Tomorrowland: 20 ans d’électro et de contes de fées

Tomorrowland
© D.R.

Il y a 20 ans, Boom n’était connue que pour son tunnel sous le Rupel et sa briqueterie désaffectée. C’est alors que les frères Manu et Michiel Beers ont pu réaliser leur rêve : organiser un festival électro comme le monde n’en avait jamais vu. Tomorrowland est devenu un succès sans précédent.

Le monde entier sait désormais où se trouve Boom. Comment en est-on arrivé là ?

A l’origine, deux gars d’une vingtaine d’années, une faillite et une relance

Peter Decuypere est considéré comme l’un des parrains de la scène techno européenne. Il est à l’origine de succès tels que I Love Techno – un festival techno indoor à Gand qui a attiré 35.000 visiteurs à son apogée – et l’emblématique club bruxellois The Fuse. Il est au sommet de son art lorsqu’il rencontre les frères Michiel et Manu Beers. “Ils avaient créé des concepts à Anvers qui s’étaient mal terminés. Je les vois encore entrer dans mon bureau, deux jeunes d’une vingtaine d’années. Ils m’ont dit : ‘Nous voulons acheter I Love Techno’. (rires) Nous voulons avoir une masse critique suffisante tout de suite’. Plus tard, j’ai rencontré Manu par hasard dans une station-service. Il m’a dit : ‘Nous sommes en train de créer un festival’. Ils voulaient l’appeler Tomorrowland. Je n’en croyais pas mes oreilles. Qui donc organise un festival dance en pleine journée, en plein air, et dans un domaine récréatif ? Et en plus, ils affirmaient que ce serait le festival de demain !”


Les frères natifs de Ranst avait déjà fait preuve d’esprit d’entreprise. A la fin des années 1990, lorsqu’ils étaient étudiants, ils avaient organisé des événements tels que De Nacht van de Student et Antwerp is Burning. Avec les recettes, ils avaient créé une petite entreprise, Line Up Productions, en 1999. Antwerp is Burning avait rapporté beaucoup d’argent, mais un ami d’enfance s’était enfui avec la caisse et l’argent du sponsoring après la troisième édition. La société avait donc fait faillite.


Entre-temps, les deux frères rencontrent Irfan van Ewijk et Ben ten Wolde, de l’organisation de festivals dance ID&T, basé à Amsterdam. Tous les quatre créent une nouvelle société, ID&T Belgium. Les deux duos détiennent chacun la moitié des actions. Plus tard, ID&T Belgium changera de nom pour devenir WeAreOne.World. L’accord avec ID&T garantit une stabilité financière à long terme, ce qui donne aux frères les coudées franches.

2005-2009

Des champignons, des fées et 10 spectateurs pour Dimitri Vegas & Like Mike

Le premier Tomorrowland a lieu en 2005, au domaine De Schorre à Boom. Yves Smolders, directeur général du club Versuz de Hasselt, est présent. “Pendant Antwerp is Burning, j’y avais déjà une scène Versuz, et pour la première édition de Tomorrowland, on m’a demandé de faire une scène là-bas aussi. C’est devenu le VIP, que j’ai financé moi-même.”


“Je me suis complètement lancé dès la première édition. Les premières années, nous devions encore amener des remorques remplies de copeaux de bois au festival pour camoufler la boue. Nous dormions derrière la scène dans des mobilhomes, et le soir, nous organisions un barbecue.”


Peter Decuypere a assisté aux premières éditions. En tant que professeur en marketing, il peut analyser clairement ce qu’il a vu : “Même à l’époque, la production avait de quoi être fière. Les visiteurs étaient au centre du projet et non l’artiste, comme dans d’autres festivals. En fait, ils ont mélangé le monde féerique d’Efteling (parc d’attractions au sud des Pays-Bas, ndlr) avec l’expérience des événements dance. De Schorre se prêtait parfaitement à la flânerie. Dès le début, il y avait aussi ces champignons et ces elfes. Je me suis demandé ce qu’ils faisaient. Ils ont choisi de la musique électronique accessible. On y trouve un échantillonnage de genres différents qui n’existe nulle part ailleurs. Cela allait d’un Moose Bar à la techno la plus sombre.”


Pour assurer une mobilité fluide, Bart Busschaert a été recruté. Il avait acquis de l’expérience lors du festival Mano Mundo, organisé depuis 1994 sur le domaine provincial De Schorre. “Tout le monde venait en bus de De Lijn. Il n’y avait qu’une entrée et une sortie. Il ne s’agissait pas à l’époque de dizaines de milliers d’amateurs de techno.” La première édition, le 14 août 2005, a attiré quelque 8.700 personnes.


Pour la deuxième édition, Tomorrowland a trouvé sa place dans le calendrier des festivals belges, très chargé, à la fin du mois de juillet. Rapidement, les premiers visiteurs des pays voisins se rendent à Boom. En 2009, le festival franchit un cap : 90.000 visiteurs font apparaître pour la première fois le panneau Uitverkocht (complet, ndlr). Dimitri Vegas et Like Mike, alors inconnus, arrivent de la ville voisine de Willebroek. Ils jouent le set de clôture sur la plus petite scène, une cabane en bois appelée Flügel Island. Le duo de DJ commence devant un public de 10 personnes, mais au fur et à mesure que le set avance, le loft se remplit. Les frères, l’un faisant tourner les tracks, l’autre chauffant la foule, deviennent rapidement les ambassadeurs de Tomorrowland et acquièrent une renommée mondiale.

2010-2014

Un avion, un aftermovie et un voyage à l’étranger

“A partir de la cinquième ou sixième année, poursuit Yves Smolders, l’événement a vraiment commencé à prendre de l’ampleur. J’ai toujours pensé à Tomorrowland, mais je n’ai jamais craint que ce succès grandissant se fasse au détriment de mon club.” C’est également à cette époque que le festival commence à remporter des prix aux International Dance Music Awards.


En 2011, Tomorrowland passe à trois jours, mais c’est 2012 qui sera le véritable point de bascule. Deux millions de personnes tentent d’obtenir des billets sur le site web. Le festival affiche complet en un temps record. 185.000 personnes originaires de 75 pays se rendent à Boom pour voir des artistes de premier plan tels qu’Avicii, Carl Cox ou Fatboy Slim, et pour manger dans les pop-up des grands chefs étoilés. 35.000 personnes dorment dans le luxueux camping DreamVille, qui, depuis, se transforme chaque année en village temporaire dans la ville voisine de Rumst.


Une relation particulière existe entre Tomorrowland et Brussels Airlines. Dorothea von Boxberg, CEO de la compagnie depuis 2023, raconte comment la coopération a commencé lors de la présentation du nouvel avion de Tomorrowland au début de 2024. “En 2012, l’organisation a demandé de prévoir des vols festifs pour les visiteurs étrangers. Les avions devaient avoir des hublots obscurcis et un DJ à bord, mais notre équipe de sécurité a failli avoir une crise cardiaque lorsqu’on lui a demandé d’enlever quelques rangées de sièges de l’avion. Mais c’est formidable que les festivaliers puissent commencer à faire la fête dès qu’ils montent dans l’appareil.”


Les visiteurs peuvent désormais acheter des forfaits de voyage, qui comprennent l’hôtel ou le camping en plus du transport. Ce qui profite aux établissements hôteliers jusqu’à Bruxelles.


En 2012, un premier décès est recensé, peut-être à cause de la consommation de drogues. Pourtant, le festival applique une tolérance zéro à l’égard de ces substances. Un laboratoire de l’Institut national de criminalistique et de criminologie est même installé sur le site du festival pour tester rapidement les drogues confisquées et signaler tout danger.


Après sept ans d’existence, Tomorrowland est devenu un événement rentable. Les bénéfices sont principalement consacrés à l’amélioration de l’expérience; il n’y a pas de budget marketing important, par exemple. En 2012, Tomorrowland met en ligne sur sa chaîne YouTube un aftermovie professionnel qui devient vite emblématique. “J’enseigne le marketing et je le montre toujours à mes étudiants, explique Peter Decuypere. Tomorrowland est le premier événement qui a vraiment compris le potentiel des médias sociaux. Aujourd’hui, il y a des gens au Sri Lanka, par exemple, qui économisent pour aller à Tomorrowland une fois dans leur vie. Tomorrowland est plus connu à l’étranger qu’en Belgique. Le gourou britannique du marketing Kevin Roberts a un jour décrit la différence entre les marchandises, les marques et les lovemarks. Les marchandises sont des produits pour lesquels nous ne ressentons ni amour ni respect. Les marques suscitent le respect mais pas l’amour. Pour les lovemarks, nous ressentons à la fois du respect et de l’amour, parce qu’elles sont entourées de mystère, de sensualité et d’intimité. Il y a cinq ans, Apple était une vraie lovemark, Ferrari en est une également, tout comme Taylor Swift, mais aussi Tomorrowland. C’est une marque qui fonctionne de tous les côtés, et les visiteurs sont fidèles au-delà de toute raison.”


En 2013, de fortes averses ont perturbé le festival. Bart Busschaert, qui a depuis créé sa propre agence de mobilité avec Scelta, s’en souvient bien : “A Boom, les rues étaient inondées, tout comme le site du festival. Alors que les visiteurs se précipitaient à l’extérieur, la protection civile, les pompiers et la police devaient intervenir en même temps. Finalement, tout s’est bien passé car nous savions parfaitement quelles rues étaient libres. Avec l’eau dans mes chaussures, j’ai alors commencé à téléphoner la nuit, pour chercher d’autres sites. Nous avons ajusté l’ensemble du plan de mobilité en une nuit, afin de pouvoir orienter les gens vers d’autres parkings le lendemain.”


En 2013, Manu et Michiel Beers ont racheté les 50 % des parts d’ID&T lorsque le festival dance néerlandais a été vendu à SFX. Depuis lors, ils sont les propriétaires à part entière de WeAreOne.World. La même année, ils décident d’organiser une première édition à l’étranger. Et c’est la ville américaine d’Atlanta qui est choisie pour accueillir TomorrowWorld, avec SFX comme partenaire. L’année suivante, Tomorrowland fête son 10e anniversaire avec l’ouverture d’un deuxième week-end de festival à Boom. En à peine une heure, les 360.000 billets s’envolent.

2015-2019

Des perles, un câlin au Roi et de bonnes relations avec les voisins

Depuis 2015, Tomorrowland utilise également sa propre monnaie : le Pearl. C’est le seul moyen de payer sur place. Cette année-là, le taux de change est de 1,82 euro pour 1 Pearl. Tomorrowland a désormais son propre drapeau et son propre hymne. La frontière entre l’imaginaire et la réalité s’estompe.


Ban Ki-Moon, le secrétaire général des Nations unies, reçoit les frères Beers et le couple royal belge lui rend visite. Debby Wilmsen, qui s’occupe des relations presse de Tomorrowland, raconte une anecdote : “Nous avions tout préparé à la perfection. Nous avions délimité un espace et les trois DJ étaient bien briefés. Mais soudainement, des festivaliers sont passés et une Sud-Africaine en bikini a spontanément serré le roi Philippe dans ses bras. C’est drôle, mais c’est tout à fait normal. J’espère que la princesse Elisabeth viendra un jour.”


“Tomorrowland est aussi en quelque sorte une entreprise informatique, qui a investi pour mettre en place tous les flux d’informations nécessaires, explique Freek Van der Herten, copropriétaire de la société anversoise Spatie, spécialisée dans la création de sites web, de boutiques en ligne et d’applications. Tomorrowland a d’abord utilisé le système d’ID&T pour gérer l’équipe, mais est venu nous voir vers 2017 parce qu’il voulait son propre système. Nous nous occupons également d’une partie de la billetterie. Le trafic est énorme lorsque la vente de billets commence. A l’avance, nous informons le fournisseur de serveur local que beaucoup de données vont affluer. Même s’il n’y a qu’un court retard dans les ventes, des rumeurs circulent sur les médias sociaux selon lesquelles certaines personnes seraient prioritaires dans les ventes. Mais il n”en est rien.”


Alex Vanderbist travaille également pour Spatie. “Quand j’avais 18 ans, je vidais les poubelles à Tomorrowland en tant qu’étudiant ; aujourd’hui, je travaille comme développeur web pour le festival. Le logiciel de gestion de l’équipe est essentiel. Nous avons créé un tableau de bord qui nous permet de voir combien de membres de l’équipe se trouvent dans quelle zone. Un jour de festival, il faut compter sur 8.000 à 10.000 collaborateurs, que nous devons tous pouvoir suivre. Les frères Beers insistent sur le respect de leur vie privée, mais ils sont régulièrement présents lors de la vente des tickets ou du montage. “Les employés se signalent alors les uns aux autres que Manu ou Michiel est passé, car ils font l’objet d’un véritable culte au sein de l’équipe. Mais beaucoup de gens ne savent pas à quoi ils ressemblent, explique Alex Vanderbist. Lorsque des photos sont prises lors des réceptions, ils lèvent toujours leur verre devant leur visage.”


En 2015, l’événement est élu meilleur festival mondial aux International Dance Music Awards pour la cinquième année consécutive. Brussels Airlines conçoit son propre avion pour Tomorrowland, avec l’oiseau Amare peint en grand sur l’appareil. Mais l’expansion à l’étranger est compliquée. Après une troisième édition en 2015, la version américaine d’Atlanta s’arrête en raison de la faillite de son partenaire américain SFX. La première édition de Tomorrowland Brasil attire 180.000 visiteurs, mais après la deuxième édition, c’est terminé !


Tomorrowland a travaillé dur pendant des années sur ses relations avec les habitants du voisinage. “Boom et Rumst sont des communes densément peuplées, souligne Debby Wilmsen. Les premières maisons se trouvent juste à côté de notre scène principale. Dans l’une d’entre elles, les habitants organisent chaque année un barbecue et louent ensuite une nacelle élévatrice pour pouvoir assister au festival. Le bruit était le plus gros problème. Nous disposons d’un local communautaire, d’un journal de quartier et d’une ligne téléphonique 0800, où les habitants peuvent se plaindre”.


Selon Bart Busschaert, le plan de mobilité est essentiel pour minimiser le bruit : “Le dernier tronçon est interdit aux voitures, tout le monde le fait à pied. Il y a maintenant une deuxième entrée. Nous travaillons avec des zones de destination, il y a des zones où les festivaliers ne vont pas. De cette manière, nous évitons également le stationnement sauvage. Beaucoup de visiteurs logent à Bruxelles et viennent en autocar. Près de 200 bus arrivent chaque jour, je ne connais pas d’autre festival qui fasse cela et où le transport soit autant inclus dans le forfait.

2019-2024

Covid, île virtuelle et campus d’innovation

En 2019, pour son 15e anniversaire, un Tomorrowland Winter devait avoir lieu à l’Alpe d’Huez. Mais la pandémie de covid est venue perturber le conte de fées. Le festival passe néanmoins rapidement à la vitesse supérieure et crée l’île mythique – mais virtuelle de Papillionem, qui accueillera le festival numérique Tomorrowland Around The World en 2020 et 2021. Des DJ du monde entier s’y produiront pour les visiteurs en ligne.


Bien que la pandémie soit derrière nous, Tomorrowland continue de créer des mondes virtuels. L’année dernière, il a annoncé une collaboration avec la société coréenne Caliverse, spécialisée dans la création de métavers – des mondes en 3D où l’on peut jouer, faire des achats ou assister à des festivals numériques. “Pour les éditions en ligne, poursuit Debby Wilmsen, on regarde un écran. Avec Caliverse, l’idée est de se projeter dans ce monde, d’aller dans un bar avec ses amis, d’essayer et d’acheter un tee-shirt.”


En collaboration avec Rock Werchter (propriété de la société américaine Live Nation), Tomorrowland décide de lancer le nouveau festival CORE en 2022 sous l’Atomium de Bruxelles. Michiel Beers est d’ailleurs marié à Sarah Schueremans, fille du fondateur de Rock Werchter, Herman Schueremans. “Cette année, une deuxième édition de CORE aura lieu au Mexique, nous retournerons au Brésil et nous organiserons une édition française pour la cinquième fois”, explique Debby Wilmsen.


Au début de l’année, Brussels Airlines a prolongé son partenariat avec Tomorrowland pour cinq ans, avec un nouvel avion Amare. Cette collaboration illustre les partenariats de Tomorrowland. Les deux marques devraient tirer profit de l’élaboration conjointe de concepts créatifs. Cette année, Tomorrowland a également conclu des partenariats avec Coca-Cola, BMW, Absolut et Red Bull. Et tout récemment avec le fabricant belge de vélos Ridley. Tomorrowland a d’ailleurs présenté deux modèles de vélos en noir avec des tons dorés et Amare incorporé dans le design. Il existe des vêtements et des accessoires assortis, et grâce au Tomorrowland Cycling Package, les visiteurs pourront d’abord faire du vélo en petit groupe, puis faire la fête.


Le DJ star néerlandais Armin van Buuren, déjà présent lors de la première édition, viendra également cette année. Les frères Manu et Michiel Beers (44 et 48 ans aujourd’hui) sont de plus en plus reconnus pour leur talent d’entrepreneurs. L’année dernière, ils ont reçu le prix Insead Innovator de l’association belge des anciens élèves de l’école de commerce française. WeAreOne.World a ouvert le campus d’innovation Lab of Tomorrow en avril, avec le soutien de l’agence flamande pour l’innovation Vlaio et de l’Union européenne. Avec cette initiative, le gouvernement flamand vise à renforcer l’industrie flamande du divertissement. Le campus de 3.000 mètres carrés, doté de six laboratoires technologiques pour tester des prototypes, s’élèvera à proximité du site du festival. Il y aura également un programme d’accélérateur pour start-up. z

“Je n’en croyais pas mes oreilles. Qui donc organise un festival électro pendant la journée, en plein air, dans un domaine récréatif ? ” Peter Decuypere (I Love Techno)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content