Selon une nouvelle étude d’économistes de Gand et de Louvain-la-Neuve, le système belge d’allocations pour le chômage temporaire doit être réformé. En effet, ce mécanisme d’aide est trop souvent utilisé sans que des emplois soient réellement menacés. Si le gouvernement a bien mis en place un mécanisme visant à éviter tout abus de son utilisation, celui-ci ne fonctionne pas correctement.
En principe, notre système de chômage temporaire ne présente aucun problème, selon le groupe d’économistes de Gand et de Louvain-la-Neuve. En période de crise, ce système permet aux entreprises de réduire temporairement le nombre d’heures de travail prestées, tandis que les pouvoirs publics versent une allocation aux travailleurs. Cela permet aux entreprises d’avoir une marge de manœuvre financière, tout en leur évitant des licenciements et les coûts qui y sont associés. Une fois la crise passée, les entreprises peuvent redémarrer rapidement.
Pendant la récession de 2009, plus de 5 % des travailleurs en Belgique ont recouru à 5ce système. Et durant les confinements de la crise sanitaire de 2020, cela concernait près d’un travailleur sur trois. Mais il s’est avéré que les entreprises belges ont eu un usage beaucoup plus intensif du système de chômage temporaire comparé aux entreprises des pays voisins, disposant de mécanismes de protection similaires, comme la France, l’Allemagne, la Suisse et l’Italie. Pourtant, en Belgique, les entreprises doivent payer une contribution de responsabilisation afin de limiter l’utilisation excessive du système.
Cette constatation a soulevé bon nombre de questions parmi les économistes. Les entreprises en faisaient-elles un usage inutile ? Les travailleurs auraient-ils pu continuer à travailler sans soutien ? La question n’est pas anodine. Un recours trop long ou bien mal ciblé au chômage temporaire peut freiner la mobilité des travailleurs vers de meilleurs emplois, peser sur la croissance économique et conduire à un gaspillage de l’argent public.
Précision
L’étude est parue dans Gentse Economische Inzichten, une revue scientifique de l’Université de Gand. Les économistes ont utilisé des données sur l’emploi, le recours au chômage temporaire et la situation financière des entreprises belges (comptant au moins cinq salariés). Ils ont exclu les entreprises ayant plusieurs sites, car les décisions relatives au chômage temporaire sont prises au niveau du siège. Au total, leur étude couvrait tout de même la moitié des salariés du secteur privé belge, ce qui constitue une bonne base d’analyse.L’aide doit être ciblée
Cette analyse montre que, durant la récession de 2009, le chômage temporaire a effectivement protégé des emplois dans l’industrie manufacturière, qui avait été fortement touchée. Pour chaque équivalent temps plein en chômage temporaire, environ la moitié d’un poste avait été conservé, soit environ 5 % d’emplois en plus par rapport aux entreprises du même secteur qui n’avaient pas utilisé le système.
Mais dans les secteurs moins touchés, les économistes n’ont pas trouvé d’effet positif comparable concernant l’emploi. Certaines entreprises ont utilisé ce dispositif sans que des emplois soient réellement menacés. Même dans l’industrie manufacturière, l’avantage s’est estompé après environ un an, en raison de réductions d’effectifs, d’automatisation et de réorganisation de la production. Le chômage temporaire n’avait apparemment fait que retarder les restructurations nécessaires.
Conclusion : l’efficacité du chômage temporaire dépend de la précision avec laquelle l’aide est ciblée. Une aide peu sélective risque de subventionner des emplois qui ne sont pas menacés, écrivent les économistes.
Limiter les abus
Durant la crise du Covid, de 2020 à 2022 également, les chercheurs se sont aperçus que le soutien du chômage temporaire ne permettait de préserver des emplois que dans certaines entreprises et uniquement pour les fonctions réellement menacées. Dans les secteurs moins touchés, il n’y avait pas de différence significative en matière d’emploi entre les entreprises avec et sans chômage temporaire.
De plus, l’efficacité du système dépend aussi des mesures qui sont prises afin de limiter les abus. Pendant la crise sanitaire, les conditions d’octroi avaient été temporairement assouplies, ce qui a été une bonne nouvelle surtout pour les employés. Auparavant, ils ne pouvaient recourir au chômage temporaire que sous des conditions très strictes. Les ouvriers bénéficiaient déjà, avant la crise, d’un accès plus souple.
Cet accès assoupli a conduit à un usage considérablement abusif du système, et ce sans qu’il y ait des effets positifs sur l’emploi, surtout dans les entreprises qui n’avaient pas été touchées par les confinements et où le soutien n’était pas vraiment nécessaire. Cela signifie, selon l’étude, qu’une grande quantité d’argent public a été mobilisée sans effet démontrable. À l’inverse, des conditions beaucoup plus strictes – comme celles qui s’appliquaient aux employés avant la pandémie – ont empêché des entreprises d’avoir recours au chômage temporaire, même lorsque cela aurait pu sauver des emplois. L’accès restrictif pour les employés durant la période pré-Covid a probablement conduit à des faillites et à des licenciements qui auraient pu être évités.
Les économistes plaident pour un juste équilibre. Ils préconisent un renforcement de la responsabilisation financière tant pour les ouvriers que pour les employés afin de réduire l’utilisation abusive du chômage temporaire.
Responsabilisation financière
Une autre approche consiste à renforcer la responsabilisation financière des entreprises. En 2005, la Belgique a introduit un tel système de responsabilisation dans le secteur de la construction, et en 2012 ce système a été étendu à tous les secteurs. À partir de 110 jours de chômage temporaire sur une même année civile, les entreprises doivent payer une contribution par jour et par travailleur. Cette contribution augmente progressivement à mesure que la durée du chômage temporaire dépasse la période de 110 jours.
Les économistes ont estimé que cette responsabilisation n’a réduit que de manière très limitée l’usage excessif du mécanisme de soutien. Et en raison du seuil relativement élevé de 110 jours, seule une minorité d’entreprises ont dû payer la contribution. En outre, de nombreuses entreprises sont passées au « pilotage du seuil », des pratiques visant à réduire le nombre de jours de chômage temporaire par travailleur, afin de rester sous la limite de 110 jours. Les économistes plaident donc pour un abaissement du seuil.
Entre deux périodes successives de chômage temporaire, seule une période d’attente d’une semaine s’applique. Celle-ci est trop courte, estime l’étude, car en pratique, un délai aussi bref revient à la possibilité d’un usage sans limites du système. La récente obligation pour les travailleurs de s’inscrire comme demandeurs d’emploi après trois mois de chômage temporaire est également inutile.
Formations spécifiques à l’entreprise
Et il en va de même pour l’offre de formations générales proposées aux chômeurs temporaires. Ces formations sont certes utiles dans d’autres entreprises, mais un changement d’emploi dans une autre entreprise n’est pas à l’ordre du jour pour un chômeur temporaire. Celui-ci serait davantage soutenu par des formations spécifiques à son entreprise. Les formations générales sont néanmoins utiles à long terme, en cas de crise durable et structurelle.
Le système de chômage temporaire ne doit certainement pas être abandonné, conclut l’étude. Durant la récession de 2008-2009 et la pandémie de coronavirus, il a apporté un soutien aux travailleurs et aux entreprises. Mais les abus et l’utilisation excessive doivent disparaître, tout comme les procédures chronophages et complexes qui s’appliquent encore aujourd’hui aux employés.
Enfin, il faut aussi examiner comment le système peut être mieux intégré dans l’ensemble plus large des mesures de protection de l’emploi, telles que la protection contre le licenciement, l’assurance chômage et les régimes de flexibilité.