Virés à 50 ans, ils lancent leur boîte: “Changer de vie perturbe la zone de confort de l’entourage”
Lancer sa boîte à 50 ans, c’est changer de vie. Une telle chose ne se fait pas en un claquement de doigts. L’analyse de Philippe Gabilliet, qui vient de publier “L’art de changer de vie en 5 leçons”.
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Pour entreprendre, il faut certainement de l’optimisme, de la chance et de l’audace. Trois termes dont Philippe Gabilliet, professeur de psychologie et de développement personnel à ESCP Europe (Paris), a dressé ” l’éloge ” dans trois ouvrages successifs.
TRENDS-TENDANCES. L’une de vos leçons pour changer de vie est de le faire “pour de bonnes raisons”. Un licenciement peut-il malgré tout être une bonne occasion de tenter de faire ” ce dont on rêvait depuis longtemps ” ?
PHILIPPE GABILLIET. Qu’est-ce qu’une bonne décision ? Cela peut être une décision que nous prenons et que nous ferons tout pour rendre bonne. Mais cela peut aussi être une décision qui s’impose à nous, par exemple un licenciement, que nous nous réapproprions pour qu’elle devienne une bonne décision.
Il y a des carrefours de vie, ces moments de rencontre entre un désir, des ressources – au sens de savoir-faire – et des circonstances, même si elles sont défavorables. Nous posons alors le pas que nous n’aurions jamais osé poser à d’autres moments. Des circonstances défavorables vont peut-être générer de la tristesse ou de la colère. Mais si nous parvenons à dépasser ces émotions, nous pouvons y puiser l’énergie qui nous permettra de changer la donne. Je cite souvent cette phrase de l’écrivain britannique Aldous Huxley : ” L’expérience, ce n’est pas ce qui nous arrive, mais ce que nous faisons avec ce qui nous arrive “.
Change-t-on de vie ou, plutôt change-t-on quelque chose – en l’occurrence le mode de travail – dans sa vie ?
Nous pouvons vivre des changements de lieux (un déménagement), des changements d’activité professionnelle, des changements de liens (je ne vais plus avoir les mêmes contacts avec les mêmes personnes) et des changements de rythme. Un ou deux changements, ce n’est pas bien grave. Mais quand on les additionne, là, on rentre dans quelque chose de neuf. Un peu comme si notre personne était reconfigurée. A ce moment-là, par exemple, notre opinion sur de nombreux sujets peut évoluer.
Développer des hobbies très éloignés de la sphère professionnelle (le cadre d’entreprise qui fait de la peinture abstraite ou ce genre de choses), n’est-ce pas une manière soft de gérer son envie de changer de vie ?
Le hobby peut être pris au sens premier de divertissement. Une activité artistique ou autre qui agit comme une soupape de sécurité et qui m’évitera de penser aux aspects désagréables de mon boulot. Mais chez certaines personnes, le hobby va au-delà. Il devient une sorte de sas de décompression avant de franchir le pas. Les slashers (personnes qui cumulent plusieurs jobs, Ndlr) , c’est cela. La motivation première est généralement économique mais au fil du temps une activité principale peut perdre de son intérêt, voire de sa valeur économique, et devenir accessoire par rapport à d’autres.
Beaucoup de gens parlent de “changer de vie”. Relativement peu le font réellement. Pourquoi ?
Effectivement, si quelque 2 millions de Français disent vouloir changer de vie, à peine un tiers d’entre eux franchiront le pas. Les raisons invoquées sont les besoins financiers, les obligations familiales, la peur de l’échec et l’absence de soutien de l’entourage. Attardons-nous sur ce dernier élément : la confrontation sociale a tendance à modérer nos passions. Les amis diront ” Ne change pas de boulot “, ” Ne divorce pas ” etc. Ce sont des gens qui nous aiment et qui veulent nous protéger. Ils se protègent eux-mêmes aussi car quand une personne change de vie, cela perturbe la zone de confort de tout son écosystème, de toutes les personnes qui gravitent autour d’elle.
Cela étant, qu’on ne se trompe pas sur mon propos : il n’y a aucun impératif à changer de vie. On peut parfaitement vivre sa vie et s’éclater sans jamais chercher à en changer. Et de toute façon, on ne peut pas tout changer dans une vie. Mais le peu que nous parviendrons à changer, c’est cela qui fera la différence.
“Une vie n’a pas besoin de réussir ou d’échouer ; elle peut se contenter d’être intéressante, intense ou tout simplement agréable, et ce d’autant plus que le plaisir est partagé avec d’autres”, écrivez-vous. Le changement n’est donc pas indispensable pour une vie intéressante, intense et agréable ?
Non. Se donner comme projet d’accumuler des moments de bonheur et, si possible, en tentant de leur donner un sens par un engagement social ou autre, ce n’est déjà pas mal. Le bonheur est par définition instable, transitoire. Il ne faut pas courir constamment derrière lui.
Le changement dépendra d’un déclic, d’un coup de foudre, de circonstances inattendues, qu’elles soient favorables ou défavorables. N’oublions pas non plus que le changement de vie implique nécessairement un apprentissage : une nouvelle langue, un nouveau métier, de nouvelles relations. Il faut avoir conscience de cette obligation d’apprendre. L’homme ou la femme qui rebondit face à la fatalité pose un acte de libre arbitre, un acte profondément humain par lequel il retrouve la liberté. Mais, la liberté, ça a presque toujours un prix. Il faut garder cela à l’esprit.
Les entreprises sont-elles suffisamment soucieuses de ces envies humaines de “changement de vie” ? Proposent-elles assez de possibilités de bifurcation à leurs employés ?
Il ne faut pas tout demander aux entreprises. Leur souci est d’optimiser les ressources humaines et les talents dont elles disposent. Mais qu’on ne leur demande pas de se préoccuper des changements de vie de leurs employés. Cela me fait penser à ces théories sur le bonheur au travail. Ce n’est pas la mission d’une entreprise. Elle doit veiller au bien-être, évidemment, mais pas au bonheur !
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