Lors d’une acquisition d’entreprise à plusieurs milliards, les employés ont-ils droit à une part du gâteau ? C’est la question que soulève le cas de Clarebout Potatoes, dont le personnel réclame une prime suite à la vente au groupe américain JR Simplot.
La semaine dernière, Jan Clarebout, propriétaire du producteur de frites surgelées du même nom, a présenté une proposition de prime finale. Les employés avec un contrat fixe auraient droit à 500 euros nets. Ceux ayant dix ans d’ancienneté ou plus obtiendraient 750 euros, et à partir de vingt ans d’ancienneté, ce montant passerait à 1.000 euros. Les syndicats réclament des primes plus élevées. Ils veulent ainsi obtenir une part du produit de la vente de l’entreprise Clarebout au géant alimentaire américain JR Simplot. Le montant du rachat de Clarebout Potatoes n’a pas été divulgué. 3 à 4 milliards d’euros sont évoqués. Mais, est-ce que les employés peuvent exiger une telle prime lors d’un rachat à plusieurs milliards ?
Pas de prime automatique
“Cela ne va pas de soi que les employés reçoivent une indemnité ou une prime à chaque rachat”, explique Kris De Schutter, avocat en droit du travail chez Loyens & Loeff. “En Belgique, ce n’est pas la règle de verser des bonus et des rémunérations variables à tous les collaborateurs parce qu’une entreprise change de propriétaire. Franchement, cela arrive très rarement.”
Des exemples du passé peuvent être des références. En 2020, les collaborateurs flamands de la société néerlandaise Royal Agio Cigars à Oevel ont reçu au minimum 1.000 euros après le rachat par Scandinavian Tobacco Group. Peut-on invoquer cet exemple pour exiger une telle prime ailleurs également ?
KRIS DE SCHUTTER. “Un employeur peut naturellement décider de manière autonome de verser une prime, mais celle-ci n’est pas juridiquement exigible. Le montant non plus. Les bonus du passé ne constituent pas un précédent sur lequel les employés d’entreprises rachetées ultérieurement peuvent se fonder. Ce que demandent les syndicats, c’est l’octroi d’un montant à l’occasion d’un événement particulier. Lors du cinquantième anniversaire d’une entreprise, il arrive que tous les collaborateurs reçoivent une prime de 500 euros. Cela est accordé comme une sorte de libéralité. L’entreprise se concertera alors avec le fisc et l’Office national de sécurité sociale, pour vérifier s’il s’agit d’un avantage imposable.”
Un employeur peut naturellement décider de manière autonome de verser une prime, mais celle-ci n’est pas juridiquement exigible
Y a-t-il des arrangements particuliers pour les cadres ou les managers ?
DE SCHUTTER. “Il arrive que la direction devienne actionnaire après le rachat. Ou des objectifs peuvent être fixés, pour lesquels la direction reçoit un certain pourcentage du capital s’ils sont atteints. En cas de meilleure performance, une rémunération plus élevée sera accordée. Il existe également des plans d’actions avec des clauses good leaver/bad leaver. Si vous partez plus tôt, vous récupérez par exemple votre apport, mais pas la plus-value réalisée. Pour un good leaver (ndlr: retraite, licenciement sans faute, décès, invalidité) c’est différent, celui-ci a droit à davantage. Par ailleurs, il existe le régime de sweet equity. Celui-ci fait référence aux plans d’options sur actions que reçoit la direction, souvent dans le cadre d’une transaction de private equity. Mais cela concerne un groupe très restreint de collaborateurs.”
Observez-vous une tendance vers davantage de rémunérations sous forme de bonus ?
DE SCHUTTER. “J’en compte moins, parce que ce sont des temps économiques plus difficiles. La part de la rémunération fixe dans les nouveaux contrats diminue effectivement. Le poids de la rémunération variable gagne en importance, et ce montant augmentera lorsque de meilleurs résultats seront obtenus à l’avenir.
“Par ailleurs, nous constatons que les entreprises belges versent davantage de primes de bénéfices que les filiales de multinationales américaines. Cela s’explique par le fait qu’il faut suivre les règles de prix de transfert. Différents systèmes de bonus sont vraiment belgo-belges, ce qui fait qu’ils ne peuvent pas simplement s’appliquer aux groupes internationaux.”
Un rachat d’entreprise a-t-il un impact sur les conditions salariales et de travail ?
DE SCHUTTER. “Lors d’une cession d’actions, l’entité juridique reste la même. Il arrive que les plans de bonus soient légèrement adaptés, mais grosso modo les conditions salariales et de travail ne changent pas. Lors du transfert d’un fonds de commerce ou d’un asset deal (nldr: cession d’actifs), un employé change d’employeur. Dans ce cas, les conditions salariales et de travail ne seront pas tout à fait les mêmes.
“Dans ce cas, la CCT 32bis s’applique. Elle garantit le maintien des droits des travailleurs. En pratique, les anciennes conditions restent initialement d’application, mais avec le temps, on essaie de trouver une harmonisation. Par exemple : avant une acquisition, il s’est avéré qu’un plan cafétéria existait dans une entreprise, mais pas dans l’autre. On peut décider d’ouvrir ce plan cafétéria à tous les membres du personnel. Le choix des voitures de société peut alors être modifié, parce que vous obtenez d’autres avantages à la place. On prend en fait une photo de la rémunération des deux entreprises avant le rachat. Ensuite, on examine comment les collaborateurs peuvent conserver approximativement le même pouvoir d’achat, sans que vous obteniez le meilleur des deux, ce qui est l’objectif des syndicats. Si vous ne parvenez pas à un accord avec les syndicats, vous pouvez en tant qu’employeur imposer unilatéralement des modifications. Celles-ci ne peuvent toutefois pas avoir un impact trop important. Ainsi, vous pouvez adapter un bonus qui était accordé à 80 pour cent sur la base de performances individuelles, vers par exemple 50 pour cent. Mais vous ne pouvez pas simplement le supprimer.”