Simplifier la vie des entreprises, c’est compliqué


Alors qu’on attend les mesures wallonnes et fédérales, les dernières propositions européennes provoquent des réactions mitigées et engendrent de nouveaux problèmes.
Depuis que Mario Draghi a publié son rapport sur la compétitivité de l’économie européenne, la simplification est le mot à la mode. Cela peut se comprendre. Si l’on s’en tient à la Belgique, le Moniteur belge a publié l’an dernier presque 500 pages par jour de textes législatifs et réglementaires. Le Bureau du Plan a estimé à six milliards d’euros le coût total des charges administratives incombant aux entreprises et aux indépendants belges en 2022.
Mais lorsque l’on parle de simplification, comme le souligne Olivier Vandenabeele, conseiller auprès de l’UCM, le problème est que “cela part un peu dans tous les sens”.
La Région, le fédéral, l’Europe…

Au niveau régional wallon, le nouveau gouvernement prépare son choc de simplification. “La présentation des résultats de ces travaux a été annoncée pour la fin du premier trimestre 2025”, rappelle Thomas Degrez, le porte-parole de Jacqueline Galant, la ministre qui sera plus spécialement en charge du sujet.
Au niveau fédéral, le mot “simplification” apparaît 29 fois dans l’accord de gouvernement, dont l’agenda comprend la suppression du Federal Learning Account (la gestion des droits à la formation des travailleurs), la suppression du premier emploi, un projet de sécurité sociale numérique (e-gov3), une série de simplifications concernant le calcul des cotisations sociales ou le travail à temps partiel.
Et puis, au niveau européen, la Commission a présenté, voici quelques jours, son paquet Omnibus, un premier ensemble de mesures qui veut apporter “une simplification substantielle dans le domaine de la durabilité et des programmes d’investissement de l’Union européenne”.
Ces mesures, qui doivent encore passer le cap du Conseil et du Parlement, veulent alléger considérablement les charges des entreprises, surtout celles relatives à deux directives : la CSRD, qui impose progressivement des obligations de reporting aux entreprises en commençant, dès ce mois de janvier, par les entreprises cotées. Et la CS3D, qui impose aux très grandes entreprises des obligations de diligence, c’est-à-dire d’agir vraiment pour réduire l’impact humain et environnemental de leurs activités.
Trois chantiers
Si l’on interroge les entreprises, elles ont trois types de demandes, résume Olivier Vandenabeele. “Le premier concerne une série de quick wins, des mesures concrètes que l’on peut rapidement décider. Il y a par exemple des différences de réglementations entre la Région bruxelloise et la Wallonie qui amènent une complexité inutile. Par exemple, les taximen n’ont pas les mêmes délais en termes de contrôle technique, six mois d’un côté, un an de l’autre. Certaines demandes concernent les reconnaissances automatiques, par exemple en tant que transporteurs de déchets dangereux. Si je suis reconnu dans une Région, je devrais l’être automatiquement dans l’autre.
“Il y a des différences de réglementations entre la Région bruxelloise et la Wallonie qui amènent une complexité inutile.”

Olivier Vandenabeele – Union des Classes moyennes (UCM)
Des mesures très concrètes pourraient aussi être prises concernant le raccourcissement de délais ou des adaptations dans les textes réglementaires comme les permis d’urbanisme ou d’environnement.
Les entreprises désirent aussi améliorer la numérisation des processus : très concrètement, si je veux changer le siège social de ma SPRL, je dois publier un acte au Moniteur belge. Et là, on rentre dans les joyeusetés. La procédure est encore 100% papier. Il faut imprimer différents formulaires qu’il faut compléter. Surtout ne pas se tromper. Il faut les envoyer par la poste au greffe du tribunal de l’entreprise qui effectue une série de vérifications. Il faut joindre une série d’annexes au document. Et ces annexes ne sont pas les mêmes si l’on s’adresse au tribunal de l’entreprise de Bruxelles ou de Liège.”

“Administration, veuillez rester à l’appareil…”
Le deuxième chantier concerne la manière dont la relation s’effectue avec l’administration. “La plupart du temps, quand vous appelez la Région wallonne, si le fonctionnaire n’est pas disponible, il y a deux sonneries, puis la communication est interrompue, note Olivier Vandenabeele. C’est frustrant quand on attend une réponse pour pouvoir s’organiser. Dans ce groupe de demandes, on trouve aussi tout ce qui relève du droit à l’erreur.”
Pour notre interlocuteur, “il faudrait pouvoir rectifier une demande de prime sans devoir recommencer toute la procédure. Ou encore, certains se rendent compte qu’ils ont commis une erreur, ils veulent la rectifier et sont sanctionnés. Il faudrait pouvoir s’inscrire dans une relation partenariale, que le chef d’entreprise ne soit pas considéré comme un fraudeur potentiel, mais plutôt quelqu’un qui contribue à l’économie, qui se débat dans les réglementations et est a priori de bonne foi. De même, au niveau fiscal, les personnes qui, de manière non délibérée, introduisent une déclaration erronée ne devraient pas se voir infliger automatiquement une majoration d’impôt de 10%.”
Le troisième grand chantier concerne les accès informatiques. Il y a évidemment les problèmes récurrents des accès aux sites du ministère des Finances qui exaspèrent fiscalistes et comptables. Mais ce n’est pas tout. “On a développé des applications de tous côtés : My MinFin, My Entreprise, My Justice… On pourrait s’attendre à toutes les trouver au même endroit, mais ce n’est pas le cas, constate le conseiller de l’UCM. Le SPF Économie a développé la Banque-Carrefour des Entreprises, le SPF Affaires intérieures a développé le registre national, etc. L’accès aux données du registre national est, par exemple, payant dans la plupart des cas. Si une autre administration, pour obéir au principe de la loi only once (qui impose de ne pas demander plusieurs fois les mêmes informations au citoyen), doit y accéder, elle doit payer, mais il arrive qu’elle estime que cela n’en vaut pas la peine (et redemande donc l’information au citoyen). C’est un travail de fond, note Olivier Vandenabeele. Dans cinq ans, je crois que la revendication d’une simplification sera toujours d’actualité.”
Échapper au ruissellement
Il ajoute : “il y a aussi un phénomène nouveau : ce sont les obligations administratives indirectes. On fixe des obligations aux grandes entreprises et celles-ci les répercutent ensuite sur les plus petites”.
Effectivement, observent Gauthier van Thuyne et Axel de Backer, avocats auprès du cabinet A&O Shearman, on note que dans pas mal de réglementations européennes, “on impose aux grandes sociétés un code de conduite, mais les PME qui sont dans la chaîne d’activité de ces groupes doivent respecter ces codes de conduite elles aussi et cela revient à ce qu’elles fassent une grande partie du travail”.
Pour éviter que ce “ruissellement” de réglementations n’inonde les PME, la Commission européenne a sorti, voici quelques jours, son paquet Omnibus, censé simplifier, entre autres, les obligations réglementaires découlant des directives CSRD et CS3D. Ce sont des réglementations qui poussent les entreprises européennes à être des modèles en matière de respect des droits environnementaux et humains. La CSRD impose des obligations de reporting, ainsi que des actions pour réduire l’impact environnemental et social.
Le paquet Omnibus propose de réduire les obligations de reporting prévues dans la CSRD aux entreprises de moins de 1.000 personnes ou moins de 450 millions de chiffres d’affaires (auparavant, la barre avait été placée plus bas : 250 personnes et 50 millions de chiffre d’affaires).
La CS3D, de son côté, oblige les grandes entreprises (environ 6.000 dans l’UE et 900 en dehors) à un “devoir de vigilance” en matière de durabilité et à agir en conséquence. Pour cela, ces groupes doivent demander aux acteurs qui sont dans la chaîne de valeur de ces entreprises (les fournisseurs, les transporteurs, etc.) de nombreux renseignements qui alourdissent considérablement la tâche de ces PME. La Commission propose dès lors de réduire les contraintes imposées par cette directive, dont la date limite de transposition serait par ailleurs reportée d’un an, à juillet 2028.
“Tout n’est pas toujours très clair”
Mais ce paquet Omnibus, s’il simplifie en effet les obligations des entreprises, pose néanmoins des problèmes, soulignent Gauthier van Thuyne et Axel de Backer. “Tout n’est pas toujours très clair, observe Gauthier van Thuyne. Pour ce qui touche à la CS3D et à l’obligation de diligence des grandes sociétés, certains éléments du nouveau texte semblent autoriser une plus grande flexibilité concernant les relations entre les grandes entreprises assujetties à ce programme et les PME avec lesquelles elles sont en affaires. Ces dernières ne devraient pas répondre à des milliers de questions ou pourraient être dispensées d’être impliquées dans le processus de priorisation des efforts que font ces entreprises pour atténuer les impacts adverses au niveau du droit humain ou du droit de l’environnement.”
“Le paquet Omnibus vise à exclure de ces obligations de la CS3D les partenaires indirects, comme ceux auxquels ces entreprises ont externalisé certaines activités, les transporteurs, les fournisseurs d’un service ponctuel et autres, souligne Gauthier van Thuyne. Cela facilitera la vie des PME parce qu’elles ne seront plus impliquées dans les plans de due-diligence des grandes sociétés qui, d’ailleurs, ne devront plus être présentés chaque année, mais tous les cinq ans.”
Les obligations sont également allégées pour les entreprises partenaires directs, ajoute Axel de Backer. “La Commission a proposé d’aligner l’information que l’on peut demander à un partenaire direct, s’il s’agit d’une société de moins de 500 personnes, celles que la PME doit fournir dans le cadre de la directive CSRD. Là aussi, on voit la volonté de protéger les PME”, dit-il.
“Beaucoup de gens sont mécontents en ce moment, mais pour des raisons très différentes.”

Axel de Backer, avocat chez A&O Shearman
Un travail bâclé ?
Mais ce paquet Omnibus engendre bien des questions. D’abord, parce qu’il modifie le calendrier des entrées en vigueur de ces directives. Ce n’est pas trop important pour la CS3D, qui ne devait être de toute façon être transposée dans les États membres qu’en 2026 avec un premier groupe d’entreprises qui n’entreraient dans le champ d’application qu’en 2027. Désormais, c’est 2028.
Mais pour la CSRD, c’est une autre histoire parce qu’elle est déjà entrée en vigueur en janvier, en tout cas pour les grandes entreprises cotées en Bourse. “Le changement apporté par Omnibus serait très impactant, affirme Axel De Backer. En 2025, toutes les grandes entreprises cotées doivent déjà préparer leur premier rapport CSRD ; les premiers rapports sont en cours de publication. Mais maintenant, la Commission annonce que la deuxième vague d’entreprises qui devaient rendre leurs rapports l’année prochaine, à savoir toutes les grandes entreprises non cotées – et il y en a beaucoup en Belgique – bénéficient d’un délai supplémentaire de deux ans. Cela crée un terrain de jeu très inégal. En Belgique, vous avez deux entreprises très similaires : DEME et Jan De Nul. La première est une société cotée. Elle doit rendre son rapport cette année. Mais la seconde bénéficie de deux ans supplémentaires. Y a-t-il une bonne raison à cela ? Pas vraiment.”
Ce n’est pas tout. Car si la Belgique a transposé, dans les temps, en droit national la directive CSRD, d’autres pays, comme le Luxembourg ou les Pays-Bas, ne l’ont pas fait et ont préféré attendre la publication du paquet Omnibus. “Il est donc possible que le Luxembourg dise, si la CSRD est modifiée comme la Commission le désire, que toutes les entreprises, cotées ou non, devront simplement rendre leurs rapports dans deux ans. Cela créerait un terrain de jeu inégal entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Si nous arrivons à cette situation, c’est en raison d’un travail bâclé réalisé dans un délai très court, sans véritable consultation, et cela crée ces énormes problèmes”, remarque Axel de Backer.
Nous sommes donc dans une situation très étrange où, du côté des entreprises, les gens disent : “C’est bien que vous simplifiez enfin la CSRD, mais vous avez fait un mauvais travail sur plusieurs points, ce qui crée en fait de nouveaux problèmes juridiques.”
Et en même temps, on voit que les ONG – comme l’Institut danois des droits humains qui a remis un rapport très virulent – critiquent la Commission européenne. Beaucoup de gens sont mécontents en ce moment, mais pour des raisons très différentes”, conclut l’avocat.
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