La Wallonie produit deux millions de sapins annuellement. Deuxième pays exportateur européen, la Belgique est un acteur clé en Europe. Cette année, une gelée surprise a touché le secteur et condamné jusqu’à 70% des arbres sur certaines exploitations. Les prix ont logiquement été impactés, mais le sapin wallon résiste. La filière dégage un chiffre d’affaires d’environ 35 millions d’euros par an.
Le printemps avait pourtant été doux, les jeunes pousses en avaient bien profité et les sapins se faisaient une dernière beauté avant leur sélection pour Noël 2025. C’était sans compter un dernier coup de Mère Nature. Dans la nuit du 23 mai, une gelée surprise – “tardive” s’accordent à dire les producteurs – faisait trembler les plantations. “Elle était répartie sur l’ensemble de la province du Luxembourg, mais aussi en Allemagne et au Danemark. Dans la production européenne, tout le monde a été impacté, hormis la France”, constate Louis Brasseur, pépiniériste basé à Neufchâteau.
“Cette combinaison d’événements a vraiment fragilisé le secteur”, reconnaît Florian Grosjean, chargé de mission au sein de l’Union ardennaise des pépiniéristes (UAP). Les jeunes pousses n’en sont pas toutes sorties indemnes. “Certaines ont complètement gelé.” La fédération a observé des dégâts sur 20 à 70% des sapins, selon les plantations. “Une cinquantaine de producteurs, qu’ils soient de nos membres ou non, se sont manifestés pour obtenir une intervention des calamités agricoles. Ce n’est pas négligeable.” Louis Brasseur a été impacté, “comme tous les copains”, à hauteur de 15% et sur des sapins de tout âge. “Ce sont des arbres qui auraient entre 60 et 120 centimètres. Il a fallu faire des tailles d’été sur certaines parcelles. On a aussi puisé dans nos stocks prévus pour l’année prochaine.”
“On pourra répondre à la demande du marché wallon sans souci et avec des sapins de qualité.”
“Qui dit taille, dit main-d’œuvre supplémentaire et coûts pour les producteurs”, poursuit Florian Grosjean. En contrepartie, les prix ont logiquement augmenté, de 5 à 15% en moyenne. “On pourra répondre à la demande du marché wallon sans souci et avec des sapins de qualité”, rassure le chargé de mission à l’UAP. On attend au moins cela pour un secteur aussi important en Wallonie.
35 millions d’euros
La culture wallonne de sapins se concentre dans l’est de la Région, “sur le Luxembourg et une partie du sud du Namurois”, décode Florian Grosjean. L’UAP fédère une quarantaine de membres, mais la profession comptabilise une cinquantaine de producteurs. Selon les quelques chiffres dont dispose l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité (Apaq-W), le sapin occupe 3.100 hectares de terrain, soit 0,42% de la surface agricole utile en Wallonie. Près de deux millions de sapins sont produits chaque année, pour un chiffre d’affaires qui avoisine les 35 millions d’euros. De quoi donner du travail pour environ 1.000 emplois équivalents temps plein. Économiquement, aucun autre sous-secteur de l’horticulture ornementale ne fait mieux en Wallonie.
“Tout cela contribue à une économie parallèle pour le transport, les machines, la fabrication de palettes, se félicite Louis Brasseur. Rien qu’aujourd’hui (fin novembre, en pleine saison, ndlr), il y a plus de 40 semi-remorques qui vont partir de nos trois sites d’exploitation.” Altitude 500 regroupe l’ensemble des pépinières de la famille Brasseur. Le groupe fait partie des cinq acteurs majeurs du sapin de Noël en Europe. L’entreprise, qui se targue d’être “entièrement familiale depuis 40 ans”, atteint un chiffre d’affaires annuel entre 12 et 15 millions d’euros. Elle cultive 600 hectares en Belgique et 400 en France. C’est beaucoup, mais il faut bien cela. “La rotation des cultures est extrêmement longue. Pour le Nordmann (variété la plus répandue dans le sapin de Noël ; voir plus loin, ndlr), on parle d’une exploitation de sept à dix ans.”
En tout et pour tout, la culture d’un sapin s’étend sur neuf ans. “Il y a deux ans de pépinière, de la graine jusqu’au plant qui mesure quelques centimètres”, complète Florian Grosjean. Les plants sont ensuite repiqués dans des productions moins denses, pour qu’ils aient plus d’espace. “En général, ce sont 8.000 plants par hectare à ce stade.” Vient ensuite la période la plus importante, dixit Louis Brasseur : le marquage des sapins qui seront vendus à la fin de l’année. “Elle commence aux alentours du 15 août. Nos équipes doivent qualifier les arbres correctement, pour que le consommateur s’y retrouve dans la qualité qu’il va choisir. Ce sont ces personnes qui font la force d’une entreprise”, confie le gérant.
En Région wallonne, le groupe Altitude 500 compte une quarantaine de temps pleins. “Ils sont là toute l’année, pour la préparation des terres, la plantation, l’entretien, la taille de formation, la taille d’été, etc.”, passe en revue Louis Brasseur. Durant la haute saison, qui coule du 15 octobre au 12 décembre, les équipes s’agrandissent pour atteindre jusqu’à 350 personnes. “Nous bénéficions du régime particulier de la carte cueillette.” En Wallonie, cette carte permet aux producteurs d’engager des ouvriers saisonniers. Elle offre des avantages fiscaux pour l’employeur et une réduction des cotisations ONSS pour le travailleur saisonnier.
“Il est de plus en plus difficile de recruter de la main-d’œuvre.”
Les salaires restent tout de même plutôt bas : depuis 2023, ils sont équivalents à ce qu’offre la catégorie la plus basse du secteur de l’agriculture et horticulture. “Il est de plus en plus difficile de recruter de la main-d’œuvre, ce qui ne facilite pas les choses, pointe Louis Brasseur : 80% de celle-ci est étrangère chez nous.” Une situation qui pose, à moyen terme, la question de l’attractivité du métier et de sa pérennité.
Deuxième pays exportateur européen
Les Belges ne sont pas les seuls à profiter des sapins qui poussent en Ardennes, loin de là, puisque 85% des deux millions d’arbres produits annuellement sont exportés, selon l’Apaq-W. Louis Brasseur a poussé le curseur jusqu’à 90%. “On fait partir plus ou moins 600.000 arbres de Belgique et 150.000 de France.” De quoi participer à faire de la Belgique le deuxième pays européen exportateur, juste après le Danemark, et devant l’Allemagne et la France. “En termes de production, les plus gros restent l’Allemagne et le Danemark”, tempère Florian Grosjean. Les Allemands produisent ainsi 22 millions d’arbres par an et les Danois 10 millions.
Exporter autant implique aussi de s’aligner sur ce qui se fait en dehors des frontières. C’est ainsi que Louis Brasseur prédit une pression supplémentaire : “On observe un recul de production au Danemark. Ils étaient à 12 millions d’arbres il y a encore peu de temps. Cela entraîne forcément une pression sur les prix, qui va se répercuter dans le futur.” Tout de même, “si nous avons eu l’occasion de prendre autant de parts de marché, c’est parce que nous avons mis énormément d’efforts dans la culture, souligne le gérant. Aujourd’hui, ce sont des équipes de professionnels qui gèrent la croissance des arbres d’une année à l’autre. Notre qualité est reconnue à travers l’Europe, surtout en France, qui représente 50 à 60% de notre marché.”
Pour ne pas perdre cette reconnaissance, l’UAP s’est armée. Apposé sur les emballages des sapins wallons, le label “Végétal d’ici” assure une origine locale des plants. “C’est une reconnaissance pour les producteurs, mais aussi un engagement : de la récolte de la graine jusqu’à la commercialisation, tout se fait par des pépiniéristes locaux, 100% wallons”, se félicite Florian Grosjean. Pour assurer encore plus la belgitude des sapins, l’UAP développe aussi un verger à graines de Nordmann, à Neufchâteau. “On y produit des cônes pour que les producteurs aient un approvisionnement local.”
“Véritable et écoresponsable”
Autre cartouche tirée par l’Union ardennaise des pépiniéristes : la charte “Véritable et écoresponsable”. Associé au premier, ce second label engage le producteur à réduire autant que possible son impact sur l’environnement. Les chemins pour y arriver sont variés : limiter et diminuer progressivement l’utilisation d’herbicides ; privilégier les coupes plutôt que le prélèvement de mottes ; vérifier les vitesses des vents avant traitement ; utiliser les animaux comme des moutons ou chevaux de traits pour nettoyer les terrains… Des pratiques encore minoritaires, mais qui progressent au fil des années, encouragées par les consommateurs plus sensibles à l’argument écologique.

“Le Nordmann ne perd pas ses aiguilles”
Il existe différentes variétés de sapin. Le Nordmann est assurément le plus répandu, confirment les experts. Il représente 85% de la production wallonne, selon l’UAP. Le groupe Altitude 500 offre 80% de ses parcelles à cette essence. “Le Nordmann ne perd pas ses aiguilles. C’est son gros avantage”. Les 20% restants sont répartis dans les autres variétés : fraseri, épicéa et autre omorika. “Les jardineries préfèrent avoir du choix, pour proposer une gamme étendue. On travaille aussi par qualité : primaire, jardinerie, grande distribution, standard, etc.”
Pour être de bon compte, il faut tout de même évoquer une nouvelle espèce tout à fait moderne: le sapin artificiel. Sur ce point, le terroir wallon tient le coup. Et ce n’est pas du chauvinisme. “La tendance est située entre 6 et 8%, mais elle reste très stable au fil des années”, décode Louis Brasseur. Les producteurs peuvent donc compter sur les Belges pour acheter des sapins. Avec l’espoir qu’ils seront plus forts que les caprices de Mère Nature, qui ne risque pas de s’attendrir dans les années à venir. “Nous sommes forcément tributaires des conditions climatiques. On ne sait rien faire contre le gel”, conclut-il.
Pol Lecointe
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