Des pépites belges à Helsinki au cœur d’un écosystème tech bouillonnant

Slush est un salon où 6.000 start-up technologiques venues du monde entier tentent d’y décrocher une part des 4.000 milliards d’euros de capital privé disponible.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

L’intelligence artificielle offre de nouvelles opportunités à nos start-up. Plusieurs d’entre elles ont participé à une mission en Finlande, dans le cadre de Slush 25, un salon enfiévré où d’importants capitaux privés sont disponibles. Des drones de combat, des sourires rénovés ou un enseignement augmenté, voici de belles promesses.

A Helsinki, l’énergie de la prochaine évolution de l’intelligence artificielle est palpable, celle qui transformera l’essai en d’innombrables nouvelles applications. Lors de Slush, un salon enfiévré de deux jours, 6.000 start-up du monde entier ont tenté de décrocher une part des 4.000 milliards d’euros de capital privé disponible. Dans les pourtours de la capitale finlandaise, un écosystème témoigne de la vitalité de cette tech nordique dont l’ambition consiste à tenir la dragée haute aux États-Unis. Ici, les rêves peuvent être démesurés et nos Régions peuvent en retirer des leçons.

Une bonne trentaine d’entreprises belges, issues des trois Régions, et quelques investisseurs sont venus goûter cette année la saveur de Slush, les 19 et 20 novembre, pour capturer une parcelle de cet air du temps revigorant. Les speed datings avec des investisseurs se sont multipliés dans une ambiance de discothèque. “Venir ici, c’est un accélérateur de développement pour ces entreprises, soulignent Jérôme Bronckart et Guy Vanpaesschen, de l’Agence wallonne à l’exportation (Awex). C’est une confrontation au marché, aux investisseurs et une manière de tester son positionnement. En deux jours, on apprend davantage qu’en six mois d’existence.”

“Protéger l’Europe”

S’il est un homme heureux d’être venu à Helsinki, c’est bien Geoffrey Mormal, CEO de ALX Systems. Actif dans un secteur de la défense devenu la nouvelle poule aux œufs d’or, il a recueilli plusieurs promesses de levées de fonds pour un total de 5 millions. Son leitmotiv : protéger l’Europe en produisant des drones capables de viser une cible en toute précision avec l’IA ou de contrer des drones agresseurs. C’est une revanche pour lui, qui avait connu une première faillite en produisant des drones pour l’agriculture.

Les “speed datings” avec des investisseurs se sont multipliés dans une ambiance de discothèque.

“Cette levée de fonds devrait me permettre de créer une usine en Belgique pour avoir une capacité de production de masse, explique-t-il. Les drones que j’ai mis au point peuvent être fabriqués pour une bouchée de pain et être assemblés en moins d’une heure. C’est comme un meuble Ikea.” Le conflit ukrainien a éveillé l’importance pour l’Europe de reconstruire sa défense face à la menace russe. Si Geoffrey Mormal s’est lancé dans cette nouvelle aventure, c’est avant tout parce qu’il est convaincu qu’une agression pourrait survenir prochainement. Ses drones peuvent contribuer à la protection d’une Europe qui n’est pas prête sur le plan militaire.

“En Ukraine et en Russie, ils utilisent principalement des drones tels qu’on les produisait il y a 10 ou 15 ans, explique-t-il. Moi, j’y ajoute de l’intelligence artificielle pour guider le drone avec précision, détecter une cible et la détruire. Technologiquement, nous sommes en avance. Je suis d’ailleurs en contact avec des sociétés ukrainiennes qui veulent travailler avec moi pour gagner du temps.” S’il est prêt à collaborer avec elles, c’est en raison de l’urgence géopolitique, mais aussi pour continuer à garder la main. “Dans mon domaine, pour garder sa place, il faut continuer à innover en permanence et apporter des solutions aux ripostes de l’adversaire”, ajoute-t-il.

À l’entendre, les affres de la guerre se rapprochent. Ce vrombissement effraie depuis la Finlande, un pays devenu membre de l’Otan et habitué historiquement à affronter la Russie. “L’important, c’est d’être prêt, sourit-il. Je devrais aller tester mes drones au début de l’année prochaine sur le front en Ukraine.”

“Accompagner l’éducation”

Avec sa start-up Amanote, Adrien Fery répond à une autre urgence de notre époque : accompagner le mouvement de l’intelligence artificielle au sein de l’enseignement de nos universités. “Nous avons créé l’entreprise il y a cinq ans au départ de l’UNamur, raconte-t-il. Le point de départ, c’est le nombre de PDF, de slides ou de documents statiques qui sont produits pour les cours. Nous offrons une solution interactive qui ajoute une prise de note, une plateforme d’échanges entre étudiants et avec l’enseignant, mais aussi un recours adapté à l’IA.”

Concrètement, le produit offert par Amanote permet d’aller rechercher dans le magma des documents des explications précises pour expliquer un concept oublié ou une notion incomprise. “Des plateformes existent pour les universités, mais surtout pour la partie administrative, prolonge Adrien Fery. C’est très basique. Nous développons le volet concret de l’étude.” C’est aussi une façon d’organiser le chaos : en cette ère de l’IA, le recours à ChatGPT est devenu un réflexe pour une majorité de jeunes, en décalage complet avec le flux des cours. Amanote permet de réintroduire de la rigueur et de la continuité. “Pour maximiser l’apprentissage tout au long du parcours”, dit-il.

Une quarantaine de clients utilisent déjà l’outil en Belgique, en France, en Italie et aux États-Unis. “C’est notamment le cas de l’université de Rome, la plus grande en nombre d’étudiants, se félicite Adrien Fery. Une levée de fonds nous permettra de passer à l’étape supérieure, notamment en développant notre approche commerciale.”

“Restaurer les sourires”

L’ambition des “petits Belges” présents à Helsinki avec l’Awex, hub.brussels ou Startup.Flanders est sans limites. Dans un univers tech où notre pays n’est pas toujours placé sur le devant de la scène, ils ne s’en laissent pas compter. Pierre Chelala, CEO de Digital Dental Design Robotics, en est une belle illustration. “Je suis prothésiste dentaire depuis 1985, après être arrivé du Liban en fuyant la guerre, raconte-t-il. Je suis passionné par ce métier. Et je n’ai cessé de me former au niveau international. Et j’ai multiplié les innovations, en étant le premier à utiliser le scanner 3D. Ce que nous faisons est très noble : restaurer les sourires des gens et améliorer leur vie.”

L’expérience aidant, il a ouvert plusieurs laboratoires en France. Mais a surtout mis le doigt sur un problème de taille : le manque de précision dans le travail préparatoire, notamment le taillage de la dent. “J’ai recherché des méthodes avec des ingénieurs pour améliorer le processus. Et j’ai inventé des robots pour faciliter le travail du dentiste dans ce moment délicat, dit-il. La démarche est tout à fait inversée : les patients passeront désormais dans une clinique pour un scan préalable de la bouche avant d’élaborer la prothèse avec une extrême précision grâce à une intelligence artificielle. Tout est préparé pour le travail du robot, sous la supervision du dentiste. Ce qui est disruptif, c’est qu’il n’y aura plus d’imprévisibilité.”

Selon lui, cette digitalisation pour rendre le sourire parfait devrait être “obligatoire” et l’objectif consiste aussi à en “démocratiser le prix”. “Ce doit être une mesure de sécurité pour le patient et cela peut aider à développer, grâce aux données, une dentisterie préventive, souligne Pierre Chelala. Nous avons déjà démontré que le robot fonctionne et que la précision est sans précédent. Deux brevets sont déjà obtenus aux États-Unis. Je suis persuadé que nous avons en mains quelque chose d’énorme pour contribuer au bien-être du monde entier. Mon ambition, c’est de devenir un leader mondial dans les soins prothésistes dentaires.” Il le sait, le chemin est encore long, mais son sourire en dit long sur sa détermination.

“Augmenter les conseils d’administration”

L’intelligence artificielle ouvre de nouvelles voies, encore faut-il en guider l’orientation pour éviter qu’elle ne devienne une bulle sans sens. Après avoir créé Monizze, le chèque-repas devenu leader du marché belge, Jean-Louis Van Houwe a créé un nouvelle start-up, baptisée Govrn. “C’est ce que l’on appelle un board management software, qui permet de gérer des conseils d’administration”, précise-t-il.

L’objectif consiste à mettre en place des CA performants et de les aider à prendre de bonnes décisions. Un enjeu majeur. “La mission principale, c’est d’augmenter la capacité des administrateurs en leur permettant d’aller beaucoup plus vite. Nous avons modélisé le cerveau d’un administrateur d’une façon bien plus fine qu’une IA classique. Dans une entreprise d’une certaine taille, par exemple, vous pouvez avoir jusqu’à 10.000 pages à analyser par an. Je sais que ce sont des gens compétents, mais tout de même, cela est pratiquement inhumain. Un tel outil leur permet d’être mieux avisés. Nous ne pouvons plus nous permettre de travailler comme avant.”

Commercialisé depuis deux ans, le produit est utilisé par une quinzaine de clients. “Mais nous voulons passer à l’étape supérieure. Ce n’est évidemment pas un secteur où il n’y a personne sur le marché, mais nous offrons une solution inédite dans sa capacité à augmenter les administrateurs. J’insiste : il ne s’agit pas de les remplacer.”

Des téléphones reconditionnés aux sons captés

L’éventail des solutions belges est important. Philippe Honhon, CEO de Back2buzz, est un habitué des grands-messes technologiques et porte depuis quelques années une production de téléphones reconditionnés. “Nous avons créé l’entreprise en 2016 avec l’intention de développer l’économie circulaire. Et le téléphone reconditionné était le moyen qui nous semblait le plus efficace pour y arriver, dit-il. Et nous sommes devenus le leader en Belgique, mais cela ne représente qu’une petite part du marché. Nous sommes, finalement, plus connus à l’étranger avec notamment de grands acteurs de l’assurance, comme Axa ou Allianz, qui font appel à nos services.”

Ne perdant pas le nord, Philippe Honhon s’attaque désormais aux marchés émergents. “Notre volonté de croissance passe par La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique ou la Corse, des marchés où il y a énormément de choses à faire et un sentiment identitaire qui n’existe pas en Belgique. Nos partenaires sont sensibles à ce qui est fabriqué localement.” De quoi croire en l’avenir.

CEO de Soundnodes, Marc Boitel est, lui, désireux de tester l’attractivité de ses produits. “Je ne cherche pas immédiatement à lever des fonds. Je veux avant tout voir si ce que l’on fait plait, raconte-t-il. Cela fait 35 ans que je travaille pour des groupes médias comme RTL, NRJ ou Nostalgie. Il y a une quinzaine d’années, nous avons développé une solution de reconnaissance automatique de contenus pour valider le passage des publicités à l’antenne. C’était un fameux défi de développer un produit ne commettant aucune erreur, cela nous a demandé six ans de R&D. Mais la radio, désormais, est en perte de vitesse et nous avons prolongé notre idée.”

“Je ne cherche pas immédiatement à lever des fonds, je veux avant tout voir si ce que l’on fait plaît.” – Marc Boitel, CEO de Soundnodes

Les besoins sont, en effet, plus importants que jamais en cette période de profusion de messages à travers les plateformes et les réseaux, notamment pour les sociétés de droits d’auteur. Soundnodes propose plusieurs petits boîtiers qui captent les sons en permanence et permettent de déceler précisément les sources de revenus.

“La redistribution était basée auparavant sur du déclaratif ou sur les chiffres de la radio, prolonge-t-il. Les Hallyday, Goldman et autres étaient payés sur cette base qui n’est plus du tout réelle. Notre outil de reconnaissance a été réinventé avec des intelligences artificielles développées à 100% par nos soins. Nous offrons une solution toute trouvée, que j’ai baptisée Radio Spy, pour décentraliser la capture des sons.” Sur une carte, Marc Boitel montre les lieux en Europe et aux États-Unis où ses boîtiers recensent déjà les diffusions des télévisions, radios, restaurants et autres discothèques. “Notre clientèle est potentiellement très vaste”, dit-il.

“Le Slush d’Helsinki est l’événement le plus adéquat pour mettre en valeur nos start-up, se félicitent Jérôme Bronckart et Guy Vanpaesschen. La recherche d’investisseurs privés y est inédite en Europe. Cela s’inscrit parfaitement dans la nouvelle stratégie de l’Awex où la recherche de capitaux est cruciale.” Parce que l’argent public, lui, devient limité.

“IQM, le maître d’Helsinki”

Si l’énergie vitale d’Helsinki est perceptible, c’est bien dans les locaux d’IQM, situés à quelques kilomètres du centre-ville, dans un bâtiment de bureaux typique de la Finlande où les sociétés se partagent l’espace. Née de l’ingéniosité d’étudiants, cette entreprise développe des ordinateurs quantiques qui essaiment déjà aux quatre coins du monde. Elle vient de mener une deuxième levée de fonds à 300 millions d’euros. Et son cofondateur, Juha Vartiainen, se félicite déjà de rivaliser avec les États-Unis et la Chine depuis la petite Finlande.

“En Finlande, nous avions l’habitude de ne penser que localement. Il était urgent de s’impliquer dans un business qui est forcément global.” – Juha Vartiainen, cofondateur d’IQM

Comment explique-t-il un tel succès ? La question l’amuse. “C’est le fruit de six années de recherche académique, nous dit-il. Quelques entreprises avaient commencé cela avant nous et donné naissance à un écosystème. Cela a développé un état d’esprit entrepreneurial qui n’existait pas forcément auparavant. Il s’agit, notamment, d’accepter l’échec pour mieux rebondir. Nos premières machines ont été opérationnelles en 2015 et la politique des taux zéro a permis notre développement. De façon générale, depuis cette époque-là, il y a un nombre croissant de licornes qui ont vu le jour en Europe. Nous avons changé d’échelle.”

Sa volonté de combattre à l’échelle mondiale avec les Américains et les Chinois ? “En Finlande, nous avions l’habitude de ne penser que localement, sourit-il. Nous nous sommes dit qu’il était urgent de s’impliquer dans un business qui est forcément global.”

C’est aussi simple que cela. Les petites entreprises belges n’en sont pas encore là. Mais elles ont peut-être puisé dans le bouillonnement d’Helsinki des raisons d’y croire.

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