Daan Killemaes
‘Un relèvement du taux d’intérêt va causer des dégâts dans les entreprises’
Un relèvement du taux d’intérêt peut et va faire des dégâts dans les entreprises et sur les marchés financiers… Seulement personne ne sait quand. C’est ce qu’explique le rédacteur en chef du Trends néerlandophone Daan Killemaes.
Sont-elles paresseuses ou disciplinées ? Ont-elles peur ou sont-elles raisonnables ? Sont-elles durables ? Elles, ce sont les entreprises qui résistent au chant des sirènes des faibles taux d’intérêt. Ce sont des entreprises qui disent ‘non’ à la tentation de mettre un ratio d’endettement sur leur bénéfice. Ce sont des sociétés qui font la sourde oreille, depuis des années, au discours de la BCE à Francfort. Ces sociétés doivent assurément être fortes et confiantes. Le taux d’intérêt reste ridiculement faible, l’économie tourne bien et la pression des analystes et des investisseurs à mobiliser de l’argent quasi gratuitement est grande. La semaine dernière encore, Colruyt a reçu le reproche de s’asseoir sur un bilan sans dette et donc paresseux. Nous nous situons dans cette phase du cycle.
Solvay
Les sociétés les plus intelligentes le savent bien. Leur horizon n’est pas le trimestre suivant ou la prochaine hausse des taux, mais la prochaine génération ou le prochain cycle du produit. Elles concluent des accords non en fonction des aléas du marché, mais sur base de leur propre stratégie. Discipline et patience sont plus importantes que l’argent gratuit. Cette stratégie mérite tous les éloges.
Lorsque Jean-Pierre Clamadieu est devenu le CEO de Solvay en 2012, il a reçu une mission claire des actionnaires familiaux : “fais en sorte que nous transmettions un Solvay plus fort à la génération suivante”. Clamadieu a reçu le temps et le capital pour élaborer et mettre en place une stratégie, indépendamment du cours de bourse. La semaine dernière, Clamadieu a achevé cette mission avec la vente de la division polyamide à BASF.
Dans les grandes lignes, la société s’est séparée de la chimie de base, et s’est axée sur la chimie de produits spéciaux, comme la production de matériaux composites complexes pour l’iPhone ou le F35. Solvay a même reçu un prix élevé pour la reprise de la division polyamide. Pourtant, les marchés n’ont pas pu savourer l’accord. Le teneur était : cette division fonctionne bien et qu’est-ce que Solvay va mettre en place avec cet argent ? Se désendetter. C’est un investissement avec un faible rendement, alors que le solide bilan de Solvay permet de plus grandes aventures. Clamadieu ne se laisse pas démonter. La première partie de sa mission est achevée. La société a été préparée pour la génération suivante. Maintenant, Clamadieu peut entamer la deuxième partie : intégrer, rationaliser, éliminer les coûts superflus. C’est un processus moins spectaculaire mais probablement beaucoup plus rentable à terme qu’une acquisition onéreuse.
Un relèvement du taux d’intérêt fera des dégâts dans les entreprises
Les sociétés familiales comme Solvay sont les meilleures pour résister au chant des sirènes. Elles ont du temps et elles travaillent avec leur propre argent. C’est encore et encore un élément crucial dans l’histoire des entreprises, de veiller à la discipline. Si cela va mal, elles se retrouvent alors sans le sou. Dans ces circonstances, vous réfléchissez à deux fois avant de miser votre maison. Le taux d’endettement des PME belges a diminué cette décennie, bien que cela soit en partie à imputer aux intérêts notionnels.
Cette tendance peut s’inverser, maintenant que ce subside pour le capital propre est quasiment supprimé et que le taux d’intérêt reste faible. L’administration saine est parfois perfectible, et les sociétés familiales peuvent aussi se tromper stratégiquement, mais à plusieurs reprises déjà, il a été démontré qu’elles font systématiquement de meilleures performances. Un modèle hybride, avec un management professionnel, contrôlé par des actionnaires qui pensent à long terme, réunit le meilleur des deux mondes.
Le chant des sirènes
Tout le monde n’est pas sourd au chant des sirènes. Partout dans le monde, le taux d’endettement des sociétés augmente systématiquement. Surtout aux Etats-Unis. Le taux d’endettement des sociétés y est sensiblement plus élevé qu’avant la crise financière. Ce n’est pas un hasard si, aux Etats-Unis, règnent surtout les managers qui font des bénéfices plus élevés à court terme, alors qu’un actionnariat divisé et impuissant n’est pas capable de les garder sous contrôle. Ils font des dettes pour acheter leurs propres actions ou pour augmenter les dividendes et ils rendent ainsi la société plus vulnérable. Le long terme est mis à mal pour du bien-être à court terme.
Il n’y a pas que les sociétés, les financiers et les investisseurs sont aussi, depuis longtemps déjà, soumis au chant de la Lorelei, cette nymphe de la mythologie germanique. Les banques se livrent à nouveau à des crédits avec des accords souples. Sur les crédits toxiques, on ne gagne quasi plus de prime de risque. Les capital-risqueurs paient des valorisations toujours plus élevées pour les accords de reprises et acquisitions. Les analystes expliquent désormais les hausses des cours boursiers en faisant uniquement référence à la faiblesse artificielle du taux d’intérêt. La quête incessante de rendement a raréfié ce même rendement.
La probabilité qu’autant de témérité se solde par un échec est comme toujours relativement grande. Une hausse du taux d’intérêt peut et va faire des dégâts dans les entreprises et sur le marchés financiers, seulement personne ne sait quand. Une dose d’inflation pourrait conduire à une politique monétaire plus serrée, mais si Janet Yellen ne comprend plus pourquoi l’inflation reste aussi faible, qui le pourrait dès lors encore ? Bah, chez Solvay, ils ne s’en inquiètent pas. Armez-les seulement de discipline, de bon sens et de durabilité pour survivre à l’avenir.
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