Depuis moins d’un an, la Belgique impose aux boutiques en ligne de proposer au moins deux options de livraison sur son territoire. Objectif : rendre le commerce en ligne plus durable, tout en stimulant la concurrence.
Depuis le 21 septembre 2024, une nouvelle législation est entrée en vigueur : toutes les boutiques en ligne actives en Belgique doivent désormais offrir au minimum deux modes de livraison différents. Il n’est donc plus permis de proposer la seule livraison à domicile, souvent coûteuse et contraignante pour le consommateur, qui doit être présent au moment du passage du livreur.
Cette obligation vise d’abord à encourager des pratiques logistiques plus écologiques, notamment via des solutions telles que la livraison en consignes automatiques (lockers). Les mentalités évoluent : les consommateurs belges se montrent de plus en plus attentifs à l’empreinte environnementale de leurs commandes.
Selon Emmanuel Iezzi, Directeur commercial et réseau Belux chez Mondial Relay, « une majorité de ces consommateurs accorde la priorité à la durabilité (60 %) et beaucoup (35 %) sont prêts à attendre plus longtemps pour une livraison durable. De plus, 25 % des consommateurs ont cessé d’acheter auprès de détaillants qui ne proposent pas de solutions écoresponsables ».
Cette nouvelle législation permet ainsi aux consommateurs de faire des choix plus durables sans pour autant renoncer à la commodité ou à l’accessibilité.
Un levier pour la concurrence
En parallèle, cette évolution réglementaire vise à stimuler la concurrence entre les prestataires de livraison. Le marché belge du colis reste aujourd’hui largement dominé par bpost, qui détient entre 30 et 40 % des volumes et entre 20 et 30 % du chiffre d’affaires du secteur.
En diversifiant les options de livraison, la législation favorise l’entrée de nouveaux acteurs, ce qui pourrait se traduire par une baisse des frais d’expédition. Or, ces frais constituent l’une des principales causes d’abandon de panier en Belgique, comme dans le reste de l’Europe. Selon plusieurs études, entre 40 et 60 % des consommateurs interrompent leur commande à cause de frais de livraison jugés trop élevés. « Cette réglementation veut s’attaquer à ce problème en veillant à ce que les frais de transport ne dépassent pas 10 % de la valeur moyenne du panier, ce qui correspond aux attentes des consommateurs », précise Emmanuel Iezzi.
Cette réforme s’inscrit donc dans une double logique : répondre aux enjeux environnementaux croissants et mieux aligner l’offre de livraison sur les nouvelles attentes des clients. Explications.
Depuis le 21 septembre 2024, les boutiques en ligne belges doivent proposer au moins deux options de livraison. Cette loi est passée relativement discrètement ?
Oui, c’est vrai. La loi est passée de manière trop discrète à notre goût, alors qu’elle nous concerne directement, ainsi que nos clients. Nous avons donc joué un rôle de porte-parole, d’autant plus que cette loi nous est favorable : elle rééquilibre un marché dominé par les leaders de la livraison à domicile. La Belgique est même en avance sur ses voisins : ce type de législation n’existe ni en France ni dans d’autres pays européens. C’est un signal encourageant pour accélérer la transition vers des pratiques plus durables. Nous avons aussi interpellé des commerçants étrangers qui n’étaient pas du tout au courant de cette évolution, alors même qu’une large part du e-commerce en Belgique vient de l’extérieur.
Des mécanismes de contrôle ont-ils été mis en place pour garantir le respect de cette loi ?
Aucun de nos clients ne nous a signalé avoir été contrôlé. Il en revient d’ailleurs aux autorités compétentes d’instaurer de tels contrôles. Par exemple, l’organisme belge de régulation des télécoms IBPT (Institut belge des services postaux et des télécommunications, ndlr) fait un très bon travail en la matière. Il pose beaucoup de questions, publie des études, et devrait pouvoir contribuer à une meilleure application de la loi.
En quoi les consignes automatiques sont plus écologiques en termes d’impact environnemental par rapport à la livraison à domicile ? Avec ce choix ne risque-t-on pas au contraire de faire des trajets supplémentaires ?
C’est une question légitime. Mais la vraie différence d’impact se situe au départ de l’agence de distribution. Un camion qui livre uniquement des lockers transporte jusqu’à 700 colis, contre environ 100 pour une tournée de livraison à domicile. Cela signifie moins d’arrêts, moins de redémarrages, et une consommation énergétique bien moindre, même avec des véhicules électriques. Pour réduire au maximum les trajets du consommateur, nous plaçons nos consignes dans des « parcours de vie » : près des domiciles, des écoles, des commerces ou des lieux de passage. L’idée, c’est que la récupération du colis se fasse sans détour. Aujourd’hui, nous avons environ 1.200 points de contact en Belgique, et nous voulons continuer à y investir fortement.
La livraison via les consignes automatiques réduit l’empreinte carbone de 64 à 88 %, selon le taux de remplissage et le type de véhicule utilisé. Cette réduction s’explique par la mutualisation des dépôts et des collectes, souvent au même endroit. Contrairement à la livraison à domicile, qui ne permet que rarement de collecter un colis en même temps, nos véhicules ne roulent jamais à vide, ce qui est crucial. Les 88 % sont atteints si le consommateur se rend à la consigne automatique à pied ou en mobilité douce. D’où l’importance de les installer sur ses trajets quotidiens.
Les petites boutiques en ligne ou indépendants belges peuvent-ils faire face aux coûts logistiques induits par cette obligation de proposer deux options de livraison ?
Justement, la livraison hors domicile est non seulement plus écologique, mais aussi plus économique. Les consommateurs recherchent souvent l’option la moins chère, même s’ils sont sensibles à l’environnement. Grâce à nos volumes groupés, nous pouvons offrir des tarifs plus bas qu’une livraison à domicile. Pour les petits commerçants, cela représente un avantage. Toutefois, certains contrats de transport imposent des volumes minimums annuels. En introduisant un deuxième acteur, le commerçant risque de ne pas atteindre le seuil fixé et de se voir appliquer des pénalités. Pour l’instant, aucun transporteur ne semble activer ces clauses, car tous cherchent à maintenir leurs volumes. Mais cela pourrait devenir un frein à l’ouverture du marché.
Cette loi belge ne risque-t-elle pas de transférer les coûts supplémentaires vers les consommateurs ? Ou de favoriser les grands acteurs au détriment des plus petits ?
C’est vrai que les commerçants surveillent de près le pourcentage que représentent les frais de livraison pour un panier moyen — généralement entre 10 et 12 %. C’est pourquoi ils offrent souvent la livraison hors domicile, moins coûteuse, tout en réservant des seuils plus élevés pour la livraison à domicile. Par exemple, la livraison gratuite peut être offerte dès 35 € pour le hors domicile, mais seulement à partir de 59 € pour la livraison à domicile. Environ 40 % des paniers sont abandonnés à cause de frais de port jugés trop élevés. Quelqu’un doit pourtant les payer : c’est souvent le site marchand, qui préfère donc subventionner l’option la moins coûteuse. Depuis le début de l’année, on constate un regain d’opportunités sur le marché belge — preuve que cette loi peut créer une dynamique positive.
Dans quelle mesure les comportements des consommateurs belges en matière de livraison durable se traduisent-ils réellement dans leurs actes d’achat, au-delà des déclarations d’intention ?
On observe une forte volonté de consommer de manière durable, mais dans les faits, le prix reste le principal facteur décisif. Les consommateurs choisissent souvent ce qui est le moins cher et le plus pratique. Mon rôle est double : je fabrique et j’installe les consignes automatiques, puis je les alimente. Leur emplacement est crucial : bien situés, ils sont utilisés ; mal placés, ils ne le sont pas. C’est pourquoi nous avons développé des logiciels pour optimiser leur implantation. En multipliant intelligemment les installations, on réduit les distances de livraison et donc les coûts. Cela permet aussi de mieux rémunérer les sous-traitants, ce qui est essentiel pour garantir un bon niveau de service, tant en Belgique qu’en Europe.
Quels sont les effets de cette réglementation sur les transporteurs locaux alternatifs par rapport aux leaders établis du marché (bpost, PostNL, etc.) ?
Elle pousse à adopter des flottes plus propres. Dans nos appels d’offres, nous privilégions les véhicules à faibles émissions. Cependant, la technologie reste une limite : les véhicules électriques offrent une autonomie et une capacité de chargement moindres que les diesels. Par exemple, transporter 700 colis devient difficile avec un utilitaire électrique. Nous envisageons d’introduire les vélos cargos dans les grandes villes à partir de la seconde moitié de 2026. Cela répond aussi aux préoccupations des riverains sur les nuisances (bruit, pollution, embouteillages). Enfin, avec nos consignes automatiques, un seul arrêt permet de livrer et de collecter plusieurs colis, ce qui améliore l’efficacité et réduit les embouteillages.
Quels freins structurels ou urbains limitent encore le déploiement à grande échelle des solutions de livraison alternatives (consignes automatiques, points relais, vélo-cargo, etc.) dans certaines zones de Belgique ?
La mobilité et les lourdeurs administratives freinent l’implantation, surtout dans l’espace public. Une idée simple serait d’installer des consignes automatiques près des bureaux de poste, qui sont déjà perçus comme des lieux de service. Cela créerait des hubs multi-opérateurs. Il ne s’agit pas de concurrencer bpost mais de proposer plus de commodité aux consommateurs. La jeune génération plébiscite ces solutions : elle retire ou dépose ses colis le soir ou le week-end. Les comportements évoluent vite : environ 70 % des colis en consigne automatique sont retirés dans les six heures suivant la notification.
Comment mesurer objectivement le succès de cette loi dans 3 à 5 ans ? Quels indicateurs clés devraient être suivis ?
Actuellement, en Belgique, environ 10 à 12 % des colis sont livrés hors domicile (selon nos estimations internes), et 20 % des colis à domicile sont finalement reroutés (livrés en point relais ou bureau de poste). Un indicateur pertinent serait l’évolution de cette part de la livraison hors domicile. En France, elle atteint déjà 30 à 35 %, et en Pologne, elle est deux fois plus élevée. La Belgique, en tant que pays dynamique en e-commerce, suivra cette tendance. La loi vise justement à accélérer cette transition, car il est devenu intenable de maintenir autant de véhicules de livraison dans les centres urbains.
Un cadre harmonisé au niveau européen est-il envisageable ou souhaitable ?
Ce serait souhaitable, surtout pour les groupes présents à l’échelle européenne comme nous (Mondial Relay fait partie de InPost). Mais pour les acteurs locaux sans envergure européenne, c’est plus compliqué. Harmoniser les règles suppose de pouvoir répondre de manière cohérente dans plusieurs pays. Pour Mondial Relay, un cadre européen sur les modalités de livraison serait bienvenu : nous agissons déjà comme un intégrateur paneuropéen.
Enfin, un mot concernant votre déploiement sur le marché belge ?
Mondial Relay est très utilisé pour la France et en Wallonie, car nous y sommes bien connus. Mais nous voulons aussi développer les flux belgo-belges. Cette loi nous aide à positionner Mondial Relay comme une alternative crédible face aux leaders. En France, nous sommes numéro un de la livraison hors domicile. En Belgique, nous sommes déjà dans le peloton de tête en volume de colis livrés de manière autonome, et nous travaillons activement à renforcer notre visibilité en Flandre.