Un enregistrement d’une vidéoconférence peut-il être produit en justice?
Dans le cadre d’un litige avec son employeur, un travailleur produit en justice un enregistrement d’une réunion réalisée sur Teams avec son directeur des ressources humaines à l’insu, notamment, des autres participants. Le juge peut-il en tenir compte?
Dans cette affaire, l’employeur s’oppose évidemment à la production de cet enregistrement qui lui est très défavorable en arguant, entre autres, de la violation du secret des télécommunications et de la vie privée. De plus, défend-il, personne ne peut garantir que l’enregistrement n’a pas été altéré.
Le tribunal du travail du Brabant wallon a jugé cette année l’enregistrement recevable au terme d’une analyse détaillée des conditions d’utilisation de Teams et des modalités d’organisation de la réunion. Le tribunal constate d’abord que la possibilité d’enregistrer la conversation est expressément mentionnée dans la description du programme par son développeur Microsoft qui, par ailleurs, indique précisément les modalités d’enregistrement et en particulier le fait que tous les participants sont automatiquement informés du début d’un enregistrement. Il s’ensuit que l’employeur ne peut pas prétendre ne pas avoir été averti ou avoir été surpris par cet enregistrement.
Poursuivant son analyse, le tribunal constate aussi qu’un participant ne peut utiliser l’option d’enregistrement que si certaines conditions sont remplies. Notamment: qu’il soit un administrateur de la réunion, qu’il ne provienne pas d’une autre entreprise et que la faculté soit permise par l’administrateur IT de l’entreprise. Le tribunal valide que ces conditions étaient bien remplies par le travailleur qui était l’un des administrateurs de la réunion, sans limitations, et qu’il faisait encore partie de l’entreprise.
Pas de violation de la vie privée
Enfin le tribunal observe que, dans Teams, des “fenêtres contextuelles” informaient tous les participants de l’enregistrement de la réunion. Le tribunal considère que l’enregistrement ne viole pas la vie privée du directeur des ressources humaines (et des autres participants) parce que ce dernier n’a pas pu raisonnablement croire au caractère privé de la conversation étant donné que, comme indiqué plus haut, il savait ou devait savoir qu’un enregistrement était possible et en cours, que la conversation avait un objet purement professionnel et qu’elle avait été organisée par l’employeur pendant les heures de bureau. L’utilisation de cette faculté d’enregistrement par le travailleur en vue de défendre ses droits n’est donc pas déloyale.
Le tribunal rappelle encore que par son arrêt du 14 octobre 2021, la Cour de cassation a confirmé que sa jurisprudence dite “Antigone”, qui fut l’objet de débats durant des années, s’appliquait en matière civile. Cette jurisprudence autorise, sous certaines conditions, un juge à accepter une preuve obtenue en violation de la vie privée. Donc, même si l’enregistrement avait été entaché de nullité, il aurait encore pu être jugé recevable. Un employeur averti en vaut deux…
Christophe Delmarcelle,
Cabinet DEL-Law, juge suppléant au tribunal du travail
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