Umicore: la poule aux oeufs d’or
La division recyclage du groupe belge devrait dégager cette année une rentabilité des capitaux mis en oeuvre supérieure à 100%! Les avis des analystes divergent toutefois à propos des résultats des prochaines années.
Une entreprise cotée en Bourse est tenue de lancer un avertissement quand elle se rend compte d’une situation qui n’est visiblement pas encore connue du marché. Le but est clair: éviter que les investisseurs ne négocient l’action en méconnaissance de cause. C’est à cette obligation que le groupe non ferreux Umicore se plie le 23 avril 2019. Il souligne que “la demande pour les matériaux pour cathodes (utilisées dans les batteries, surtout pour voitures électriques, Ndlr) s’est détériorée au cours des derniers mois, en particulier en Chine”. Ce jour-là, le cours de l’action Umicore chute de 17,4%, à 34,45 euros. Il passe sous la barre des 26 euros avant la fin du mois, la déroute frisant alors les 40%. Deux ans plus tard exactement, soit le 22 avril dernier, le communiqué publié par Umicore fait sensation, dans un sens résolument positif cette fois. D’abord, il confirme et étaye l’optimisme exprimé en janvier: “Umicore a pris un excellent départ cette année grâce à la flambée des prix des métaux précieux, à une forte demande dans tous les secteurs d’activité et à la solidité de ses opérations”. Ensuite et surtout, le groupe précise qu’il s’attend à ce que l’Ebit “avoisine un milliard d’euros” en 2021. Cet Ebit, ou bénéfice brut, s’est établi à 536,4 millions en 2020, dans la ligne des deux années précédentes. L’annonce de ce presque doublement, confirmée avec encore plus d’insistance une semaine plus tard, ne passe donc pas inaperçue! L’action Umicore, qui pointait en direction des 50 euros comme avant le krach de mars 2020, franchit cette barre avant la fin du mois.
Le cuivre, dont le prix a doublé en un an, vaut aujourd’hui 7 euros environ le kilo tandis que le rhodium vaut 800 euros… le gramme.
Mille fois plus que le carnet de dépôt
Pourquoi cette euphorie? Le groupe Umicore se compose de trois divisions (lire l’encadré “Les trois piliers du groupe”). La moins emballante cette année sera celle dénommée E&ST (en lien avec les batteries rechargeables), avec un bénéfice en hausse, mais modérée. Car si la croissance de la demande est soutenue en Europe, elle est plus faible en Chine où les capacités de production sont excédentaires, tandis que l’envolée du prix du cobalt ne peut pas être entièrement répercutée dans les prix de vente.
Les trois piliers du groupe
Umicore fait partie des principaux producteurs mondiaux de catalyseurs en compagnie, notamment, du britannique Johnson Matthey. Ces produits contrôlent les émissions, pour les véhicules comme dans l’industrie. Un secteur clairement soutenu par les exigences croissantes pour le contrôle de la pollution. Il existe même des “catalyseurs de pointe” pour les piles à combustible qui devraient connaître un usage croissant dans le transport lourd mû par l’hydrogène.
La division Energy & Surface Technologies (E&ST) produit les matériaux de base utilisés notamment dans les batteries rechargeables, plus précisément dans les cathodes (électrodes positives). Il s’agit surtout de nickel et de cobalt. Pour ce dernier, le groupe a, fin 2019, acquis une raffinerie à Kokkola, en Finlande, qui reprendra progressivement les activités cobalt du site d’Olen, en Campine.
Le recyclage est le troisième pilier du groupe, essentiellement opéré à Hoboken (Anvers). Cette usine serait la plus importante et la plus efficace du monde dans la récupération des métaux, notamment précieux, au départ de batteries usagées, circuits imprimés, catalyseurs et déchets, tant industriels que d’exploitations minières. Parmi les concurrents d’Umicore figurent le japonais Asahi et l’allemand Heraeus.
La division des catalyseurs devrait au contraire connaître un millésime 2021 flamboyant grâce, à la fois, à une demande soutenue et à une rationalisation de la production. L’Ebit est attendu au double de celui de 2020 (il avait alors fléchi de 17%)! Pour rappel, l’Ebit (pour earnings before interest and taxes) peut être assimilé au bénéfice brut dans la langue de Voltaire. Il est retenu ici en termes ajustés, c’est-à-dire corrigé des éléments qui ne sont pas dus à la marche normale des affaires. Ce presque doublement est magnifique, sans nul doute, mais c’est plus encore la division du recyclage qui a généré l’avertissement lancé par Umicore. Si les prix des métaux se maintiennent, cette division va fournir un supplément bénéficiaire de 250 millions sur l’année, a signalé le groupe. Autrement dit, après avoir déjà presque doublé l’an dernier, à 362 millions d’euros contre 188 en 2019, l’Ebit de la division de recyclage pourrait dépasser les 600 millions cette année. Du coup, il est un ratio qui va atteindre un niveau proprement extravagant: le Roce, pour return on capital employed, ou rentabilité des capitaux mis en oeuvre. Ceux-ci se montaient à 502 millions d’euros en moyenne l’an dernier, un niveau qui a légèrement progressé d’une année à l’autre. Avec la forte hausse de l’Ebit en 2020, le ratio Roce avait déjà explosé de 39 à 72% ainsi que le révèle le rapport annuel qui fournit des données et commentaires fort détaillés par division (lire le tableau “Des chiffres qui font rêver”). Pas difficile d’extrapoler l’année en cours, du moins sauf évolution imprévue: l’activité recyclage du groupe devrait dégager une rentabilité des capitaux supérieure à 100%! Peut-être même proche de 120%. Mille fois plus que le carnet de dépôt…
Le rhodium beaucoup plus cher que l’or!
Difficile à croire? En réalité, ce ne serait pas la première fois. La division recyclage d’Umicore peut s’assimiler au site d’Hoboken bien que certaines de ses matières premières subissent un début de traitement sur d’autres sites. Or, Hoboken se targue d’une efficacité exceptionnelle. Le groupe estimait voici quelques années qu’il arrivait à un niveau de recyclage de l’ordre de 90%, contre une bonne moitié à peine, en moyenne, pour la concurrence. Il faut savoir qu’Umicore travaille largement à façon: Hoboken négocie un recycling fee (commission de recyclage) avec les clients pour lesquels il recycle les déchets métalliques. De plus, si l’usine arrive à extraire 96% du métal au lieu des 95% convenus, il peut empocher ce pour cent supplémentaire. Outre des volumes en forte croissance, ces derniers mois sont également marqués par une flambée des cours des métaux précieux et rares, et donc des fees. Ce n’est pas le cas de l’or mais bien celui du platine et de l’argent qui ont progressé de moitié en un an. Le rhodium, lui, a presque triplé, tandis que l’irridium a fait mieux encore. Les volumes ici traités ne sont pas comparables à ceux du cuivre pour lequel la capacité d’Umicore atteint 36.000 tonnes par an. Il s’agit de 100 tonnes “seulement” pour l’or, de 25 tonnes pour le platine et le palladium et de cinq tonnes à peine pour le rhodium. Mais le cuivre, dont le prix a doublé en un an, vaut aujourd’hui 7 euros environ le kilo tandis que le rhodium vaut 800 euros… le gramme. Le groupe Umicore jongle donc avec les milliards. Car s’il affiche communément un chiffre d’affaires un peu supérieur à 3 milliards d’euros pour l’exercice 2020, c’est “métal exclu”. Nominalement, c’est 20,7 milliards, dont 13,9 pour le recyclage!
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Prévisions très divergentes
L’annonce par Umicore d’un bénéfice record a incité de nombreux analystes à revoir leurs prévisions. Ceux de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs ont ainsi porté leur cours cible pour l’action de 57 à 65 euros. Pour l’Ebit de la division recyclage, ils sont passés de 423 à 626 millions d’euros. Ils soulignent que ce bond pourrait être relativement pérenne et non pas constituer un feu de paille, comme le marché semble le penser. Ils avancent en effet un chiffre du même ordre pour 2022 et guère inférieur en 2023, soit un Ebit ajusté de 640 et 566 millions d’euros respectivement.
Autre grande maison américaine… et autre son de cloche. Chez JP Morgan, l’analyste commence par rappeler que “nous avons toujours souligné que la division recyclage d’Umicore était un excellent business”. Il poursuit cependant en estimant qu’après la hausse des trois dernières années, son bénéfice pourrait refluer aussi spectaculairement durant les trois prochaines années. Et s’il a relevé son objectif de cours, c’est pour le porter très modestement de 30 à 35 euros. Une bonne moitié à peine du cours cible de Goldman Sachs! Argument: la transition vers les véhicules électriques ne sera pas aussi favorable au groupe que généralement estimé. En conséquence, l’Ebit de l’exercice 2023 serait inférieur de près de 30% à celui de 2021, à 711 millions d’euros. A l’inverse, les analystes de Goldman Sachs le voient en progrès de 15%, à 1.158 millions. Qui voit juste? C’est parce que la prédiction financière n’est pas une science exacte que la Bourse existe…
De l’or via internet
Umicore est typiquement une entreprise B to B totalement absente du panier de la ménagère. Le groupe est par contre un acteur non négligeable sur la scène aurifère. Qu’il s’agisse de lingots d’un kilo ou de plaquettes allant de 2,5 à 100 grammes, ses produits font partie de l’assortiment proposé par nombre de négociants. La société s’est même mise au commerce en ligne, avec un site dédié: www.umicoregoldshop.be.
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