Une première en Belgique: un espace de coworking pour les femmes
Un espace de coworking réservé à la gent féminine ouvre à Bruxelles. Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, le concept a déjà pris son essor. Coworker entre femmes, outil d’émancipation ou risque de ghettoïsation déguisée sous de bonnes intentions ?
“Les coworkings génériques sont là et ils ont des moyens astronomiques. Mais ils passent peut-être à côté d’un petit truc supplémentaire : proposer un outil pour les femmes entrepreneuses “, explique Christophe de Broqueville, fondateur de Womanly, le premier espace de coworking réservé aux femmes en Belgique. Même dans un marché saturé où, selon une étude de Deskmag, seulement 43 % des espaces de coworking dégagent des bénéfices, Christophe de Broqueville est persuadé qu’il reste des parts à prendre. ” Le coworking de niche va se développer “, proclame-t-il.
Son associée Marie Buron se décrit comme ” fraîchement entrepreneuse ” après 16 ans de salariat. Sa motivation, c’est de faciliter la vie de femmes qui, comme elle, portent de nombreuses casquettes : entrepreneuse, mère, épouse, femme… ” Certains jours, on a des ailes, on va révolutionner le monde, témoigne-t-elle. Le lendemain, on est pleine de doutes. C’est dur d’avoir le courage d’être seule tous les jours et de décrocher le téléphone pour se créer des opportunités. ”
Présomption d’incompétence
Si créer son business pose des défis à tout le monde, les entrepreneuses font face à des difficultés spécifiques. Les femmes ne représentent environ qu’un tiers des indépendants. Leurs projets sont plus petits et moins bien financés. Les indépendantes à titre principal gagnent 31% de moins que leurs collègues masculins. ” Globalement, les femmes entreprennent dans des secteurs peu valorisés : service aux personnes ou mode, mais très peu dans la technologie “, explique Isabella Lenarduzzi, fondatrice de Jump, une organisation qui milite pour l’égalité des femmes et des hommes au travail. ” Les femmes portent une espèce de présomption d’incompétence, dénonce-t-elle. Quand nous demandons un crédit, nous avons moins de réponses positives et nous recevons des montants inférieurs. Les femmes créent leur propre emploi, mais très peu celui des autres. Elles sont plus indépendantes que cheffes d’entreprises. ”
Des femmes qui montent leur boîte, c’est très récent. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu’une femme mariée puisse ouvrir son propre compte en banque.” Isabella Lenarduzzi (Jump)
Elles sont donc aussi plus susceptibles d’être isolées. Un problème auquel Marie Buron et Christophe de Broqueville veulent répondre. Cela passera, par exemple, par des formations axées sur les soft skills ou des conférences. ” Nous voulons commencer par une formation sur la confiance en soi. Essayez de répondre à la question, pourquoi suis-je remarquable ? La plupart des hommes y arrivent rapidement. Pour les femmes, c’est plus difficile “, explique Marie Buron. ” Si on crée un espace d’encouragement, pour échanger des stratégies et se renforcer dans le but d’agir, alors la non-mixité sert de marchepied. Dans une société où les inégalités persistent, cela prend son sens “, explique Soizic Dubot, coordinatrice de projet au mouvement féministe Vie féminine. Elle souligne aussi qu’un lieu pensé pour les femmes devrait prendre en compte l’écart salarial et être accessible financièrement. Si les tarifs de Womanly sont moindres que ceux pratiqués par un géant du secteur tel que Silversquare, ils s’avèrent toutefois identiques à ceux de Bizzy Nest, espace mixte installé dans le même bâtiment…
“Mixte, c’est masculin”
C’est pour se sentir plus à l’aise au travail qu’Aurélie Cardon, coach indépendante, a décidé de coworker au féminin. ” Avec des femmes, je me sens plus moi-même, moins prudente, plus vraie. Avec les hommes, il y a une dimension de paraître, de séduction. Cela prenait beaucoup de place dans d’autres espaces de coworking où j’ai travaillé “, témoigne-t-elle. ” Mixte, c’est en fait majoritairement masculin, puisque les hommes sont plus nombreux à entreprendre, analyse Isabella Lenarduzzi. Les codes masculins reviennent. ” La non-mixité crée un espace de sécurité. ” Cela demande moins d’énergie d’être vraiment soi, plutôt que dans un espace où on ne se sent pas égale aux autres, où il faut faire des efforts. Même si on n’en a pas conscience, s’adapter prend de l’énergie “, conclut-elle.
Contrairement à d’autres espaces de coworking féminins à l’étranger, Womanly se défend de toute revendication féministe. Christophe de Broqueville veut accompagner les femmes dans leurs propres défis d’entrepreneuses, pas défendre leur cause collective. Il ne souhaite pas non plus cibler des femmes d’origine immigrée pour qui la mixité poserait problème. ” C’est un cocon préservé où on ne doit pas parader, mais il n’y aura pas un sorteur pour recaler les hommes à la porte, précise-t-il. Ils ne peuvent pas prendre d’abonnement, mais si vous avez des fournisseurs masculins, ils peuvent aller dans les salles de réunion. ” Pour le fondateur et la fondatrice, cette ouverture est essentielle pour que les membres du coworking puissent développer leur carrière.
Isabella Lenarduzzi invite quant à elle à utiliser ce type d’espaces non mixtes pour faire prendre conscience que les femmes sont encore des outsiders. ” Cela fait des millénaires que notre place est au foyer, explique-t-elle. Des femmes qui montent leur boîte, c’est très récent. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu’une femme mariée puisse ouvrir son propre compte en banque. On ne change pas de mentalité en deux générations. Prendre conscience de ces pièges permet de les déjouer, au moment de demander un crédit par exemple. ”
“Beauty room”
Marie Buron et Christophe de Broqueville développeront des services pour simplifier le quotidien de leurs abonnées, services qu’ils veulent pensés pour leurs besoins spécifiques d’entrepreneuses et qui devraient s’adapter en fonction des membres. Des comptables, notaires, avocates ou avocats en droit commercial, gestionnaires bancaires… seront invitées – ou invités – à tenir des permanences. De quoi créer un premier contact avec des métiers indispensables pour les indépendants. Libre aux membres de recourir ou non à ces prestataires de services par la suite. L’objectif : centraliser au maximum pour alléger la charge mentale des femmes et leur permettre d’investir leur énergie dans leur projet professionnel. Même principe pour le coiffeur, qui viendrait une fois par semaine. ” Nous y allons de toute façon. Autant ne pas perdre de temps à se déplacer “, exprime Marie Buron. ” Si c’est pour donner un espace de bien-être pour relâcher la pression, c’est intéressant. Mais cela pourrait aussi se retrouver dans des espaces mixtes. Si c’est pour ajouter une pression sur les femmes ou renforcer des stéréotypes, cela l’est nettement moins “, nuance Soizic Dubot, de Vie féminine.
Si Womanly ne prélève pas de commission, ses services peuvent devenir une source de revenus. Christophe de Broqueville et Marie Buron envisagent d’établir des partenariats avec des sponsors. Avant de partir à un rendez-vous, les membres de Womanly pourraient se refaire un beauté expresse dans la beauty room du coworking, où une marque exposerait ses nouveaux produits de maquillage.
Par contre, Womanly ne propose pas de service d’accueil d’enfant. ” Nous n’y avons pas encore travaillé. L’espace que nous ouvrons est une capsule test, explique Marie Buron. 350 m2, c’est trop petit pour intégrer une garderie. ” Les fondateurs souhaitent intégrer ce service dans une seconde version, un Womanly 2, si le marché prend. ” Si nous avons 60% de taux de remplissage au 1er juin, nous ouvrirons très rapidement 1.500 m2 ailleurs, promet Christophe de Broqueville. A Bruxelles d’abord, et puis pourquoi pas en Wallonie et en Flandre. ”
Womanly, 24, boulevard du Souverain, 1140 Watermael-Boitsfort.
Par Sandrine Puissant.
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