Trends Winter University: Ludovic Dujardin sur l’essor de son application de méditation Petit BamBou

Ludovic Dujardin sur l’essor de Petit BamBou. © DR
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Dans l’univers ultra-compétitif des applications mobiles, où la maximisation du chiffre d’affaires et de la rentabilité est souvent un objectif premier, Petit BamBou fait figure d’exception. L’entreprise qui propose des séances de méditation est née à quelques kilomètres de la Belgique, a déjà été utilisée par 12 millions de personnes et choisit d’accompagner la croissance plutôt que de la provoquer. Rencontre avec Ludovic Dujardin, son atypique fondateur.

Dès les premières minutes de notre rencontre avec Ludovic Dujardin, à Tourcoing, l’homme évoque les deux petits groupes de rock dans lesquels il joue. De la basse dans l’un, de la guitare dans l’autre. Il cite, entre autres, les Cure et Led Zepplin. Des univers qui semblent bien loin de l’application qu’il dirige depuis 10 ans : Petit BamBou, une référence incontournable dans le domaine de la méditation en ligne.

Plutôt atypique

Et l’on comprend rapidement que l’entrepreneur que l’on a face à nous est plutôt atypique malgré un succès impressionnant dans le domaine des applications mobiles. En effet, l’application de méditation qu’il a cofondée avec Benjamin Blasco, un ancien de PayPal, a déjà attiré plus de 12 millions d’utilisateurs. “C’est-à-dire des gens qui ont installé l’appli et ont réalisé au moins un cours de méditation, précise-t-il. On ne parle pas des téléchargements de l’application qui sont bien plus nombreux, mais que je ne regarde même pas car, en soi, c’est une donnée inintéressante.”

Car ce qui motive surtout le patron de cette entreprise de 23 employés, c’est l’impact généré. “Petit BamBou est né d’un besoin profond, insiste Ludovic Dujardin. Dans une société où notre attention est constamment sollicitée, où les réseaux (a)sociaux captent notre temps et nos pensées, il est devenu primordial de reconquérir son espace – son attention, son temps, son bien-être. La méditation de pleine conscience nous est apparue comme un outil puissant pour aider chacun à retrouver l’équilibre, à se reconnecter aux petites beautés du quotidien : un regard complice, la douceur d’un moment partagé, la simplicité d’un instant de calme. Notre mission n’est pas de couper les gens du numérique, mais de leur permettre d’en être conscients. Savoir que l’on caresse une vitre lorsqu’on scrolle, apprendre à surfer sur les réseaux (a)sociaux en pleine conscience plutôt que d’être aspiré par eux.”

Pas de business plan

Et l’on est loin du storytelling que beaucoup de jeunes pousses peuvent servir. L’homme vit pleinement cette mission et cela se concrétise tant dans le parcours de Petit BamBou que dans la manière dont la boîte est gérée depuis 10 ans. Ludovic Dujardin viendra exposer tout cela aux entrepreneurs de la tech lors de la prochaine Trends Winter University qui se tiendra du 13 au 16 mars en Norvège.

Car l’entrepreneur, qui a déjà monté plusieurs autres boîtes auparavant, n’a pas vraiment cherché à créer un empire. Son approche contraste d’ailleurs avec l’hypercroissance souvent prônée dans la tech, même si Petit BamBou rencontre un vrai succès. Quand ils ont lancé la firme, Ludovic Dujardin et Benjamin Blasco n’ont investi que 12.500 euros chacun, et ont travaillé six mois sans se payer pour développer la première plateforme de l’application. Laquelle se présente comme une succession de séquences audios de médiation.

250.000 Belges belges utiliseraient l’application Petit BamBou aujourd’hui.

Dès le départ, le duo fait les choses comme il l’entend. Sans trop de savants calculs, sans business plan et sans grande analyse de marché. Le nom “Petit BamBou” ? Il leur plaisait. Le prix de cinq euros par mois d’abonnement ? Cela “nous semblait un prix acceptable, s’amuse aujourd’hui Ludovic Dujardin. Il était moins cher que ce qui se faisait sur le marché et nous semblait abordable et adéquat pour des gens qui voulaient méditer.” Le bouche-à-oreille a rapidement fait son œuvre et confirmé la vision des deux hommes puisque Petit BamBou est devenu, en quelques années, le leader des applis européennes de méditation. En un an, il comptait déjà un million d’utilisateurs. En 2020, la pandémie amplifie son expansion avec une forte demande en solutions de bien-être mental.

191 pays et 6 langues

Aujourd’hui, Petit BamBou est présent dans 191 pays et disponible en six langues (français, anglais, espagnol, allemand, italien et néerlandais). Le succès ? “C’était une conséquence, pas un objectif en soi, insiste Ludovic Dujardin. Notre objectif, c’est de mettre la méditation dans la vie d’un maximum de gens. Le reste se produit à la suite de cela.”

Une approche et une vision qui continuent d’animer le fondateur et président de la société fondée non loin de la frontière belge. “Nous n’avons pas de business plan. Nous sommes une entreprise à taille humaine et à croissance raisonnée, sans véritable objectif de croissance. On ne veut pas absolument doubler le chiffre d’affaires à tel ou tel horizon”, explique-t-il. Cet état d’esprit n’est visiblement pas qu’un discours. Il se révèle dans le quotidien de l’entreprise et dans ses grands choix stratégiques.

Ne pas chercher la croissance à tout prix

Quand Petit BamBou se lance sur un nouveau marché, ce n’est pas parce qu’il veut absolument chercher de nouveaux revenus, mais plutôt “parce que cela peut permettre à d’autres marchés de faire de la méditation, précise le boss de l’entreprise. Ainsi, quand on a lancé l’appli en l’Espagne, ce n’était pas parce qu’on s’est dit qu’on pouvait y développer notre croissance mais parce que nous avons rencontré quelqu’un qui a voulu ‘mettre notre mission en application’ sur le marché espagnol. C’est très différent”.

Et même si cela peut paraître paradoxal ou incompréhensible, Ludovic Dujardin précise : “je ne refuse pas la croissance : on a un entreprise qui doit tourner. Mais je ne la cherche pas à tout prix et je refuse l’envie d’absolument la favoriser. Si elle vient, c’est parce qu’on a bien bossé sur l’objectif de notre mission. Et pas sur un objectif chiffré.”

Pas d’objectifs chiffrés

D’ailleurs, quand on parle de chiffres, Ludovic Dujardin n’est pas très au courant des détails. Il a bien sûr un DG et des équipes qui s’en occupent. Mais ces derniers n’ont pas reçu des KPI (key performance indicators) bien précis à tenir de la part du fondateur. Ludovic Dujardin travaille d’ailleurs sans ces KPI et ne se fixe pas d’objectifs chiffrés. Ce qui le motive ? “L’énergie autour de notre mission de ramener les gens vers la méditation, répond-il. Quand on a une énergie autour d’une mission, on attire les gens qui ont envie de bosser sur le sujet. Et ils obtiennent des résultats. L’objectif que je donne aux équipes, ce n’est pas d’atteindre tel ou tel chiffre mais de ressentir la cohérence entre ce que l’on veut faire et ce que l’on fait. Et le corollaire de ma façon de voir les choses, c’est qu’on accueille la croissance. Et si ce n’est pas le cas, car on rencontre des périodes de décroissance, c’est que l’on a mal fait fait le job.”

L’objectif que je donne aux équipes n’est pas d’atteindre tel ou tel chiffre mais de ressentir la cohérence entre ce que l’on veut faire et ce que l’on fait.
Ludovic Dujardin - Fondateur de PetitBambou

Ludovic Dujardin – Fondateur de PetitBambou

Un chevalier blanc du Nord

Les responsables en charge de chaque pays disposent de toutes les données chiffrées nécessaires. “Mais moi, cela ne m’intéresse pas de les connaître, glisse Ludovic Dujardin. Je suis un intuitif et quand vous dirigez une boîte, vous sentez bien si cela croît ou pas. Des tas de signaux faibles permettent de le ressentir. Cela peut décontenancer certains profils plus analytiques, mais on travaille comme cela.”

D’ailleurs, son investisseur principal le sait bien et est en phase avec cela. Car sur le thème des levées de fonds aussi, les idées de Ludovic Dujardin sont aussi bien arrêtées. Peu de temps après le lancement du projet et bien que la boîte ait été rentable assez rapidement, les deux fondateurs ont sondé le marché pour tenter de lever des fonds : un fiasco. “Personne ne nous a suivis, se souvient le patron de Petit BamBou. La méditation était vue comme une niche et comme un sujet féminin, alors que tous les investisseurs étaient des hommes.”

Heureusement, la start-up était à l’époque déjà rentable et connaissait une belle croissance. Les fondateurs se sont alors convaincus qu’ils n’auraient pas besoin de lever des fonds. Mais en 2020, un acteur américain désireux de s’installer sur le marché européen des applications de méditation est venu frapper à la porte de Petit BamBou… avec une offre de rachat. Une proposition suffisamment intéressante pour faire réfléchir Ludovic Dujardin et Benjamin Blasco. “À ce moment-là, les chiffres m’ont un peu fait perdre la tête, précise notre interlocuteur. J’aurais réalisé l’opération financière que je ne cherchais pas vraiment.”

“Si tu vends, tu le regretteras”

Et, alors qu’ils étaient en pleine due diligence avec l’acteur américain, des discussions avec Matthieu Leclercq, fils du fondateur de Decathlon et investisseur, changent la donne. L’homme ne veut pas voir ce bijou du Nord de la France passer sous pavillon américain et être intégré à une structure qui aurait pu totalement changer l’ADN, plus éthique, de Petit BamBou. Le duo à la tête de l’entreprise est convaincu et cède alors 49% du capital à l’investisseur français. Ce dernier les pousse à conserver l’âme du projet et la liberté de poursuivre leur mission à leur rythme. “Matthieu nous a dit quelque chose qui a fait tilt, se remémore Ludovic Dujardin : ‘Si tu vends, tu le regretteras dans six mois parce que ce projet, c’est le tien. Et parce qu’il mérite d’exister autrement que sous les contraintes d’un grand groupe.’ Il avait raison. On a fait cet exit dans de bonnes conditions, et surtout, on a pu garder le cap. Sans cela, Petit BamBou serait sûrement devenu un produit marketing de plus, formaté, optimisé pour la rentabilité et non pour l’impact.”

Car Ludovic Dujardin, qui continue aujourd’hui l’aventure sans son cofondateur, se plaît aussi à être le “ver dans le fruit” des applis et du digital. Utiliser le numérique pour permettre aux gens de retrouver des moments loin des écrans et du tumulte des “réseaux asociaux”, comme il les appelle. Ludovic Dujardin aime particulièrement le moment où se lance l’application : un cercle bleu apparaît, puis le logo de l’appli… “et il ne se passe rien, plaisante-t-il. On pense que quelque chose se charge mais non. Le petit bonhomme de notre logo respire, tout simplement”. Un temps mort à contre-courant de la tendance en ligne.

Des techniques numériques plus éthiques

Viscéralement, le cofondateur de Petit BamBou tient à utiliser l’outil de la meilleure des manières et de la façon la plus éthique possible. L’un des principes fondamentaux de Petit BamBou consiste, par exemple, à ne jamais forcer l’engagement des utilisateurs. Contrairement à de nombreuses applications qui bombardent leurs abonnés de notifications et d’incitations commerciales, Petit BamBou se refuse à envoyer trop de rappels, de notifications ou de newsletters. “Je refuse que Petit BamBou soit une appli qui capte ou qui force à revenir. Si les gens réutilisent l’application, c’est que c’est leur choix. On fonctionne selon nos valeurs et l’on ne se fixe aucun plan de rétention. Je veux que les gens soient libres de se désabonner, parce que la conséquence de cela c’est qu’il se réabonnent en toute simplicité. La liberté de choisir fait partie de la croissance du modèle.”

“On ne cherche pas à maximiser le profit.”

Ludovic Dujardin

D’ailleurs, Petit BamBou a refusé d’appliquer la technique du free trial dans l’app. Elle consiste à demander le numéro de carte de crédit pour automatiquement retirer le montant de l’abonnement à la fin de la période de test. Beaucoup de gens oublient de mettre un terme à cette période d’essai et de désinstaller l’application.

Système freemium

Une vision qui peut sembler étonnante, alors que le modèle économique de l’application repose sur un système freemium. Les utilisateurs ont accès gratuitement aux premières séances de méditation, puis peuvent souscrire un abonnement s’ils souhaitent aller plus loin. Sur 12 millions de personnes qui ont suivi des séances de médiation depuis le lancement du service voici 10 ans, seule une portion (non communiquée) dispose aujourd’hui d’un abonnement payant d’environ 5 euros mensuels (59,88 euros annuels). Le même depuis les tout débuts. “On ne cherche pas à maximiser le profit, glisse le fondateur. Pourtant, ce serait facile d’aller prendre quelques euros de plus sur les abonnements. Si on voulait doubler, je connais les leviers à utiliser. Mais comme nous avons assez d’argent pour financer l’entreprise, nous n’avons pas besoin de les actionner.”

Une attaque originale des États-Unis

Pourquoi vous lancer à l’attaque du marché américain si vous ne cherchez pas la croissance ? La question amuse Ludovic Dujardin dont l’entreprise a lancé une nouvelle application de méditation sur le marché outre-Atlantique. “Cela m’amusait d’aller ennuyer les Américains sur leur marché, sourit-il. Il y a un petit côté chevalier blanc puisque nous allons à l’encontre des pratiques habituelles et de la logique de croissance. On propose une méditation par jour pour un abonnement à seulement deux dollars par mois. Je veux montrer qu’on peut séduire le public par notre mission et pas avec des pratiques contestables qui poussent l’utilisation et la maximisation des profits.” La société mise sur une approche spécifique et étonnante en refusant de faire de la pub à gogo sur le web. “Ce ne serait pas du tout rentable”, avance le patron qui compte réaliser un buzz depuis l’autre côté de l’océan Atlantique, puisque tout est géré à distance, grâce à la rentabilité obtenue sur le marché français.

Si Ludovic Dujardin ne nous dévoile pas les chiffres financiers de Petit BamBou, on sait que le chiffre d’affaires de 2022 tournait autour de quelque 10 millions d’euros. Un montant qui a dû évoluer depuis. Et demain ? L’entreprise reste fidèle à ses principes : pas de plan d’expansion agressif, mais une ouverture aux opportunités, en continuant de déployer des contenus en plusieurs langues et en structurant son offre pour les entreprises. De nouveaux projets se dessinent, notamment autour du bien-être physique, avec une appli dédiée. Cette dernière adoptera la même approche : celle d’un numérique plus respectueux, plus conscient, et surtout, plus humain. Et d’une croissance qui vient, “si la mission fait sens”.

Ludovic Dujardin est l’un des intervenants de la Trends Winter University, qui se tiendra du 13 au 16 mars en Norvège. Découvrez ici le programme et les participants de l’événement.

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