À partir de 2026, et conformément à la directive européenne, les entreprises belges devront rendre leur politique salariale plus transparente. L’objectif est clair : réduire l’écart salarial entre les femmes et les hommes. Mais sur le terrain, les employeurs se montrent prudents, parfois sceptiques, face à ce changement. Pourquoi cette réticence?
En mai 2023, afin de réduire les différences salariales entre les hommes et les femmes, l’Union européenne a adopté une directive concernant l’équité salariale et la transparence des rémunérations. Depuis lors, on parle beaucoup de transparence salariale, mais contrairement au Yéti que l’on ne voit jamais, la directive européenne qui exige que les États membres transposent ces dispositions en droit national, entre en vigueur le 7 juin 2026.
Et si on en parle si souvent, c’est que l’écart salarial entre les hommes et les femmes est un phénomène qui perdure. En Europe, les hommes gagnent en moyenne 13 % de plus que leurs homologues féminines. « La Belgique figure parmi les meilleurs élèves, avec un écart salarial de 5 %. Ce qui est bien inférieur à la moyenne européenne de 13 %. Mais la discrimination salariale n’a pas sa place sur le marché du travail de demain », déclare Yves Stox, Managing Consultant chez Partena Professional.
La mise en œuvre de la directive sur la transparence des salaires constitue une première étape vers l’égalité salariale, mais il reste encore du chemin à parcourir durant ces prochains mois, tant pour les employés que pour les employeurs. Surtout pour les employeurs…
Pas perçu comme efficace
À l’approche de l’échéance, une étude menée par Partena Professional et le professeur Stijn Baert auprès de 250 employeurs et 1 000 travailleurs belges révèle un constat saisissant : la moitié des employeurs (51 %) ne pensent pas que cette législation fera réellement la différence. Autrement dit, une courte majorité doute de l’impact réel de la mesure.
Car même si la directive vise à mieux outiller les travailleurs pour qu’ils puissent parler ouvertement de leur salaire, cela reste un sujet tabou, tant pour les employeurs que pour les travailleurs.
Seule une petite majorité (58 %) d’employeurs trouve acceptable que les travailleurs connaissent les salaires de leurs collègues. De plus, près de la moitié des travailleurs belges (46 %) déclarent que même avec la nouvelle législation, ils n’oseraient pas s’informer sur les salaires moyens dans leur entreprise.
« La réticence à s’informer sur les salaires de ses collègues est plus fréquente en Belgique francophone qu’en Flandre. Parmi les Belges francophones, nous constatons également qu’une personne sur cinq (20 %) ne sait pas combien gagne son partenaire », précise le professeur Stijn Baert, qui a supervisé l’étude. « Les travailleurs plus âgés ont également plus de mal à le faire. La réticence à parler de son salaire semble donc profondément ancrée dans notre culture. »
Des différences
Moins de la moitié des employeurs (46 %) pensent que la transparence salariale contribuera effectivement à réduire l’écart entre les sexes. À l’inverse, 51 % estiment qu’elle n’aura aucune influence.
Mais cette perception varie selon les régions linguistiques. Les employeurs néerlandophones se montrent plus confiants : 55 % s’attendent à une diminution de l’écart salarial. Du côté francophone, ce sentiment est minoritaire (37 %) et laisse place au scepticisme. La majorité des employeurs francophones interrogés estime que la transparence salariale n’aura aucune influence (59 %), alors qu’ils sont 43 % à le penser en Flandre.
La taille de l’entreprise influence également la perception de la mesure. Dans les entreprises de plus de 250 travailleurs, 64 % des employeurs pensent que l’écart salarial va diminuer. À l’inverse, dans les PME de 51 à 250 salariés, seuls 28 % partagent cet avis.
La FEB soutient le principe d’égalité, mais…
Et il n’y a pas que les patrons qui soient sceptiques, la Fédération des Entreprises de Belgique freine des quatre fers quant à l’application de cette directive. « Qu’on soit clair : la FEB soutient le principe d’égalité. On veut transposer la directive fidèlement », assurait Annick Hellebuyck, première conseillère de la FEB, dans les pages du Soir. « Le problème, c’est que la directive n’est pas claire et que les mesures sont disproportionnées. »
Mais où se situe le problème ? D’après les données tirées de l’étude de Partena Professional, le scepticisme des employeurs est bien réel. Pour les employeurs, la transposition de cette directive n’apporterait qu’une amélioration mineure. Le Soir souligne que son impact resterait marginal et ne contrebalancerait pas les contraintes et les risques que son application ferait peser sur les entreprises.
… craint les litiges
Parmi ces risques, on peut citer une multiplication des litiges, ainsi que de fortes incertitudes sur la mise en œuvre de certaines décisions, sans oublier des surcharges administratives et financières.
« Un exemple : toutes les entreprises seront tenues de répondre aux demandes individuelles pour obtenir le salaire moyen pour un poste, par sexe. Mais quand il y a très peu de travailleurs, cela revient à donner la rémunération des personnes individuelles », confie, au quotidien, Elisabet Lenaert, conseillère adjointe à la FEB.
Et c’est là que le bât blesse… car cette transparence salariale pose alors un réel problème de confidentialité, et va en quelque sorte à l’encontre de la protection des données salariales personnelles. C’est pour cela que l’organisation patronale souhaite que « les sociétés de moins de 50 employés soient exemptées de leur devoir de transparence ».
Combien gagne mon collègue ?
Mais à la question « Les travailleurs pourront demander à connaître le salaire de leurs collègues », la réponse de la FEB est bien claire : c’est « FAUX ! »
En effet, précise l’organisation sur son site, « les travailleurs auront uniquement le droit de demander et de recevoir par écrit des informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail qu’eux ou un travail de même valeur que le leur. »
Autrement dit, il ne sera pas possible de demander par pure curiosité le salaire de votre collègue qui travaille à la comptabilité.
Une transformation culturelle
Pour les experts, cette frilosité ne signifie pas un rejet du principe d’égalité, mais plutôt la crainte d’une solution perçue comme incomplète. Yves Stox, Managing Consultant chez Partena Professional, résume cette nuance : « La transparence est importante pour lutter contre les inégalités. Mais elle n’est pas une recette miracle. Si l’on ne prête pas attention à la manière dont le travail est organisé, aux formes de leadership qui sont valorisés et aux stéréotypes qui persistent dans nos organisations, la transparence salariale risque de se limiter à un simple symbole. »
À l’horizon 2026, les entreprises belges devront non seulement adapter leurs systèmes de rémunération, mais aussi gérer les conséquences de cette transparence imposée. « La transparence salariale peut, à terme, conduire à un plafonnement des salaires ou à une réduction des avantages », prévient Stox. « L’écart se réduit alors, mais le salaire moyen aussi. Le risque est de confondre égalité et nivellement. »
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