Superdry, une mode qui dure
Il y a quelques saisons encore, chaque ado se devait d’avoir du Superdry dans son placard. Si la folie est aujourd’hui quelque peu retombée, la stratégie de l’enseigne britannique demeure extrêmement efficace, à l’inverse de celle de sa célèbre concurrente Abercrombie & Fitch, dont le chiffre d’affaires ne cesse de reculer.
Les ventes de Superdry se portent bien. D’après les résultats annuels publiés cet été, le chiffre d’affaires du groupe a progressé de 27 %, à 752 millions de livres sterling (857 millions d’euros) et son bénéfice net de 18 %. Superdry fut fondée en 2003 par le serial entrepreneur Julian Dunkerton et son compère James Holder, nommé directeur de la création. La jeunesse britannique s’empara immédiatement des sweat-shirts et des tee-shirts streetwear et sportswear au graphisme japonisant conçu par le duo. Au fil du temps, d’autres pièces sont venues étoffer la collection. La marque est très vite devenue cultissime – aidée, il faut le dire, par des célébrités comme David Beckham, Kate Winslet ou Leonardo DiCaprio, qui se faisaient tirer le portrait vêtus de certaines de ses pièces. L’entreprise affirme cependant haut et fort ne payer aucune star pour faire sa pub.
Superdry, c’est 863 points de vente répartis dans le monde entier. La distribution dans les magasins multimarques représenterait 65 % du chiffre d’affaires, les ventes en ligne 25 %, tandis que le reste s’écoule dans les 555 enseignes Superdry, qui elles-mêmes combinent magasins de la marque et franchisés. Le chiffre d’affaires des ventes par Internet a bondi de 35 % l’an dernier.
Abercrombie & Fitch poursuit sa course seule…
Le plat pays a toujours eu une saveur un peu particulière pour Superdry. En dehors de la Grande-Bretagne, la Belgique fut le premier marché à accueillir le produit à bras ouverts. Le spécialiste belge du prêt-à-porter Luc Clément l’a découvert en 2004, à l’occasion d’un salon professionnel. Il y a cru tellement fort qu’il s’est lancé à fond dans l’aventure, avec sa société CNC Collections, qui employait à l’époque 80 personnes. Luc Clément a également mis sur pied une formule de franchise, destinée à assurer la distribution de la marque au Benelux et en France. En 2010, on recensait 12 points de vente Superdry en Belgique et 29 au Benelux et dans l’Hexagone. La Belgique en compte désormais 25, et d’autres continuent de s’ouvrir régulièrement.
En 2011, Superdry s’offre CNC Collections. Intégré dans l’équipe, Luc Clément est chargé de conquérir le reste du continent européen. La Grande-Bretagne n’assure désormais plus que 28 % du chiffre d’affaires, les 72 % restants provenant essentiellement d’Europe continentale, d’Asie et des Etats-Unis. Nonante-huit pour cent de la superficie commerciale ouverte l’an dernier l’a été en dehors de l’Europe. Ce qui permet à l’entreprise de ne pas être tributaire des difficultés posées par le Brexit ou par des cours du change défavorables, par exemple.
Superdry a souvent été comparée à l’américaine Abercrombie & Fitch, qui vise elle aussi le marché des jeunes ados et qui connut son heure de gloire en même temps qu’elle. Mais Abercrombie & Fitch n’a pas tenu ses promesses, tant s’en faut. Son chiffre d’affaires cède du terrain pour la quatrième année consécutive ; les tentatives pour séduire à nouveau la clientèle sont jusqu’ici demeurées vaines. L’entreprise fut même, un temps, proposée à la vente mais, en l’absence de candidats, la direction décida de poursuivre la course seule.
“Beautiful people”
A quoi Superdry doit-elle la constance de son succès ? Paul Moers, expert en marketing, la qualifie d'” entreprise posée “. ” Elle peut se vanter d’avoir eu un parcours quasiment sans faute, alors qu’Abercrombie & Fitch s’est enlisée, notamment à cause des déclarations controversées de son CEO, qui avait fièrement évoqué une ‘marque pour les beautiful people‘. ” Il suffit de voir le personnel se dandiner en tenue sexy… Lorsque, jetant de l’huile sur le feu, le boss ajouta qu’il aurait préféré n’habiller que des clients beaux et minces, A&F fut très vite jugée beaucoup moins cool. ” Ce fut une grave erreur, explique Paul Moers. D’autant que s’adresser explicitement aux personnes très minces est un suicide commercial, en ces temps où l’obésité règne en maître. ”
La gestion du produit elle-même n’est pas irréprochable. Lorsqu’une marque ne se renouvelle pas, ou à peine, même ses plus grands fans finissent par se lasser. ” Le problème de nombreuses marques est qu’elles se reposent sur leurs lauriers dès qu’elles ont trouvé une niche porteuse “, constate Paul Moers. Alors qu’elles devraient justement évoluer en fonction des besoins du client. ” Ceci étant, c’est tout sauf facile, poursuit-il. Voyez Marks & Spencer qui n’y est jamais parvenue. Abercrombie & Fitch n’a, elle non plus, pas réussi à embrayer suffisamment rapidement. ”
Le problème de nombreuses marques est qu’elles se reposent sur leurs lauriers dès qu’elles ont trouvé une niche porteuse.
Tout le contraire de Superdry qui, elle, n’a cessé d’évoluer et de se renouveler. Si jadis l’enseigne était, à l’instar de sa grande concurrente, surtout connue pour ses logos tape-à-l’oeil, elle a compris à temps que le criard, c’était dépassé. Certes, les pièces frappées de lettres immenses continuent de faire partie des collections, mais les clients branchés et les modeuses leur préfèrent désormais les logos plus discrets, voire une neutralité totale. Certaines collections récentes ont même comporté des tops, robes et jupes ultra-féminines, peut-être même un brin frivoles, qui à première vue incarnaient tout ce que Superdry n’était pas.
Diversification
Le renouvellement s’exprime au niveau non seulement des modèles, mais aussi de la taille de la gamme. Au départ très restreint, presque exclusivement centré autour du célèbre sweat à capuche, l’assortiment n’a pas tardé à se muer en une collection complète. A laquelle sont venues s’ajouter par la suite des lignes de chaussures, de sous-vêtements, d’accessoires et de produits cosmétiques, ainsi qu’une collection pour le ski et une autre pour le sport ; l’entreprise ouvre même, pour ce dernier segment, des magasins distincts.
Avec une gamme si étoffée, Superdry incarne désormais un véritable art de vivre. Sans compter que l’extension de ses collections lui a permis de séduire également un public légèrement plus âgé. ” Son groupe-cible va de 12 à, grosso modo, 50 ans, analyse Paul Moers. Ce qui est plutôt malin, car aucun comportement d’achat n’est aussi capricieux et imprévisible que celui des ados, lesquels n’hésitent pas à recourir également aux géants du commerce virtuel. ”
L’aménagement des boutiques lui-même – très industriel, avec ses surfaces en béton et son bois clair – est, d’après Paul Moers, un autre facteur de réussite : ” Abercrombie & Fitch privilégie les ambiances extrêmement sombres, baignées de parfums lourds et d’une musique tonitruante. L’idée est de créer une atmosphère relativement mystérieuse, mais le consommateur veut pouvoir voir ce qu’il achète “.
Autre stratégie payante, toujours selon Paul Moers : le fait que Superdry a délibérément limité le nombre de ses boutiques, ce qui garantit à ses clients une certaine exclusivité. ” Il fut un temps où Abercrombie & Fitch avait trop de magasins, conclut Paul Moers. Alors même qu’initialement, une grande part de sa magie provenait du fait que les vêtements n’étaient pas disponibles en Europe et qu’il fallait les importer des Etats-Unis. Enfin, Superdry n’a jamais rogné sur la qualité. C’est une chose qui n’échappe pas au consommateur. De surcroît, en faisant très peu de soldes, la marque évite de se dévaluer. ”
Par Karin Eeckhout.
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