Il est donc logique qu’il soit sur une commission paritaire adaptée à son modèle, soit le modèle affilié.

TT : Posséder des magasins intégrés permet de tester des innovations, pourquoi ne pas avoir gardé l’un ou l’autre magasins laboratoire ?

XP : C’est exactement la logique que nous avions précédemment, mais la réalité est différente aujourd’hui. Pour être honnête, les affiliés sont bien souvent plus innovateurs et plus pertinents vis-à-vis des clients que nous avons pu l’être. Quand vous avez une bonne idée dans un réseau intégré, ce n’est pas toujours facile de l’expliquer aux magasins affiliés parce qu’ils ont d’autres problématiques à gérer. Par contre, quand un magasin affilié a une bonne idée, elle se propage très vite dans l’ensemble du réseau.

TT : Avec ce nouveau plan, les magasins Delhaize sont aujourd’hui ouverts le dimanche. Est-ce que cela concerne l’ensemble des magasins ?

XP : Aujourd’hui, 80 % de nos magasins qui ont fait la conversion sont déjà ouverts le dimanche. On estime pouvoir atteindre les 90 %. Pourquoi pas 100 %? Parce qu’il y a certains magasins pour lesquels l’ouverture du dimanche n’est pas possible, notamment ceux qui sont situés dans un centre commercial.

TT : Est-ce que l’ouverture du dimanche a permis d’augmenter le trafic dans vos magasins ou est-ce que la fréquentation est lissée sur la semaine ?

XP : L’ouverture du dimanche crée une valeur qui est d’autant plus pertinente que Delhaize propose des produits frais. L’ouverture du dimanche entraîne un flux supplémentaire de nouveaux clients.

TT : Vous avez des chiffres ?

XP : Oui, mais nous n’allons pas les partager, car c’est assez récent, mais la tendance est là.

TT : Pensez-vous que le marché de la distribution se dirige vers un modèle franchisé comme Delhaize ?

XP : Je pense que l’affiliation correspond à un besoin. Le besoin d’affiliation est le bon outil et la bonne formule lorsque vous développez du service comme Delhaize le développe. C’est peut-être moins pertinent si vous développez l’efficacité et le prix. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il y a un modèle qui l’emporte sur l’autre. Par contre, si les clients cherchent davantage de services dans le futur, l’affiliation sera probablement la formule gagnante.

La version complète de l’interview est à retrouver dans le Trends Tendances du 19 septembre.

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